Chapitre 2 - La Guilde des Aventuriers
Mais n’est pas aventurier qui veut. Akarath l’avait bien compris, s’il a participé à la fondation d’un établissement dédié à cette profession ce n’est pas pour rien.
D’un pas décidé j’arpente les chemins du village en direction du bâtiment qui changera ma vie. La Guilde des Aventuriers se trouve au centre d’Emmelle, sur la grande place où les marchés saisonniers sont faits, non loin de l’immense boulangerie de Herbert, notre Maitre Boulanger qui nous emplit les narines de bonnes odeurs dès les premières lueurs du jour.
Arrivé à la guilde, mon enthousiasme se délite soudainement et je pousse un long soupir d’appréhension. Lorsque j’aurais passé cette porte, je m’engagerai sur la même voie qu’Akarath, le plus grand aventurier d’Emmelle.
Des questions se bousculent alors dans ma tête, « Est-ce que j’y arriverai ? », « Est-ce que j’en serai digne ? », « J’aurais peut-être du finir la formation du Sergent Kalf ? », « Est-ce que… »
Je suis brusquement sorti de mes pensées alors que la porte s’ouvre. Un homme se tient devant moi : armure d’écailles, sac à dos chargé, une épée longue à la ceinture et un bouclier sur le côté de son sac. Un aventurier !
Il ne me prête guère attention et sort de la guilde, suivi d’une femme encapuchonnée avec un arc en bandoulière et d’un autre homme beaucoup plus chétif que le premier, s’appuyant sur un grand bâton.
Ça m’a toujours fait quelque chose de voir ces groupes d’aventuriers traverser Emmelle, alors qu’ils viennent parfois de loin, d’autres régions. Je ne suis pas le premier et encore moins le dernier à avoir soif d’aventures, ça c’est sûr !
Avant que la porte ne se referme, je me faufile à l’intérieur. Ce n’est pas la première fois que je viens ici, loin de là. Mais c’est la première fois que je viens ici pour y prendre une quête.
On y trouve quelques tables pour attendre mais aucune boisson ou nourriture n’y est servie, pour éviter le chahut. Puis le vieux Simon, notre aubergiste, le prendrait vraiment mal si on lui volait ses meilleurs clients !
J’ai toujours été choqué d’au combien l’ambiance est fondamentalement différente une fois à l’intérieur. Les joyeux lurons qui composent les groupes d’aventuriers que j’ai si souvent vu à la taverne me semblent méconnaissables. Loin de leur naturel souriant et détendu, leurs visages affichent le danger des quêtes qu’ils accomplissent.
Impressionné par la posture et le ton militaires de ces adultes habituellement joviaux, je suis pris d’une hésitation. Mais quand mon regard se pose sur l’immense tableau en bois, sur pieds, sur lequel sont clouées des morceaux de papiers, mes doutes s’envolent.
« Le tableau des quêtes ! » me dis-je, retrouvant mon enthousiasme. Je presse alors le pas et me dirige vers lui. Il y a des demandes en tout genre et pour tout niveau, je me suis déjà amusé à les lire et à m’imaginer les accomplir, et aujourd’hui c’est pour de vrai !
Excité à l’idée de trouver ma première aventure, je passe en revue les quêtes qu’il propose.
Une troupe d’orcs aperçus plus loin à l’est, « trop dangereux » me dis-je.
Des disparitions inexpliquées plus au nord, près de Norkrick, « trop loin ».
Un villageois attaqué par… « Oui ! Celle-ci est parfaite »
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Attaque de Gobelins
Chers aventuriers et aventurières,
Un villageois d 'Emmelle a signalé la présence d'un petit groupe de gobelins près de la bute-aux-cerfs.
Apparemment, 2 gobelins attaqueraient les promeneurs pour récupérer leurs vivres.
Le villageois attaqué aurait vu les gobelins se jeter sur son sac abandonné et l 'ignorer par la suite.
Quiconque rapportera la preuve de la mort des deux gobelins ainsi que la broche de cuivre qui était sur le sac du villageois attaqué se verra offrir la somme de 20 pièces d'or.
Bonne chasse
Marna
Chef de la Guilde des
Aventuriers d ’Emmelle
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Je défais le clou de l’annonce et la prend entre mes mains, alors que je la parcours une voix féminine et agacée m’interpelle dans mon dos :
- Hé toi ! Qu’est-ce que tu fais ? Tu n’es pas un aventurier, repose ça !
