Chapitre 2: Le retour de Hélia

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Ces yeux dorés qui brillent dans l'ombre de cette nuit de novembre...

...Cette pierre noire que je n'avais jamais touché auparavant.

— Damaris...

Cette dernière se réveilla en sursaut, des bouffées de chaleur remontant sa colonne vertébrale, alors qu'un air glacial caressait sa peau brûlante.

La voix efféminée et provocatrice se répéta, ajoutant à son exclamation un gloussement enfantin.

Malgré ses yeux ouverts, Damaris ne discernait rien autour d'elle, et ne reconnaissait pas cette voix qui l'appelait. Apeurée, l'adolescente posa ses pieds nus à terre et les releva abruptement en ressentant la fraîcheur anormale du sol.

Finalement, sa vue s'ajusta et ses yeux s'exorbitèrent lorsqu'elle réalisa qu'elle se trouvait dans son lit, en plein milieu d'une large forêt de haut féviers épineux et d'érables, dont les feuilles mortes jonchaient le sol.

Damaris s'accroupit sur son lit et tendit une main vers le sol pour y happer une feuille, qui, fragile, s'émietta dans ses mains.

Certaine qu'il s'agissait d'un rêve, elle s'installa à nouveau dans son lit, les doigts encore engourdis par la fraîcheur des feuilles mortes, et elle réussit finalement à s'assoupir.

— Vous n'auriez jamais dû ! hurla une voix lointaine et grésillante.

Autour de l'adolescente, des voix se mêlaient, s'évanouissaient, toutes des murmures crépitant qui formaient des vagues de son, jusqu'à ce qu'elles ne forment plus que le bruit soulageant d'un courant d'eau.

Finalement, une lumière infime, une étincelle dans la pénombre se discerna, et sans pouvoir se maitriser, comme spectatrice de ses actes, elle se dirigea vers cette étrange lumière.

Autour de ses pieds, comme si elle marchait dans une flaque d'eau immense mais peu profonde, des halos subtils se créaient, enluminés par cet étrange éclat surnaturel, et semblant continuer à l'infini, jusqu'à ce qu'ils ne soient plus éclairés par la faible émission.

Devant cette dernière, qui était en fait semblable à une orbe incandescente, Damaris porta une main prudente et sentit, au contact de la lueur, une légère chaleur réconfortante.

Après quoi la clarté emplit la pièce et elle se trouva, quelques secondes plus tard, dans un cabanon chaleureux.

Reprenant ses esprits, elle regarda brusquement autour d'elle, perdue et affolée, lorsqu'elle reconnut, en face d'une cheminée, la mine renfrognée et blême de Mme. Beaumont.

D'ardentes flammes se reflétaient dans les verres de ses lunettes en demi-ovales, elle se tenait dos à un canapé poussiéreux sur lequel se tenaient fièrement Irène et Arthur.

Papa, Maman? Mais, qu'est-ce que vous faites avec elle ?!

Elle sentit des larmes piquer ses yeux à la vue de ses parents décédés, mais aussi parce qu’elle avait l'impression d’avoir été trahie, comme s'ils avaient fait en sorte que son chemin croise celui de la gouvernante du foyer.

A la fois effarée et impatiente, elle tenta d'avancer vers eux, mais à la manière de sa démarche antérieure, le monde sembla se déformer, rebondissant tel les halos qui se formaient à ses pieds et l'empêchant de traverser ce mur invisible qui la séparait d'eux.

— Vous, n'auriez, jamais, dû.

Gronda sombrement la principale, le regard figé dans les flammes vives consumant un tison de bois solitaire. Après quelques instants de silence, Arthur se leva promptement:

— Et qu'étions-nous censés faire au juste?

— Avorter ! aboya la vieille femme en se retournant et soutenant son regard dans celui du parent. Vous n'aviez qu'un seul job, et vous avez échoué misérablement !

— Je ne te le permet pas Clotilde ! s'exclama vivement Irène depuis le canapé, incapable de se relever dû à son ventre démesuré, contenant Damaris.

— Vous avez intérêt à arranger les choses. Répondit durement Mme Beaumont. Si c'est une fille, je la tuerai.

