Chapitre 25 : Deux coeurs déchirés
Matt
Les nuages qui passaient au-dessus de moi semblaient se moquer de moi. Cela faisait au moins une bonne heure que je restais couché dans l’herbe verte qui entourait le potager. Je ne tremblais plus mais je n’avais encore aucune volonté à me lever car mes membres semblaient sans vie. Mes larmes ne coulaient plus mais ce n’était pas parce que ma tristesse s’était envolée mais parce que j’en avais épuisée toutes les réserves. Un envol d’oiseaux me sortit de ma torpeur et je les contemplai avec émerveillement. J’enviais leur liberté, cette capacité à s’envoler sans que quelque chose ne les retienne. J’aurais tellement aimé être comme eux, mais c’était une idée que je ne pourrais jamais revêtir car même si je voulais m’enfuir, je serais enchaîné à cet homme pour le restant de mes jours et cela me terrorisait. Cette pensée me fit frissonner et je me levai enfin tout en me rhabillant maladroitement. Je faillis tomber une fois debout car mes jambes étaient bien faibles pour me supporter mais je me rattrapai comme je le pouvais. Mon regard se posa en direction de l’emplacement qu’Alex avait quitté, en colère, il y a peu et je me mordis sévèrement la lèvre comme pour me punir. J’avais horriblement mal à la tête et je n’avais aucune envie de retourner en cours. Je décidai alors de quitter le lycée et c’est ce que je fis sans me retourner.
***
Je marchai sans calculer mon itinéraire ainsi, je ne savais même pas où je me trouvais. Le peu de passants que j’avais croisé au cours de mon ascension m’avaient jeté de mauvais regards, sûrement parce que je n’étais pas très présentable. Je ris à cette pensée et levai les yeux en direction du ciel. Il était gris et accompagnait parfaitement mon humeur du moment. La ruelle que j’avais empruntée m’amena près du pont qui surplombait la rivière qui entourait la vielle-ville. À cette heure, peu de voitures. Je m’avançai alors lentement en direction du pont et m’arrêtai au point le plus culminant par rapport à la rivière. – Je ne sais toujours pas ce qu’il m’a pris ce moment-là, mais ce dont je suis sûr c’est que je regrette amèrement mon choix –. Sans trembler, je passai ma tête par dessus la rambarde de sécurité et observai calmement le vide qui se présentait à moi et la force du courant. Vais-je mourir si je saute ici ? Est-ce que tout se calmera avec ma mort ? Serai-je enfin en paix ? Toutes ces questions se bousculaient dans ma tête et sans que j’en prenne conscience j’étais déjà debout sur la rambarde. J’étais comme vidé et vivre me paraissait plus terrifiant que de mourir. Un appui en moins, un pied dans le vide, les yeux fermés, j’étais prêt à faire le grand saut. Alors que je m’apprêtais à retirer le dernier appui qui me maintenait en vie, une image surgit dans mon cerveau : celle de ma mère. Stupéfié, je perdis mon équilibre et atterris sur le béton. Mon dos me brûlait mais je m’en fichais pas mal. J’éclatai de rire et restai allongé au sol. L’envie de me suicider s’était éteinte et ne restait seulement un rire aigri. Des murmures atteignirent mes oreilles et je découvris en me relevant une multitude de visages curieux, qui pour certains me pointaient du doigt. Je soupirai et préférai partir avant que l’on me fasse une remarque déplacée.
***
Je me posai dans un parc que je ne connaissais pas et repris mon souffle. Je venais de m’enfuir du pont et ne voulais croiser personne. L’après-midi était bien avancée mais je ne voulais pas pour autant rentrer chez moi. Je m’allongeai alors sur un banc et fermai les yeux pour reprendre mes esprits. Les derniers évènements de la journée m’avaient fait paniqué et je déglutis difficilement. Mais qu’est-ce qui m’avait pris ? Fou, je suis devenu fou ! pensai-je. Effrayé, je me frappai gentiment les tempes mais une larme s’échappa de mon oeil droit. Je l’essuyai alors sans m’en soucier mais c’est alors qu’une pluie diluvienne me recouvrit complètement le visage. Je n’arrivais plus à m’arrêter de pleurer et sans que je le veuille tout le désespoir des derniers jours s’échappa sans demander son reste. Honteux, je me couvris le visage. Les pensées noires jouaient dans mon esprit et très peu de bonnes pensées firent surface. Il fallait que je me l’avoue sans l’ignorer, je ne savais plus où j’en étais. J’étais comme meurtri au plus profond de moi et j’avais peine à vouloir rester en vie. Tout mon corps tremblait horriblement. Au final, qu’est-ce qui me retenait ? Rien ! Chez moi, il n’y avait que peur et désespoir et j’avais coupé tout lien avec le seul refuge qui me restait. Perdu dans mes plus sombres pensées, la lueur avait quitté mes pupilles. Épuisé par autant d’émotions, je perdais de plus en plus mes esprits quand une petite voix terrée au fin fond de mon cerveau s’adressa à mon subconscient. « Es-tu sûr d’avoir le droit de mourir ? N’est-ce pas toi qui est responsable de la mort de ta mère ? Ne dois-tu pas vivre et souffrir de ton erreur ? » La petite voix n’arrêtait pas de marteler dans mon cerveau, me criant de souffrir et de vivre. Au début, j’essayai de la combattre, de me trouver des excuses mais elle prenait de plus en plus d’ampleur et soudainement je criai « J’ai compris… j’ai compris… arrête… » Épuisé par toutes ces émotions, je m’évanouis et promis de purger ma peine en vivant.