Sursautant de cette interpellation, le clou me glisse des doigts et roule au sol. Je me retourne puis me penche pour le ramasser, faisant maintenant face à la femme.
- Aaah ! Mais c’est toi Malakai ! Bah alors mon garçon, on s’encanaille ? Tu ne suivais pas la formation pour entrer dans la milice de la ville ?
Penchée sur le comptoir de l’accueil de la Guilde, Giselle, la réceptionniste est à peine visible derrière une montagne de documents. C’est une dame entre deux âges dont le caractère chaleureux dénote avec l’ambiance froide et austère des lieux.
- Oh salut Giselle ! Oui, je suivais leur formation c’est vrai. Mais c’était surtout un compromis que j’avais fait avec ma mère… Le métier d’aventurier lui fait peur. Aujourd’hui j’ai annoncé au Sergent Kalf que j’arrêtais la formation et que je souhaiterais m’enregistrer auprès de la Guilde.
Je sens alors quelque chose changer sur son visage, son regard d’abord curieux devient soudain inquisiteur. Elle me scrute avec attention, comme pour juger de ma personne, m’évaluant.
- Laisse-moi te regarder. Une chemise de maille de la milice, une épée courte à la ceinture, un bouclier dans le dos. Je suppose que tu as aussi un sac d’exploration ?
- O.. oui M’dame, dis-je en bégayant
- Fais voir tes mains.
- Je lui tends nerveusement mes mains qu’elle inspecte soigneusement, passant son pouce sur les cales de mes paumes, puis pousse un soupir satisfait.
- Mmh. Oui. C’est bien, tu n’as pas l’air d’avoir lésiné sur tes entrainements, c’est déjà une bonne chose. J’irai le reconfirmer avec Kalf, mais il m’aurait prévenu tout de suite s’il ne t’en pensait pas capable.
Elle lâche ma main et commence à fouiller derrière elle.
- Désolé mais on essaie d’être sélectif pour les nouveaux enregistrements. Ça évite de perdre des gens inutilement, d’autant qu’en tant que mère moi-même, je comprends la tienne. Pour toi je ne vois aucune objection. Voilà les documents pour t’enregistrer, fais voir la quête que tu as pris.
Je lui tends timidement ma quête, espérant ne pas m’être trop emballé.
- Des gobelins ? Ce sont des créatures vicieuses… C’est un bon choix pour une première quête. Ce n’est pas une mission très difficile mais elle peut tout de même s’avérer dangereuse. Tu es sûr de toi ?
J’ai du mal à tout entendre tant les battements de mon cœur bourdonnent dans mes oreilles, à tel point que pendant une seconde je ne comprends pas sa question.
- Oui ! dis-je finalement, presque dans un cri.
- Parfait ! Bon, suis-moi on va faire les formalités ensemble.
~*~
Une heure plus tard et 10 pièces d’or en moins dans ma bourse, je suis assis sur un banc, profitant du soleil du mois de Couleraisin qui me réchauffe alors que l’air se refroidit doucement.
Ces 10 pièces d’or n’ont pas seulement servi à m’enregistrer à la guilde mais aussi à m’acheter une carte de la région. C’est le prix de mon épée et la moitié de la récompense de la quête que je vais faire mais… pas de carte, pas d’aventure.
Entre mes doigts je tiens un collier avec une plaque rectangulaire tout en cuivre que je contemple avec fascination, une part de moi n’en revenant toujours pas.
Sur la plaque on peut lire :
« Malakai Virnir, Aventurier de Rang Cuivre »
et au dos :
« Guilde des Aventuriers d’Emmelle »
Cette précieuse plaque est la preuve incontestable de mon nouveau statut.
Pourtant, ma mission la plus difficile reste encore à faire… Convaincre ma mère.
~*~
Jamais la porte de notre maison ne m’a semblé si difficile à ouvrir. La gorge sèche et les mains moites, j’entrais chez nous, accueilli par les odeurs de pomme et de mirabelle.
- M’man c’est moi ! dis-je en refermant la porte derrière moi.