Damaris eut un mouvement de recul léger, fronçant les sourcils et écarquillant les yeux, blessée d'entendre de telles paroles sortir de la bouche de la gouvernante. Même si elle savait qu'elle ne l'appréciait pas, elle avait eu l’espoir qu'elle ne la haïsse pas au point de lui souhaiter la mort.

— Et tu crois sérieusement que l'on va te laisser faire?

— Vous n'aurez pas le choix. Elle sera vouée à l'échec. Une fille est maladroite, jalouse, et elle risque de complètement bouleverser l'équilibre.

— Il n'y a plus d'équilibre Clotilde ! Ouvre les yeux, nous avons tout perdu !

— Vous, vous avez perdu. Je n'ai fait que vous guider, mais c'est vous qui aviez cette décision à prendre, c'est vous qui avez créé cela ! elle pointa le ventre d'Irène de l’index dans un geste méprisant, Et regardez où vous nous menez tous encore avec cette fille...

— Je t'interdit de lui faire du mal. N'oublies pas quelle est ta place. Dit durement Irène à son tour, ses yeux se teintant d'un léger éclat vert bouteille.

— Vous serez incapable de l'élever.

— Mon frère s'en occupera.

— Arthur, vous savez aussi bien que moi qu'il ne fera pas long feu, il est faible, et ce n’est qu’un piètre Ecimaïs. Je m'occuperai d'elle, je m'occuperai de garder sa flamme vive, j'accroîtrai son pouvoir jusqu'à ce qu'elle soit prête. Vous n'avez pas le choix. Maintenant, sortez.

Derrière elle, les flammes de la cheminée semblèrent imploser, leur lumière emplissant la pièce fortement, dédoublant de taille. Lorsqu'Irène attrapa doucement le poignet fermé de son mari, le feu diminua jusqu'à complètement s'éteindre:

— Nous n'en avons pas fini, Clotilde. Ne pense pas crédulement pouvoir t'approprier Damaris. Elle-même grandira, et deviendra trop forte pour toi. Elle se battra contre toi, elle sera une Aoutamaïs redoutable, et tu ne devrais pas nous sous-estimer.

— Vous ne serez plus là pour le savoir.

— On sera toujours avec elle, peu importe ce qui nous arrive ou ce que tu lui fais.

Sur quoi les deux parents, renfrognés comme l'était premièrement Mme Beaumont, se dirigèrent vers la porte d'entrée, qu'ils ouvrirent. Dehors, il neigeait, dans une forêt de féviers épineux.

Elle se réveilla en sursaut, et fut soulagée de se retrouver dans sa chambre, bien qu'incapable de se mouvoir.

Dans un coin de sa chambre, une ombre humanoïde se distinguait, deux yeux or brillaient tel deux orbes dans la pénombre:

— Damaris... Tu dois partir d'ici. Dit la chose d'une voix grésillante et douce bien que rauque.

— Qui êtes-vous ? articula-t-elle difficilement, horrifiée. Je veux me réveiller... Je veux me réveiller! mais ses yeux ne se fermèrent pas, bien que quelques larmes en coulèrent.

— Je suis un ami. Je suis ton ami, fais-moi confiance... Suis Hélia.

Après quoi, enfin, ses yeux se fermèrent et elle put se rendormir.

Lorsqu'elle se réveilla quelques heures plus tard, en fermant le poing, elle découvrit une feuille morte d'érable émiettée, qui, comme une fine poussière, s'envola, ne laissant comme trace que quelques morceaux difformes.

Elle prit une douche dans l’espoir d’oublier son rêve, mais voyant son inefficacité, elle se convainc d’aller en parler à Mme Beaumont, pensant que certainement elle en aurait une interprétation qui se rapporterait à la magie dont elle lui parlait constamment.

Elle attendit bien cinq minutes ainsi avant de voir Hélia expulsée du bureau, une grimace de colère puis de désespoir au visage.

L'adolescente attira son amie à elle, surprise de la voir ici.

— Tiens! s’exclama Hélia en contenant des larmes, Salut Damaris. Bien dormi ? Ce n'est pas ton genre, d'habitude, de faire la grasse mat'.

— Qu'est-ce qu’il se passe?

