Partie 2 : Affrontements
Après la séance de visions cosmique, Mars et moi découvrions le réel intérêt de nos traditions. Une marée de mains s'érigeait vers le manteau céleste et nous en fîmes partie. Mes capacités sensorielles me permirent d’entrevoir l’invisible. Les lumens délivrées par les différents membres qui se trouvaient proche de moi m'apparaissaient tels de fins voiles transparents. Chacun avait ses spécificités et était doté d’une couleur unique cristalline. Ils s'élevaient avec majesté jusqu’à leurs origines dans les méandres du vide. Dans l’infini astrale aux origines du tout et du rien. Ce spectacle spirituel était magnifique pour mes jeunes pupilles et cet échange avec nos astres me fit beaucoup de bien.
La fête reprit ensuite son cours habituel. Notre feu stellaire n’avait cessé de virevolter d’étincelles crépitantes. Certains dansaient autour de ce dernier quand d’autres continuaient de se délecter. Les plus jeunes s’amusaient ou imitaient leur modèle se voyant déjà doué d’une grande maîtrise de leur lumen.
La soirée était bien avancée. La constellation du Sagittaire dominait désormais ses sœurs étoilées. L’heure des hostilités était donc venue. La partie préférée de mon frère. Ces combats singuliers, événement propice au spectacle et au divertissement, restaient des confrontations amicales dont le but était une nouvelle fois de célébrer nos étoiles-mères respectives. Mais c’était aussi l’occasion opportune de montrer de quoi on était capable. Intercrus, de son œil sévère, avait pour habitude de scruter chaque affrontement. Ce fut des Oraï d’âge mûr mais jeune qui inaugurérent les combats, Cerebos et Myrmo.
Le terrain d’entraînement qui accueillait les confrontations était sobre. Un grand cercle de bonne envergure était tracé au sol, quelques arbres avaient été plantés pour l’occasion ainsi que quelques rochers posés aléatoirement. Un petit étang artificiel avait été créé en guise de source aquatique.
Ce premier affrontement fut élégant et plaisant. Les coups portés n'avaient pas pour but de blesser mais cela n'empêcha pas des échanges intenses. L’élément du feu avait été créé par Myrmo lors de la confrontation. Je repensais à ce qu'Intercrus m’avait expliqué et je comprenais désormais pourquoi, lors de certains combats, des éléments étaient manipulés selon le bon-vouloir de son hôte. Il faudrait que Père nous explique cette notion d'élément affin.
D’autres affrontements suivirent. Au fur et à mesure les Oraï plus âgés se prêtèrent à l’exercice et l’intensité monta d'un cran. Certaines rivalités fraternelles étaient bien connues et certains duels ne furent donc pas surprenants, comme par exemple l’escarmouche entre Encelade la musicienne et Callisto.
Encelade était une Ora exceptionnelle de la génération de notre père. Son nom eut fait partie de la liste des prétendants au titre de Gardien aux côtés de ce dernier avant qu’il ne soit élu. Elle était assez grande, ses longs cheveux bruns bouclés, et son expression affichait la sérénité d’une personnalité confiante. Callisto était son compagnon de vie. Il avait une chevelure noire, ordonnée en arrière et au moins aussi longue qu’elle mais totalement lisse. Il n’était pas en reste en matière de capacité spirituelle. Je suspectais désormais qu’il soit du domaine élémentaire en raison de l’apparition de plusieurs essences naturelles lors de ses combats par le passé. Ce couple, qui adorait se mesurer l’un à l’autre, impressionnait l’assemblée lors de leurs ébats combatifs.
Même si aucune blessure grave n'était à déplorer, certains combattants et combattantes ressortaient avec des abrasions et des égratignures sans conséquences.
L’animation était réussie. Mars, captivé comme à l'accoutumée, ne se laissa pas distraire un seul instant pour profiter de chaque duel martial. De mon côté, avec mes nouvelles compétences, je m’impregnais des techniques et subtilités de nos aînés. Côte à côte, nous commentions certains enchaînements, émerveillés, parfois surpris des pratiques employées. Nous avions à cœur d’évoluer, et notre progression passait par l’observation des Oraï qui nous étaient supérieurs. J’aurai voulu participer, mais je savais que je n’avais pas encore ma place.
Puis ce fut au tour de Neptune, notre Père de prendre part à l’animation. Il s'avança, égal à lui-même, dégageant une décontraction joviale presque arrogante. Sa gaieté charismatique à toute épreuve était communicative et sa gentillesse attirait la sympathie malgré lui et sa maladresse légendaire. Le village entier l’estimait au delà de sa force spirituelle nous avait confié Titania. Pourtant son regard droit pouvaient parfois déstabiliser lorsqu’il se tentait à plus de rigueur. Nous avions hérité, mon frère et moi, de la couleur ambrée caractéristique de ses iris et de son espièglerie. Il portait un pantalon en cuir et était ceinturé par la taille et le cou de colliers de plumes et de dents. Lui aussi avait le thorax découvert avec un symbole spécifique tatoué dans le dos, tout comme Intercrus.
