Quelques heures plus tard, Lunera se réveilla, après une nuit courte et assez inconfortable sur la peau rugueuse de son dragon. S'assurant que la princesse était toujours là, le visage de la fille se tordit en un rictus mauvais, se délectant encore une fois de son succès à Sultakara.

La jeune fille pencha sa tête et observa l'horizon. Ils étaient presque arrivés à destination. Elle reconnaissait déjà les hauts-plateaux qui entouraient sa maison. Lunera était très satisfaite, loin de savoir que ses ennemis n'étaient pas loin du tout.

Enfin, Dracaena atterrit, et Lunera descendit de son dos, heureuse de se dégourdir les jambes. Elle s'étira et fit léviter Saphir.

— Bien, dit-elle à Dracaena en grattant son museau, tu as fait du bon travail. Va dans ta grotte, mon ami, je viendrai te retrouver plus tard.

Le dragon obéit, et s'en alla dans sa tanière, laissant Lunera et sa prisonnière devant le palais. Elle entra en marmonnant diverses formules pour éclairer les lieux. Tout de suite après, saisie d'une grande excitation, elle descendit dans les sous-sols. Elle les avait visités ces derniers mois, et ils regorgeaient de surprises. Une fois en bas, elle traversa une longue galerie avant de déboucher sur une petite place qui s'ouvrait en dix autres chemins, à la longueur variable. Le plus court avait connu des jours meilleurs ! La porte, défoncée et brûlée, avait pu assister aux premières loges à la renaissance de la Lame Jahanama.

Lunera emprunta le plus long sentier, qui allait toujours tout droit, et arriva devant une grande porte en croisée d'ogives. À hauteur de ses yeux, figurait le même symbole qu'elle avait déjà vu tant de fois auparavant sur la cape de Darkodem. Un croissant de lune dont les contours se déployait en de grandes arabesques. Sous la marque inconnue, les mots suivants étaient gravés :

La puissance majeur invocatrice est dissimulée dans l'éclat du cercle.

Appelez-le, il vous répondra.

La haine exacerbera ses forces.

Uraera est puissance.

Méditant sur la signification de ce quatrain, sans nul doute écrit par Darkodem, Lunera poussa les battants et entra. C'était une grande salle, assez sinistre, éclairée par des torches aux feux éternels, accrochées aux murs. D'un côté, on pouvait voir des étagères, remplies de livres à la couverture inquiétante. Sûrement de la magie très obscure. De l'autre, il y avait toute une série de bâtons et sceptres magiques, ainsi que des gemmes qui exhalaient une aura malsaine. L'obscurité si profonde qui s'en dégageait, occultait presque la clarté des lieux, déjà médiocre.

Cependant, rien n'était aussi frappant que le centre de la pièce. Y figurait un dessin gigantesque, complexe, mêlant de multiples symboles, runes et figures géométriques. Au milieu, le même symbole qu'à l'entrée y figurait. C'était un Cercle d'Uraera, un artefact de haute magie. On n'en trouvait très peu à Terhera.

Même si les contours étaient décolorés, n'apportant aucun charme d'un point de vue chromatique, le Cercle d'Uraera était mystique. Lunera annula le sortilège qui portait Saphir, et celle-ci tomba par terre, sa tête heurtant durement le sol. Toute sa concentration était nécessaire. Lunera déploya toute sa force, et au moyen de puissants enchantements, elle réveilla le Cercle.

— Esse Primordial ! Uraera Mezame !

De la magie pure crépita, se manifestant par de petites explosions de lumière, projetant des gerbes d'étincelles roses, rouges et violettes. La lune au centre rougeoya fortement, obligeant Lunera à détourner le regard. Le Cercle d'Uraera était prêt à être utilisé.

Bien, il faut que je retrouve la formule.

Elle claqua des doigts, et un imposant grimoire sortit d'une des étagères de la bibliothèque, et voleta jusqu'à Lunera. « Mémoires », lut-elle sur la reliure de cuir.

Assez étrange pour son contenu.

Elle rechercha hâtivement l'article consacré au Rituel de l'Aspire, mais il y avait plein de tâches d'encre qui souillaient le livre, en masquant certains passages, rendant la lecture ardue. C'était agaçant. Là où il y en avait, des petits mots étaient griffonnés d'une écriture brouillonne et inconnue.

— Ah ! Le voilà. « Le Rituel de l'Aspire est un des six rituels du Cercle. Permettant d'annihiler puis d'aspirer le pouvoir de la cible, il fut longtemps interdit suite à une décision prise par la Conférence Internationale, à cause de la Guerre Arkhale, en l'an 15. Ce rituel d'une violence totale inflige de lourds dégâts et dérobe l'intégralité des forces magiques, physiques et spirituelles de la victime.

Pour réaliser ce puissant sortilège, il faut avoir à disposition un véritable Cercle d'Uraera. Avant de prononcer l'incantation, il est nécessaire de se préparer de la manière qui suit : l'ongle de l'index gauche du lanceur, trempé dans le sang de la victime, à poser sur la pointe nord de la lune, un cheveu de l'annihilé(e) sur la pointe sud, et les contours du cercle retracés par un mélange de sang, scellant ainsi le lien entre les deux êtres. »

Abasourdie, Lunera cligna des yeux trois fois, une expression idiote sur le visage, avant de se ressaisir. L'article s'arrêtait là. Il y avait seulement une saleté qui masquait une ligne entière.