— Rien... Un des agents d'entretien a trouvé Lucky dans ma chambre et le lui a ramené. Elle veut le mettre à la fourrière.

De petites larmes coulèrent sur les joues de son amie, cela lui fit mal au cœur.

— Et puis. Elle veut que je parte. Elle veut me trouver un autre foyer, loin d'ici...

— Tu rigoles?! elle n'en croyait pas ses oreilles.

Elle soutint son amie qui s'effondra sur le sol, en larmes.

— Non. Elle veut que je parte d'ici et elle veut mettre mon chiot à la fourrière... Damaris, je peux te-

Elle fut coupée par Mme Beaumont qui sortit la tête de la porte. À la vue de Damaris, elle esquissa un court sourire statique. Celle-ci se dirigea vers la porte après avoir assis Hélia.

Elle toqua. Quand la porte s'ouvrit, le sourire de Mme Beaumont avait disparu.

— Tiens! Te voilà toi. Tu vas refaire le test d'hier, et tu n'as pas intérêt à tricher à nouveau, c’est très sèrieux.

Sans dire un mot, Damaris entra et s'assit sur le fauteuil de droite. Elle attendit que Mme Beaumont s'assoit à son tour et sorte les pierres qu'elle disposa en cercle. Cette fois, elle avait retiré la pierre noire.

Elle pointa la pierre jaune d’un doigt tremblant de vieillesse:

— Raconte-moi ce que tu sais de cette pierre.

— J’ai des questions pour vous.

— Concernant… quoi ? la directrice ricana. Je ne répondrais pas tant que tu ne fais pas ce que je te demande.

Damaris fixa la pierre jaune.

Elle ne voulait plus faire ce que Mme Beaumont disait, elle ne voulait plus vivre dans cet endroit pourri, elle ne voulait plus devoir se lever à l'aurore et travailler toute la journée, elle voulait s'en aller, elle voulait des réponses, elle voulait être libre !

La pierre cassa en trois morceaux.

Mme Beaumont s'était arrêtée de rire et regardait celle-ci avec un mélange de surprise et d'inquiétude, tout comme Damaris.

— Je savais que cette satanée pierre n'aurait jamais dû atterrir entre tes mains… Il est temps…remarqua la principale.

Quelque chose sembla se passer dans cette pierre. Une sorte de lumière émergea de celle-ci. Presque comme un groupe de petites étoiles. Cette lumière lévitait désormais au-dessus de la pierre et fonça violemment vers elle avant de s’éparpiller dans l’air et disparaître.

Les deux femmes regardaient tantôt la pierre et l’air autour d’elles. Damaris se releva brusquement, confuse et apeurée.

— Répondez-moi maintenant ! elle était au bord des larmes, elle n'avait plus la force de se montrer stoïque. De quoi parliez-vous avec mes parents ce soir-là !? En Hiver dans ce chalet perdu dans la forêt ? Vous les connaissiez déjà avant ma naissance ?! est-ce que ça a un rapport avec votre…histoire de magie ?

— Tu l'as vu? Impossible, non ce n'est pas possible... Ses yeux étaient grand ouverts, sa bouche entrouverte.

— Répondez! hurla Damaris avec effroi. La pierre violette se brisa à son tour.

— Arrête ça ! Je vais répondre ! ordonna Mme Beaumont avec surprise, mettant deux mains devant elle pour la calmer.

Damaris s'assit à nouveau et retint ses larmes.

La directrice récupéra rapidement les pierres qu'elle fit glisser jusqu’au second tiroir à nouveau.

— Alors?

— On parlait de toi.

— Je veux savoir ce que vous entendiez par toutes ces paroles insensées. Ça a un rapport avec les pierres, hein ?

— Oui. Damaris… j’aurais beau te l’expliquer, tu ne me croiras pas.

— Répondez simplement.

— Très bien. Libre à toi de le croire. Tu as hérité d'un pouvoir de tes parents. Un pouvoir psychique très puissant. Ces pierres me permettent de savoir si ton pouvoir est toujours aussi bon et si je peux encore le contenir.

— C'est insensé, je veux la vérité ! la pierre rouge se brisa, assez bruyamment pour que Damaris se calme momentanément.

— C'est la vérité ! C'est l'unique vérité et c'est celle que je te donne. Elle haussa le ton, mais sa voix était cassante.

