Partie 2 : L’éveil

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Lové dans un fourré, j’émergeais des songes brumeux de mon esprit. Quelques étirements finirent de dérouiller mes articulations engourdies puis je scrutai mon environnement. Hormis la végétation, il n’y avait trace d’aucun être vivant. J’étais à nouveau seul, comme la veille et les jours précédents.

Une fois le feu de camp éteint, je fis une ronde sommaire des alentours. Aucune présence. Je décidai alors de faire de nouveaux exercices de souplesse avant de m’installer dans un coin propice à la méditation. En position de tailleur, je me concentrai - Rappelle-toi - S'affranchir des stimuli extérieurs - S’évader de son corps charnel - Je tentais une énième fois de délester ma conscience de tout élément perturbateur. Ainsi, concentré sur ma vitalité profonde, une étincelle naquit en moi à nouveau, comme une vague lueur, mouvante et voluptueuse. Je me focalisai pour la maintenir stable et la laisser se développer. Mes poils se hérissèrent à tour de rôle et mes oreilles s’érigèrent. J’arrivai désormais à maintenir grossièrement mon lumen dans mon corps.

Étape suivante maintenant. Je devais reprendre peu à peu contact avec le monde extérieur. Un sens après l’autre, je laissai mon corps récupérer ses repères tout en gardant mon lumen éveillé. C’était l’étape la plus corsée. Il m’avait fallu plusieurs cycles lunaires avant de ressentir une once de cette force enfouie en moi. Et pour la mobiliser tout en réalisant des activités du quotidien, il me faudrait encore de l'entraînement. Je tentai donc de poursuivre l’exercice en me relevant. Ceci pourrait paraître aisé, mais je manquais encore d'expérience et mes espoirs ainsi que mon lumen s’évanouirent comme de vaines promesses.

Après plusieurs tentatives, ce fut l’impatience qui l’emporta sur ma concentration et j’exhalai un souffle en son honneur tout en m’étendant de toute ma longueur sur le duvet forestier. Je me perdis en pensées et suggestions. Je devais persévérer et répéter indéfiniment les tentatives.

Soudain, un craquement de branche mobilisa toute ma vigilance. Je n’avais peut-être pas ressenti l’être qui s’approchait, mais au moins je l’avais entendu.

  • Montre-toi mon gros, osai-je une fois redressé.

Mon protagoniste resta dissimulé, mais ses grognements le trahissaient. La forêt où nous nous trouvions était connue pour sa dense végétation, ce dont profitait le visiteur inconnu. Suspense maintenu, il me tournait autour. Je supposai toutefois l’identité de l’être qui me guettait et une fois qu’il le décida il se découvrit pour me faire face. C’était bien un ursat. Un mammifère au poil long vêtu de griffes, de crocs et de petites cornes qui lui ornaient le crâne, mais qui n’étaient pas l’argument le plus effrayant du sujet en question.

Les ursats se déplaçaient à quatre pattes, mais ils pouvaient se dresser sur celles de derrière pour étendre leur masse importante en guise d'avertissement, ce qu’il n’hésita pas à démontrer. Un beau spécimen sans aucun doute, et qui plus était, paraissait vouloir en découdre avec ma personne. J’entendis à quelques pas de notre position d'autres grognements plus juvéniles. Je compris les motivations de mon adversaire. Mais pour ma part, je n’étais pas très enclin à défier cette espèce qui avait traversé les âges et surtout qui devait peser quatre ou cinq fois ma masse.

  • Je ne vous veux aucun mal, lui assurais-je dans l’espoir d’une conciliation rapide et amicale.

Il continuait de me fixer de toute sa hauteur. Un souffle chaud s’échappait de son museau et quelques bruits rauques sortaient de son gosier. L’idée d'une simple entrevue me motiva à reculer d’un pas soigné et ralenti, ce qui eut l'effet inverse à en juger par les rugissements agressifs de mon adversaire qui me chargea en position quadrupède.

Des sueurs fébriles me vinrent et mon cœur s’accéléra. Mon corps, investi d’une chaleur et d’une vigueur musculaire soudaines, était prêt à bondir pour esquiver. Je me dérobai face aux coups de griffes. Je ne pouvais que fuir pour m’en sortir. L’ursat accéléra et je ne pus esquiver ce nouveau coup qu’en me glissant sous son corps. J’atteignis mon but et, en position accroupie, retranchée sous mon ennemi avec une jambe tendue, je fis un mouvement circulaire du corps pour heurter une de ses pattes et le faire trébucher. Rapidement, je roulai à nouveau et me mis à distance de la bête.

