Chap 1-2 Mila

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Rester propre et se nourrir. Mon apprentissage ne va pas au-delà.

Je suis capable d'accomplir une tâche simple si on me montre exactement les gestes à faire : on en déduit que ma mémoire n'est pas le problème. Personne ne dépassera jamais ce constat. On me colle l'étiquette d'« énigme vivante». C'est une bénédiction, apparemment, que je puisse au moins marcher, me nourrir et me laver. Une occasion de se réjouir.

Je suis enfin rendue à la maman et au papa. Quelqu'un m'annonce : « Tu as dix-huit ans maintenant, n'est-ce pas formidable ? » Même si ces mots sont vides de sens, je devine que tout va changer. Par une matinée de janvier au froid mordant, nous partons pique-niquer dans un parc pour fêter mon retour à la maison.

Le trajet en voiture semble interminable. Nous traversons un pont élevé et la maman s'écrie : « Ferme les yeux, Mila ! Il y a de l'eau en dessous ! » J'obtempère, et bientôt le pont est dans notre dos. Nous nous retrouvons alors entourés d'arbres qui s'élancent vers le ciel. Nous suivons une route sinueuse qui descend, descend, descend... La chaussée est couverte d'aiguilles de cèdre, déposées là par les tempêtes hivernales.

Tout au bout de cette route, il y a un endroit pour garer les voitures. Ainsi que des tables. « Quelle belle journée pour un pique-nique ! dit la maman. Va faire un tour sur la plage pendant que j'installe tout, Mila. Je sais combien tu aimes les plages. » Le père ajoute : « Oui, viens, Mimi. » Il se dirige vers d'épais buissons aux feuilles luisantes, sous les arbres, et je le suis. Le sentier, sablonneux et terreux à la fois, se faufile sous les cèdres et les sapins. Après avoir longé des fougères et des blocs de roches, nous débouchons enfin sur la plage.

Je ne crains pas ces étendues de sable, seulement l'eau qui les borde. Les plages, je les adore, avec leurs parfums salés et les serpents d'algues qui rampent un peu partout. Ici, un morceau de bois flotté lissé par l'eau. Là, de gros rochers à escalader. Ici, un aigle planant très haut dans le ciel, là, une mouette à tête grise. Là encore, un poisson mort exposé au soleil dur et froid. Un bar.

Je m'arrête devant lui et me penche pour l'examiner. Je m'approche plus près pour le sentir. L'odeur me pique les yeux.

La mouette crie et l'aigle trompette. Il plonge en piqué puis s'élève à nouveau; je suis sa trajectoire du regard. Il s'éloigne vers le nord et disparaît derrière les immenses arbres.

Je guette son retour, mais il s'est évanoui. Tout comme, je m'en rends soudain compte, le papa qui m'a guidée à travers les fourrés jusqu'à cet endroit. Il s'est arrêté à la lisière du chemin et de la plage, sous les feuillages. « Je crois que je vais m'en griller une, a-t-il dit. Ne le répète pas à Sa Majesté, hein, Mimi ? » J'ai poussé plus loin. Il est peut-être retourné à la voiture pour le fameux pique-nique. Je me retrouve seule.

Je n'aime ni l'isolement ni l'eau. A la hâte, je reviens sur mes pas. La voiture est partie avec le papa. Et la maman. A l'endroit où le pique-nique aurait dû avoir lieu, sur la table de bois mangée par le lichen, sous les arbres, il n'y a que deux objets. Un sandwich emballé dans du plastique. Et une petite valise à roulettes.

Je m'approche. Regarde autour de moi. Je vois, j'observe, je montre du doigt, comme toujours. Sauf qu'il n'y a personne pour me répondre.

Je suis seule. Et je ne sais pas où je suis.

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