Ma mère, Elira Virnir, est une belle femme qu’on ne croirait pas faite pour vivre dans ce petit village de campagne. Une longue chevelure brune aux reflets auburn, en partie attachée par un grand foulard quand elle cuisine. Un visage fin, une grâce naturelle qui a dû faire chavirer des cœurs quand elle était plus jeune.
Elle approche doucement de la quarantaine et elle resplendit de vie et de force, une beauté seulement entachée par son regard souvent remplit d’une tristesse refoulée, d’une mélancolie d’une autre vie. D’une vie avec mon père.
On a jamais vraiment parlé de mon père, mais je sais qu’il lui manque et elle m’a toujours dit qu’il n’avait pas eu le choix, de ne jamais lui en vouloir car il nous avait donné tout ce qu’il avait pu.
Malgré cela, c’est avec un sourire chaleureux qu’elle vient vers moi en sortant de la cuisine, m’étreignant doucement.
- Ca va mon chéri ? Tu étais où aujourd’hui je ne t’ai pas beaucoup vu ? me demande-t-elle, ses mains toujours sur mes épaules.
Un bref silence suivit ces mots, alors que j’essayais de déglutir machinalement une salive que je n’avais pourtant pas.
- Et bien… oui ? Une assez bonne journée en soit, mais… J’ai une nouvelle à t’annoncer.
- Ah oui ? Une bonne alors j’espère !
Je n’ai pas le temps de lui répondre que la porte s’ouvre d’un coup. Entre alors le seul autre membre de ma famille, Athalva Clairfoyer ma « tata », une naine des collines. Elle vit à Emmelle depuis longtemps et a énormément aidé ma mère quand elle est arrivée.
- Salut les Virnir ! Comment ils vont mes humains préférés ? dit-elle en rentrant et en refermant la porte derrière elle.
- Bonjour Athalva, lui répond ma mère, tu tombes bien Malakai avait une bonne nouvelle à nous annoncer !
- Ah oui ? Mon bourreau des cœurs de neveux aurait-il trouvé une petite copine ? dit ma tante en m’esquissant une mine complice.
- N… Non pas vraiment, pas du tout en fait, dis-je en feignant de rire, cachant tant bien que mal mon anxiété
Faisant un pas en arrière pour sortir de l’étreinte de ma mère, j’ouvre la main, dévoilant ma plaque flambant neuve.
- Je… Je me suis enregistré en tant qu’aventurier.
A ces mots, l’ambiance jusqu’ici guillerette de notre logis se refroidit subitement. Ma mère s'assoit, sans dire un mot, laissant place à un silence pesant.
- Allons, allons, Elira. C’est pas la peine de faire cette tête de six pieds de long ! Il est pas mort que j’sache !
- Pas ENCORE mort, tu veux dire ! Et c’est très bien comme ça ! lui répond ma mère d’un ton furieux.
Se tournant vers moi, elle enchaine alors.
- Pourquoi Malakaï ? Pourquoi ? Je pensais que tu avais abandonné cette idée ! Nous nous étions mis d’accord pour que tu rejoignes la milice d’Emmelle, alors même que j’y étais déjà réticente.
- Maman… Je sais que tu t’inquiètes pour moi. Mais… Être un aventurier, c’est le rêve de ma vie, un rêve que j’ai depuis si longtemps que je ne me rappelle pas d’avoir voulu faire autre chose un jour. Je devais le faire.
- Ça va aller Elira ! C’est un bon petit et j’ai entendu dire qu’il savait y faire avec une épée ! Tu peux me croire, je parle pas mal avec les p’tits gars d’la milice.
- Mais j’en ai rien à faire qu’il sache faire joujou avec son épée ou qu’il ait appris à faire du feu avec ses potes de la milice ! Je savais que j’aurais du dire non dès le départ à tout ça !
- Maman ! Je ne suis plus le petit garçon qui jouait avec un bâton dans l'arrière court ! Aujourd'hui je suis un homme, un homme qui tient à ses rêves et qui est prêt à tout pour les réaliser. Que tu le veuilles ou non, je SUIS un aventurier maintenant, et je partirai avec ou sans ta bénédiction.
Furibonde, faisant les cent pas dans la pièce, ma mère semble chercher un autre argument pour me convaincre d’abandonner. Heureusement, Atha intervient en ma faveur.