La lourde masse se rétablit vite et s’ancra à nouveau sur ses deux pattes arrière. Mes actions avaient été d’une efficacité étonnante. Cela n’empêcha pas mon corps d'émettre de nombreux signaux préventifs. Des frissons, des sueurs et le cœur battant en étaient les symptômes principaux. Cela aurait dû me faire prendre la fuite. Mais mon instinct avait d'autres projets, et lui qui incitait à la confrontation l’emporta sur la raison. Ce désir fortuit prit donc le dessus, et comme un sentiment de plénitude extrême, la tiédeur vivifiante qui imprégnait mon être galvanisait mes sottes pulsions.

Soudain, un nouvel être surgit du ciel pour atterrir et se figer juste devant ma position. Je tombai sur le postérieur surpris et déstabilisé par cette entrée inattendue. Je ne voyais que son dos, mais je fus rassuré dans l'immédiat. À en croire sa posture, il se tenait les bras croisés face à l’ursat et je compris que ce dernier avait stoppé sa dernière offensive. Une pression invisible semblait contraindre notre adversaire, et je n’en fus pas épargné. Comme si une charge lourde pesait sur mes épaules, je restai à terre. Seuls mes bras empêchaient mon buste de tomber plus bas.

Quelques secondes s'écoulèrent avant que l’ursat ne rebrousse chemin accompagné de ses petits.

  • Tout va bien Mars ?
  • Oui, père, répondis-je intimidé. Je n’étais pas prêt pour l’affronter.

Mon père sourit, me tendit une main pour me redresser et me réconforta.

  • Tu es encore jeune, mon fils, et en pleine progression sur l’éveil de ton lumen. Tu es surtout trop impatient.

Il avait sans doute raison et j’étais bien content qu’il soit revenu aussi rapidement de son expédition. D'ordinaire, je ne le revoyais pas avant plusieurs lunes. Avait-il senti le danger qui me guettait ?

Je restai gêné. Frustré de ne pas être encore autonome à mon âge. Frustré de ne pas être aussi fort et talentueux que ce à quoi j’aspirais. Un long chemin il me restait, je le savais. Mais quelque chose en moi n’était pas prêt pour cette attente. Je ne savais pas pourquoi, mais je me devais d’être fort aussi vite que possible.

  • Rentrons mon fils. Je crois que ces cycles lunaires d'entraînement à me suivre aux quatre coins de la région t’auront été amplement bénéfiques.

Je ne pus éviter un froncement de sourcil pour exprimer ma protestation.

  • Père. Je commence tout juste à révéler mon lumen.
  • C’est excellent fils. Ce à quoi je viens d’assister confirme ce que je pense.

Il me sourit affectueusement à nouveau.

  • J’ai eu le temps de t’observer. J'aurais pu intervenir plus tôt et pourtant je ne l’ai pas fait. Tu ne t’es rendu compte de rien n’est-ce pas ?

Je restai muet et buvais ses paroles.

  • Tout au long du combat, tu as maintenu ton lumen, certes avec maladresse, mais avec continuité dans ton corps. Il te reste maintenant à le faire au gré de ta volonté. Et pour ça, nous avons tout le chemin du retour pour t’exercer.

Je regardais mon père avec un air aussi crédule que bête. C'était donc ça.

  • Rentrons au clan maintenant et retrouvons ta sœur qui doit s’impatienter de nous retrouver.

J'acquiesçai. Ma satisfaction personnelle fut éphémère. L’image de ma sœur me revenait à l’esprit. Lune. Cela faisait trois cycles lunaires que nous n’étions pas rentrés au clan. En rentrant, je pourrai lui montrer ma progression.

°°Des termes propres, sont utilisés par les Oraï pour découper le temps.

Dans leur langage, une révolution totale de la Terre sur elle-même équivaut à un sôl, autrement dit à une journée.

Un cycle lunaire, qui correspond à une période de succession des différentes phases lunaires, est l’équivalent de vingt-neuf sôls.

Enfin une rotation totale de la Terre autour du Soleil est segmentée en solstices ou équinoxe en fonction de sa position dans le ciel. Les Oraï emploient fréquemment le terme de solstices pour se repérer dans le temps.°°

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