— Vous avez dit à ma mère qu'elle aurait dû avorter. Pourquoi vous me haïssez tant?

La principale avait une capacité à répondre et réfléchir si rapidement que cela enrageait l'adolescente.

— Il fallait qu'ils aient un garçon. Les filles ont un pouvoir plus instable, il est dangereux entre leurs mains. Les pierres t'épuisent à chaque fois, n'est-ce pas ? C'est à cause de la pierre noire. Elle aspire l'énergie d'un être à ses côtés. Je dois l'utiliser pour éviter que ton pouvoir t'échappe.

— Qu'est-ce qui est arrivé à mes parents ? Je suppose que vous le savez. Elle croisa les bras contre sa poitrine.

— Je sais uniquement ce qui est arrivé à ton père…

— Vous mentez.

— Non. Elle soutint son regard perçant dans les yeux de Damaris.

La vieille femme soupira, ses paupières s’affaissèrent alors qu’elle se dirigeait vers la porte du bureau, qu’elle ouvrit :

— Hélia, vient, s’il te plaît…

Cette dernière apparut, sans paraître trop frustrée de se trouver à nouveau avec la principale, qui l’a fit s’assoir.

Elle adressa un sourire attendri à son amie, qui contenait encore sa peur et sa soif de réponses. Mme Beaumont ferma la porte à clé :

— Damaris… Hélia va te faire une démonstration de magie.

Damaris pouffa et accorda un regard complice à sa meilleure amie, qui semblait concentrée.

Puis un mouvement en périphérie de sa vision l’attira. Ses yeux s’exorbitèrent lorsqu’elle découvrit que le contenu des grandes armoires vitrées de la professeure lévitait, comme envouté. Les feuilles et stylos se soulevaient du bureau pour s’éparpiller autour d’elles. Bouche-bée, elle se répétait que ce n’était qu’une hallucination. Mais une part d’elle retraçait tout son chemin dans son esprit : les pierres qui avaient une histoire, l’urgence de récupérer Lucky, les yeux verdoyants de sa mère, qu’elle avait déjà vus d’elle-même, et les rêves…

— C…C’est bon… expliqua-t-elle sur un ton défaitiste. Je vous crois.

Elle n’était pas complètement sûre de l’aspect véridique de ses paroles, une part d’elle doutait encore. Mais les objets revinrent doucement en place et Hélia rouvrit les yeux en reprenant son souffle.

— Merci Hélia. La félicita la principale en souriant.

L’adolescente se tourna vers la jeune fille, toujours bouche-bée :

— J’ai menti. Un bon nombre de fois. Et tout à l’heure notamment. Expliqua-t-elle honteusement.

— En effet. Ajouta la principale : Hélia sera envoyée dans une école magique dans trois jours, pour préparer le terrain.

Damaris, encore sous le choc et mitigée, fronça les sourcils :

— Comment ça ?

— Elle prépare le terrain pour ton arrivée, je vais t’y envoyer, aussi.

L’adolescente laissa échapper un gloussement nerveux, toisant tour à tour sa meilleure amie et la gouvernante :

— Vous rigolez, hein ? Je veux dire… Je… Je crois que je dois sortir.

Compréhensive, la principale déverrouilla la porte et la laissa partir, accompagnée de Hélia. Elle ne se parlèrent pas avant de rejoindre la cantine, où elles s’assirent avec Harvey.

— Harvey? demanda Damaris, ayant retrouvé le sourire.

— Oui? répondit-il vivement comme sorti d'un rêve, haussant les sourcils.

— Tu n'avais pas un petit quelque chose pour Hélia? elle lui fit un clin d'œil complice.

Les yeux de celui-ci s'illuminèrent et il fouilla rapidement la poche de sa veste vert kaki. Il en sortit rapidement le bracelet du jour précédent, qu'il tendit, admiratif, à son amie.

Elle lui fit une grimace de surprise puis accepta le cadeau en le remerciant. Elle le mit rapidement à son poignet. Damaris abaissa le regard vers sa tasse de café et son croissant. Elle n'avait pas faim aujourd'hui...

Trop d'émotions... Et je ne veux rien d'amer, ça ne fera qu'empirer les choses.