- Le petit a raison, c’est plus un gamin, Eli ! Il partira que tu le veuilles ou non, alors autant l’accepter et l’aider autant qu’on peut. Et puis si jamais il est blessé je pourrai toujours le rafistoler ! Parole d’Atha ! dit-elle en tapant fièrement son biceps, un geste que j’ai toujours trouvé aussi rassurant qu’inquiétant.
Comprenant que je ne changerai pas d’avis, ma mère se fige un instant puis s’assoit, la tête entre les mains. Un peu gêné, je m’apprête à venir la rassurer quand elle se redresse brusquement me regardant avec une intensité renouvelée.
La colère a cédé la place à une détermination que je ne connais que trop bien, qu’importe ce qu’elle a décidé, je ne la ferai pas changer d’avis une seconde fois.
- Tu veux partir à l’aventure hein ? Tu veux faire des quêtes c’est ça ? Alors d’accord. Très bien… mais c’est MOI qui vais te préparer ton équipement. Jeune homme, inspection !
- Maman ! dis-je d’un ton désespéré. Atha ! Dis-lui !
- Ah non mon petit, dit-elle en haussant les épaules, là je peux plus rien pour toi !
Déjà satisfait d’avoir obtenu l’approbation de ma mère, avec l’aide au combien décisive de ma tante, je finis par céder à mon tour.
La soirée a été longue. Bien trop longue à mon goût. Sa colère et sa frustration se sont vouées en un perfectionnisme exacerbé. Elle a vérifié chaque torche, chaque mètre de corde, à la recherche du moindre défaut à corriger. Elle a systématiquement refusé toute aide extérieure, même celle d’Atha.
« Si mon fils veut partir à l’aventure, personne d’autre que sa mère ne préparera ses affaires, c’est compris ? Si c’est lui qui s’en occupe, il va sûrement oublier quelque chose. Avec moi ça n’arrivera pas ! », a-t-elle dit.
Tard le soir, alors qu’elle finit d’harnacher mon sac de couchage, elle ajoute :
- Demain matin je t'emballerai une tarte pour ton voyage !
- Mais maman, je ne pars faire un goûter avec des amis ! lui dis-je en riant, profitant d’une ambiance que je pense plus détendue.
- Demain matin. Je. T’emballerai. Une tarte. dit-elle d’un ton sec que je ne lui connais pas, détachant chaque mot.
J'ai donc accepté sans rechigner plus. Après tout, quel mal pourrait faire une tarte ?
~*~
Le lendemain matin, je suis en train de finir les préparatifs dans la pièce principale quand ma mère m’apporte la fameuse tarte, parfaitement emballée. Bredouillant un petit « merci Maman », je la range délicatement dans mon sac.
Avant que je ne puisse ajouter autre chose, elle m’enlace soudainement, comme si nous nous faisions des adieux.
- Maman… je serai rentré d’ici quelques jours, tu sais ?
- Tais-toi, idiot de fils ! Et n’oublie pas ma tarte, quand tu seras loin de la maison, tu verras. Elle t’apportera le réconfort qui te manquera alors.
- Merci Maman… dis-je en la serrant à mon tour.
Alors que je sens mon cœur devenir plus léger, c’est mon crâne qui semble s’alourdir.
- Un chapeau ?n cadeau ! dit Atha que je n’ai pas entendu entrer et dont le visage est étrangement au même niveau que le mien.
Levant les yeux, je vois alors une sorte de visière.
- Un chapeau ?
- Tout juste mon p’tit gars ! C’est mon vieux chapeau de marche qui m’a accompagné quand je suis venu à Emmelle, y’a 30 ans ! dit-elle en descendant de la chaise sur laquelle elle était perchée. Je suis allé le chercher pendant que ta mère finissait de préparer ton sac. Vu que visiblement c’était une zone sinistrée, même pour moi ! ajoute-t-elle en riant. Au moins avec ça, même s’il pleut comme vache qui pisse, t’aura la tête au sec !
- Merci Atha ! dis-je en la prenant dans mes bras, sa grosse tête m’arrivant un peu au-dessus de l’estomac.
Un dernier calin groupé et je sors de chez moi. Mon sac sur le dos, mon épée à la ceinture, un chapeau sur la tête et une tarte pour plus tard, ça y est, je pars pour une aventure.
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