Aucune formule, aucune indication, rien qui n'indiquait comment entamer le rituel ! Lunera s'énerva, et jeta le grimoire à travers la salle de toutes ses forces et se dirigea vers la bibliothèque, d'un pas rageur. À peine eut-elle posé la main sur un nouvel ouvrage, qu'elle se figea. Un ongle...

Ses pupilles se dilatèrent. Lunera sentit son rythme cardiaque s'accélérer et son estomac se contracter. Son regard se jeta sur sa main, toute tremblotante. Lentement, elle se retourna et avança vers l'autre bout de la pièce, où était entreposé toutes sortes d'armes. Elle ne se rendit même pas compte de ce qu'elle fit, jusqu'à s'apercevoir du coutelas qu'elle tenait dans sa main. Lunera ne se souvenait même pas de s'en être saisi.

— Je... n'ai pas le choix, affirma-t-elle pour se donner du courage. C'est pour le mieux.

Une goutte de sueur perla sur son front. Elle déglutit. Même les morts auraient plaqué leurs mains sur leurs oreilles, tant le hurlement que poussa Lunera fut effroyable, lorsque le poignard arracha l'ongle de sa peau. Celui-ci se détacha du doigt, et tomba par terre, accompagné dans sa chute de la dague et des larmes qu'elle lâchait.

C'est pour le plus grand bien... Pour laver l'honneur de mon père, et retrouver mes pleins droits sur mon destin.

Haletante, la jeune fille remonta les escaliers, et alla dans la cuisine du palais pour rincer son doigt, et mettre un pansement. C'était affreusement douloureux, mais le sacrifice en valait la peine. N'est-ce pas ?

En revenant, elle s'approcha de la Princesse. Lunera s'agenouilla et prit son poignet. De son autre main, elle saisit le couteau, et d'un geste rapide, elle trancha la peau laiteuse de Saphir, en évitant de taillader une veine. Si ça arrivait, et que Saphir perdait trop de sang, elle mourrait et Lunera ne pourrait pas réaliser le rituel. Ce ne serait pas amusant. Lunera y trempa son ongle griffu et le disposa ainsi qu'un de ses cheveux sur les lieux indiqués. Enfin, Lunera se coupa la paume de la main et fit un mélange de sang dans une fiole, avant de retracer avec le contour du Cercle d'Uraera.

Satisfaite, elle se leva et essuya la sueur de son front.

Au moins, les préparatifs sont faits. Je dois vite retrouver cette formule.

☾☾☾

Après avoir écrit une longue lettre à Néalia, pour l'informer des récents événements, Assad s'était attelé à la rédaction de quelques conseils et ordres pour Adja, sa ministre, le temps qu'il reviendrait de sa mission de sauvetage. Il avait ensuite usé d'un Charme de Déplacement Instantané pour envoyer tous ces écrits à leurs destinataires.

Le roi de Sultakara était ensuite allé remplacer Aswad dans le pilotage du vaisseau, et quelques minutes avant leur atterrissage, il fut rejoint par ses amis, tous en forme, prêts à en découdre.

— Quel sacré choc ! marmonna Aswad. La fille de Darkodem, jamais je n'aurais pu pensé qu'il avait une progéniture.

— La nouvelle nous a tous portés un rude coup, maugréa Amérius. Ce qui m'étonne, c'est comment, et où a-t-elle grandi ?

— À Arkhess, peut-être, suggéra Zahya.

— Non, dit Assad sans les regarder, les yeux fixés droit devant tout en tenant fermement le gouvernail. Je doute que Lunera ait vécu à Arkhess, n'oubliez pas que Darkodem est autant criminel dans ce pays que dans le notre.

— Eh bien, ricana Amérius. Pour une fois que Sultakara et Arkhess sont d'accord, il y a de quoi tenter sa chance dans une loterie, tant la probabilité qu'un tel événement se produise est infime.

— Si tu veux mon avis, répondit Assad d'un air sombre, l'arrivée de cette Lunera est encore plus improbable.

— Certes, intervint Shems. Ceci dit, si elle réside dans le Palais des Chimères, se serait-elle élevée toute seule ? Souvenez-vous, nous n'avons jamais pu approcher la demeure de Darkodem tant elle était farouchement barricadée d'égides protecteurs. Peut-être que cela servait à cacher son existence ?

— Peut-être même qu'il s'agissait de son arme secrète, proposa Zahya. Après tout, il aurait très bien pu lui conter un mensonge, et profiter de l'esprit malléable de cette jeune fille pour la manipuler à sa guise.

— Une arme secrète ? répéta Amérius, sceptique. Zahya, voyons...

— Oui, une arme secrète. Vous ne l'avez pas entendue ? les interrogea Assad. C'est une Sorcière, elle aussi.

Tous blêmirent.

— Dieu du ciel ! s'écria Amérius. Deux Sorcières en une génération ?

Les temps s'annonçaient difficiles. Lunera semblait être une menace encore plus grande que Darkodem.

☾☾☾

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