Elle se rendit dans sa chambre et s'affala sur son lit, quittant soudainement ses amis.

La journée avait été longue et laborieuse.

***

Le lendemain, remise de ses émotions, elle rejoint ses amis pour déjeuner.

Elle aperçut Harvey à une table, solitaire et remuant son yaourt avec lassitude. Elle attrapa son plateau, remercia poliment Bierce, une des cantinières, et regarda un moment son repas avec dégoût. Il s'agissait d'une purée de patates douces ainsi qu'une bouillie non-identifiée semblable à ce que quelqu'un aurait pu dégobiller.

En entrée, on lui avait servi de la charcuterie, et en dessert, un porridge.

Elle releva les yeux de son plateau et vit soudainement Hélia poursuivant Lucky.

Elle déposa son plateau sur une table à ses côtés avec affolement alors que le chiot se dirigeait à toute allure vers elle.

Tous les résidents et les cantiniers regardaient le petit husky courir à toute allure.

Le chiot rendait soit hilare, soit indifférent les plus jeunes, faisait glousser les plus grands et inquiétant les cantinières.

Damaris comprit bien vite pourquoi le chiot se dirigeait vers elle. Il ne se dirigeait pas vers elle mais vers ce qui se trouvait derrière celle-ci : les entrées.

Elle réceptionna Lucky par la taille et le souleva dans ses bras. Celui-ci se débattit et couina légèrement avant de se calmer à l'approche de la main de Hélia, lui tendant une tranche de jambon.

— Damaris! Oh, merci, merci infiniment ! Maintenant suis-moi!

Elle l'empoigna et la fit courir jusqu'à la bibliothèque. Tout le monde les regarda passer et Harvey se leva de table quand il les aperçu.

Damaris dû s'arrêter, à bout de souffle. Elles étaient dans le couloir principal et risquaient de tomber malencontreusement sur un agent voire Mme Beaumont elle-même.

Quelques secondes passées, Harvey apparut et il enlaça le chiot avec minutie.

Puis Hélia continua sa course effrénée jusqu'à ce qu'ils soient dans la cour, ralentissant tout de même un peu son allure.

Ici, ils s'assirent sur le goudron et relâchèrent Lucky.

— Qu'est-ce que c'est que ce bordel Hélia !? demanda Damaris avec inquiétude, reprenant difficilement son souffle.

— Damaris. Commença-t-elle avec sérieux, Si je devais quitter cet endroit, et notamment aller à Brigles… l’école magique dont on a parlé hier, tu viendrais avec moi ?

Il y eut un long moment de silence, on n'entendait plus que les gloussements de Harvey alors qu'il jouait avec le chiot. Et le lointain brouhaha des résidents au réfectoire.

— Je ne peux pas laisser Harvey ici.

— Très bien… Ce que Mme Beaumont a omis de dire, c’est que je partirai certainement pour… quelques mois.

— Et ça après m’avoir promis que tu ne repartirais plus… rétorqua-t-elle en soupirant, exaspérée.

— Je… Je sais, je suis désolée. C’est pour ça que j’avais besoin de récupérer Lucky si rapidement.

La tête de Harvey se tourna légèrement au son du nom du chiot, lui-même avait dressé ses oreilles, droites comme un pic.

Puis ils se remirent à jouer.

— Pourquoi est-ce que c’est à toi d’aller là-bas ? demanda Damaris, légèrement révoltée.

— Je… elle gloussa : Parce que tu comptes beaucoup pour moi. Avoua-t-elle avec un sourire en coin.

Elles ricanèrent un peu, mais Hélia reprit rapidement un visage sérieux.

— Lucky non ! cria-t-elle alors que le chiot se dirigeait vers un tas de feuilles gelées, il entreprenait certainement de le gravir.

Damaris sembla abattue. Quelque chose lui disait que finalement, elle n'avait pas besoin d'expliquer tous ces sentiments étranges à Hélia, qu’elle les comprenait peut-être bien.

— Bon...Je dois aller préparer mes affaires pour la semaine prochaine, histoire d’être sûre d’avoir tout ce dont j’ai besoin, je passerai sûrement te voir avant de partir, à moins que Mme Beaumont ne tente de me rattraper.