À sa nomination, la foule s’anima. Il était rare qu’il se représente lors des combats stellaires. Qui allait affronter le Gardien ? La réponse ne se fit pas attendre. Tout en progressant vers le terrain, il avait fait un geste explicite en notre direction et plus précisément en direction de Mars. Stupéfié, il resta étourdi par ce que ce geste suggérait. Tout autant surprise, je lui mis une tape dans le dos pour le réveiller et le motiver. Je lui glissais quelques mots dans l’oreille pour le réveiller : « Donne tout ce que tu as, je suis avec toi ». Il s'avança d’un pas hésitant, dépassa Titania et sa robe cérémoniale qui se tenait debout les mains sur les hanches. Son expression se voulait rassurante et fière. On entendit des encouragements tels que « Montre lui qui tu es Mars » ou encore « Vas-y en douceur avec ton père ». Je connaissais suffisamment mon frère pour savoir qu’en son for intérieur il était déstabilisé tout autant qu’il était excité. Nous savions tous, lui y compris, qu’il ne pourrait réellement faire égal à égal avec notre Père. Mais le but n’était pas de le vaincre.
Une fois face à face sur le terrain, un air satisfait s’afficha sur sa figure. Je sentis son lumen grandir avant même qu’il ne prenne une posture offensive. Son expression changea. Sa concentration était au rendez-vous. Je sentais que son énergie était plus stable, ce qui était sûrement dû à sa pierre d’âme. Son lumen n’en demeurait pas moins impressionnant. De son côté, je ne percevais aucune infusion d’énergie chez notre Père. Du moins de ce que je pouvais en percevoir.
Il laissa son adversaire engager la confrontation. Mars sauta en sa direction avec l’espoir de lui mettre un cou direct. D’un revers de la main notre père stoppa l’assaut grossier et repoussa son assaillant à distance. Il s’agissait d’un échauffement. Même si Mars était du type renforcement, il en faudrait plus pour faire bouger le Gardien d’Orion. Des exclamations et des encouragements se firent entendre. Mon frère modifia sa posture. Il se dressa droit, inclina la tête et ferma les yeux tout en serrant son poing dans son autre main, les coudes relevés à l’horizontal. Il concentrait son lumen. Puis il chargea avec soudaineté en abaissant son centre de gravité au maximum, à nouveau sans subtilité apparente. Du fait de la différence de taille, Pére dut fléchir les jambes pour contrer le nouveau coup de poing qui lui était destiné. Une nouvelle fois sa paume de main vint stopper l’attaque et il poursuivit son geste défensif vers l'extérieur dans un mouvement rotatif. Le corps de Mars fut imprimé d’une rotation et finit à revers. Il réagit promptement en prenant appui de son autre main sur le sol, et tête renversée par rapport à la scène, il tenta un coup de pied pour riposter. Il échoua. Père avait effectué un pas de côté trop rapide et Mars termina son action d’un mouvement de ressort du bras pour se projeter et atterrir sur ses deux pieds.
Il n’y avait aucun doute. Mars était bien plus à l'aise pour le combat que pour notre danse rituelle. Maintenant qu’il manipulait mieux son lumen, sa gestuelle et ses mouvements étaient beaucoup plus efficients.
Le combat se prolongea selon le même schéma. Père se cantonnait à éviter les attaques, mais Mars ne fléchissait pas et continuait sa démonstration de force. Le public était surpris et impressionné. Ce ne fut pas mon cas. Titania gardait son air enjoué les bras croisés. Puis Père changea d’attitude. Lors d’une nouvelle attaque de son fils, il ne prit pas de posture défensive, au contraire il resta stoïque, et son lumen se mit à rayonner dans mes pupilles comme s'il se matérialisait. Mars ne pouvait percevoir ce que je ressentais mais la masse énergétique qui l’enveloppa soudainement le fit tressaillir et son corps parut se contracter. Il sentit que la fin du combat approchait, et dans le prolongement de son offensive il profita de l’inaction de notre Père pour lui porter un coup de poing puissant dans l’abdomen. Mon frère avait mobilisé beaucoup de force dans cette action qui aurait fait chanceler n’importe quel adversaire. Il n’en fut rien. Père avait encaissé le coup sans frémir, puis d’un mouvement imperceptible il s’abaissa, arma son bras droit, et donna un coup similaire dans le ventre de Mars. Son corps se courba, son gosier régurgita et il fut projeté dans les airs. En dehors du coup, pas un bruit ne se fit ouïr. Une nouvelle fois, le lumen de notre Gardien, m’avait donné des frissons et les yeux de Titania s'étaient mis à pétiller d’une autre intensité. Il lui faudrait peu de motivation supplémentaire pour venir défier notre Père mais la séance de vision cosmique l’avait vidé de son énergie. Elle s’en plaignait à chaque fois et regrettait toujours de ne pas participer aux combats.
Père réceptionna Mars dans ses bras avant même qu’il ne chute au sol. Il lui susurra quelques mots et montra toute l’attention dont il était capable. C’était la première fois qu’il portait un tel coup sur un des enfants. Même si ce n’était pas inhabituel lors de nos combats, je pouvais percevoir une once de culpabilité dans son regard. Il félicita Mars, le remit sur pied, se tourna face à la foule en lui levant haut le bras, un sourire large affiché. Le village entier s’exclama.
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