Alex
Cela faisait une semaine que je n’avais pas mis un seul pied au lycée. Je me souvenais à peine de comment j’étais rentré chez moi ce jour-là, énervé, totalement désemparé. J’en voulais à la terre entière et rien ni personne n’avait pu me tirer un seul mot ce jour-là. Je me rappelle encore le visage de mes parents qui m’avaient accueillis ahuris par le fait que j’ai pu sécher ce jour-là. Une montagne de remontrances avait plu ce jour-là et j’avais pour la première fois crié sur mes parents. Mes émotions étaient sans dessus dessous et je n‘arrivais plus à réprimer la rage que je contenais depuis des jours. Anya qui avait assisté malgré elle à la scène avait pris peur et n’osait pas encore m’approcher. Incapable de tenir une conversation, mon père m’avait envoyé manu militari dans ma chambre et au moment où j’allais claquer la porte j’avais pu distinguer au milieux des cris les pleurs de ma mère. J’avais le coeur brisé, j’étais en colère mais ne savais pas contre qui diriger cette colère. J’avais été enfermé tout le weekend dans ma chambre et ma mère m’apportait parfois à manger, repas que je ne prenais pas. Evidemment, ma grève de la fin m’affaiblissait et j’étais tombé malade le lundi. Une énorme fièvre m’avait assailli ce qui au final me convenait parfaitement car je n’avais pas à affronter le visage de Matt au lycée. Même après que ma fièvre eut baissée et que je recommençai à manger, mes parents me gardèrent à la maison, surveillant mon état de santé avec attention. C’est donc après deux semaines de repos que je retournai enfin au lycée. Durant tout le temps de ma convalescence, je m’étais résigné à le revoir, de toute façon je n’en avais aucunement envie. Je voulais juste retrouver ma vie d’avant, celle où je ne le connaissais pas.
***
Lundi matin, le réveil sonna et m’avertit de l’horaire tardive. Je ne dormais pas très bien en ce moment et je connaissais très bien le pourquoi. Avec difficulté, je me levai et m’habillai sans réfléchir. Mes parents avaient réussi à me faire promettre de retourner en cours ce jour-là. Je m’étais incliné car rester enfermé commençait à m’étouffer. C’est donc avec courage que je me rendis au lycée. Je reprenais tranquillement mes habitudes, le petit déjeuner en famille. Mes parents étaient encore inquiets mais avaient abdiqué contre mon silence. Plus ils creusaient, plus je me refermais. Ils avaient donc décidé ensemble de me laisser du temps pour leur raconter mes soucis, mais tout au fonde moi je savais très bien qu’ils pouvaient attendre longtemps. Je n’avais aucune envie de me confier sur mes soucis amoureux.
Marc m’attendait comme à son habitude devant chez moi et il fronça les sourcils quand il me vit.
« Tu es sûr que tu es capable de retourner en cours ? me demanda-t-il sérieusement.
Je soupirai et acquiesçai sans grande conviction. Il me dévisagea soigneusement. Il était au courant de ma séparation avec Matt mais ne connaissait pas toute l’histoire et avait très bien compris que je ne voulais pas en parler.
— Ok, c’est toi qui voit ! » affirma-t-il.
Je le remerciai d’un sourire et nous prîmes le chemin du lycée. Les trois autres, n’étant pas au courant, pensaient que j’avais été gravement malade, ce qui dans un sens pouvait s’y apparenter, et ne me posèrent pas plus de questions. Je dois avouer que la partie de basket me redonna un peu d’énergie et je pus faire sortir une grande partie de ma frustration.
***
Je n’ai pas beaucoup été attentif aux différents enseignements de la journée, pas parce qu’ils n’étaient pas intéressants, mais plutôt parce que je n’avais pas le coeur à écouter nos chers professeurs raconter leur vie. À mon grand plaisir, je n’ai pas croisé une seule fois Matt de la journée. Il devait sans doute lui aussi m’éviter. Et même s’il me venait à le croiser, je m’étais convaincu de faire comme si je ne le connaissais pas. Voulant l’oublier assez rapidement, j’ai enchaîné les conquêtes mais rien n’y faisait, je me sentais toujours aussi vide. Ce vide me compressait tellement que je faisais tout pour le remplir comme sortir avec mes potes, ma famille, me plonger dans les études et dans le sport. J’en faisais tellement trop que mon entourage s’inquiétait de me voir ainsi. C’est donc après deux mois que je pus enfin reprendre une vie normale même si je ressentais encore un infime vide, mais je pouvais enfin respirer et cela me suffisait.
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