Plus personne ne s'exclama. Harvey arriva avec le chiot endormi dans ses bras. Hélia le remercia avant qu'il ne s'étreignent tous les trois.

Damaris regretta un peu d’avoir décliné son offre de venir avec elle, mais elle ne pouvait pas laisser Harvey ici.

***

Elle se coucha morose et avec l'appréhension de revivre un cauchemar aussi étrange que la nuit antérieure. L'adolescente préféra alors, avec un peu de honte, laisser sa lampe de chevet allumée pour la nuit.

Elle se retourna dans ses draps alors que la porte s'ouvrait lentement. Elle la regarda avec confusion, dubitative et inquiète, puis, voyant qu'il s'agissait de Harvey, elle se releva. Celui-ci tenait dans sa main sa peluche de petit tigre et il se frottait frénétiquement les yeux.

— Qu'est-ce qui se passe Champion? demanda-t-elle en chuchotant.

— Je peux dormir avec toi ? répondit-il avec honte.

— Bien sûr. Susurra-t-elle avec un sourire tendre.

Elle ouvrit ses draps pour l'inviter à s'allonger. Elle aussi pensa avoir besoin de quelqu'un avec qui dormir cette nuit.

Harvey se glissa rapidement dans les draps dans son pyjama aux motifs de dinosaures qui lui donnait un air bien plus jeune qu'il ne l'était. Il se rapprocha finalement de Damaris et la câlina en s'endormant.

Elle était heureuse d'être avec lui, ça la rassurait.

***

Après une longue matinée de travail, à se faire bousculer parmi des troupeaux d'adolescents, humant leurs effluves de déodorant, menthol et sueur et à ressasser ce qu'il s'était passé la nuit du Mercredi, elle se fraya un chemin parmi les élèves et s'extirpa du lycée. Elle attendit une dizaines de minutes, car il n'était que onze heures et demie, et se retrouva enfin seule sur le parvis, en la compagnie unique d'un adolescent qui la troubla légèrement:

Habillé d'un sweatshirt noir à capuche, la partie basse de son visage -étant la seule qu'elle puisse voir- semblait renfrognée. Et il semblait l'épier depuis sa position, ce qui la décida à se rendre au café pour le déjeuner, cherchant la sécurité d'un endroit qu'elle connaissait.

Elle s'y rendit à pied, et fit la queue au comptoir jusqu'à ce que son tour vienne, soulagée:

— Eh bien ! Ne serait-ce pas ma petite Dams !?

— Salut Camille. Répondit-elle avec un sourire discret.

Il tendit une main vers elle, l'invitant à frapper dedans. Elle lui rendit son tape-cinq, après quoi il adopta une expression satisfaite et un visage moins tendu.

— Tout va bien ma grande ?

Camille, le responsable de l'unique café de Llyne, était un grand Sénégalais de quarante-trois ans.

Sa carrure svelte, son crâne chauve, sa barbe noire abondante ainsi que son caractère protecteur et jovial lui créaient un portrait de parent que Damaris et Hélia trouvaient adorable. Ses yeux étaient d'une belle teinte olive et sa grande taille, sa chemise de bûcheron et son pantalon noir lui rappelaient un peu Hagrid dans Harry Potter.

— Ça va, un peu fatiguée. Avoua-t-elle avec un faible sourire.

— Ah, le lycée... Tu sais ce qui te reboosterai ? Un bon capuccino.

Sans même attendre une réponse, il disparut derrière un rideau et commença à concocter son célèbre capuccino.

Regardant autour d'elle, ennuyée, Damaris remarqua que le café était presque vide, seules quelques tables étaient occupées par un couple de jeune femmes partageant une forêt noire ; un homme distingué buvait goulument un café en regardant par la baie vitrée ; et une mère et son enfant mangeaient froidement, l'une un sandwich et l'autre un pot de purée.

Quelques minutes plus tard, ce ne fut pas Camille qui émergea des cuisines mais un jeune homme, qui lui tendit son capuccino.

Alors qu'il lui tendait sa boisson, leurs doigts s'effleurèrent un infime instant et, comme un choc électrique, elle retira sa main, renversant le café glacé sur le comptoir et ses vêtements.

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