Chap 1-1 Mila 

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J'avais deux ans lorsque mes parents m'ont eue, et les seuls souvenirs que j'ai de cette période s'apparentent à des rêves. Quelqu'un me porte. Il y a de l'eau à proximité et je grelotte. Je suis dans les bras d'un homme qui court, et j'ai la tête pressée contre son épaule, si fort qu'elle se cogne douloureusement à chacun de ses pas. Je sais qu'il s'agit d'un homme à la façon dont il me porte. C'est une chose qui ne leur vient pas naturellement.

Il fait nuit, je me rappelle les lumières. Et les voix. Je me rappelle que je tremble, effet de la peur et de l'humidité. Puis on m'emmitoufle au chaud, mes frissons s'atténuent et je m'endors.

Suivent d'autres fragments de rêve : je suis ailleurs. Une femme m'explique qu'elle est « maman » maintenant, avant d'indiquer le visage d'un homme penché au-dessus du mien et de me dire qu'il est « papa » maintenant. Ils ne sont pas mes parents, cependant, ils ne le seront jamais, tout comme les mots qu'ils prononcent ne sont pas les miens et ne le deviendront jamais. C'est ce qui explique mes problèmes.

Je ne parle pas. Je me contente de marcher, de montrer du doigt et d'observer. Je ne fais aucune difficulté, j'obéis à tout. Ce qui ne m'empêche pas de nourrir des terreurs que les autres enfants ne connaissent pas.

Plus que tout, je crains l'eau, ce qui a causé des ennuis dès le début. Je vis en effet avec la maman et le papa dans une maison en haut d'une falaise, dominant de l'eau à perte de vue. Toutes les fenêtres donnent sur l'océan, rien que sur l'océan. Pour cette raison, je veux rester cloîtrée à l'intérieur, sauf que ce n'est pas possible pour un enfant : il faut aller à l'église, passer du temps en famille et, plus tard, s'inscrire à l'école.

Je ne fais aucune de ces choses. Ce n'est pas faute d'essayer. La maman et le papa tentent de me forcer.

D'autres gens aussi. Nos efforts à tous se soldent par un échec.

Voilà comment je finis par me retrouver très loin de là, dans un endroit où l'eau ne m'encercle plus. Il y a des gens qui me bousculent. Ils me remuent dans tous les sens. Ils parlent de moi comme si j'étais absente. Ils me filment. Ils me soumettent des photos. Me posent des questions. Pendant toute la durée de ces examens, je n'entends qu'une seule phrase, en boucle : « Vous devez faire quelque chose pour elle ! Nous vous l'avons amenée pour cette raison ! »

Si les mots ne signifient rien pour moi, je reconnais dans leurs sonorités une forme d'adieu.

Et je reste dans cet endroit loin de l'eau, où j'apprends les rudiments de ce qui passe pour la vie humaine.

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