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Au loin, il me semble vaguement percevoir une porte s’ouvrir. Je mets quelques secondes pour me rappeler où je suis. À première vue, je suis encore allongée sur le sol. Bon sang ! Ça fait combien de temps que je suis ici ? Les vibrations du moteur ont cessé. Épuisée, je peine pour ouvrir les yeux. Je suis sur le point de m’abandonner dans le néant, beaucoup plus accueillant que ma réalité, quand une lumière ultra-agressive percute mes paupières pourtant fermées.

Vu l’effluve se propageant rapidement dans l’habitacle, je sais pertinemment qu’il s’agit de mon kidnappeur. Il balaie nerveusement l’intérieur de la fourgonnette à l’aide de sa lampe torche. Soudain, il grimpe d’un bond et se place à mes côtés. Sans bouger, je profite du bonheur de respirer autre chose que l’air confiné de mon espace exigu. Réactif, il s’empresse de poser ses doigts sur mon épaule et me secoue vivement.

Dans un sursaut, je le fixe étrangement. Mon esprit reprend pied avec la réalité. Aussitôt, mon corps se réactive. En une fraction de seconde, je me retrouve dans le même état que celui dans lequel j’étais avant ma perte de conscience. Je me relève, effarée, tel un animal traqué, et me recommence immédiatement à suffoquer contre les parois de la camionnette.

— On ne va pas te faire de mal ! Calme-toi… tente-t-il d’être rassurant alors que je perds mes moyens.

Je ne me reconnais pas. Moi qui suis toujours posée, calculée, je me découvre noyée dans une crise de panique sans fin. Mes muscles sont crispés et mes récents mouvements me font souffrir. Sans rien répondre, je l’observe, tétanisée. D’apparence paisible, il me fixe. Quelque chose d’étrange se dégage de lui… Je ne saurais dire quoi, mais tel un paradoxe, sa présence m’effraie autant qu’elle m’apaise. Malgré la porte ouverte, j’ai toujours du mal à respirer. Mes pensées s’embrouillent. Plus rien n’est rationnel et certainement pas mon esprit qui patauge dans son mal-être. Gémissante et les yeux horrifiés, je l’observe se rapprocher de moi sans comprendre mes propres réactions.

— Qu’est-ce qu’il t’arrive ? Tu manques d’air ? C’est ça ?

Dans un effort inouï, je réussis à hocher la tête, incapable de faire sortir le moindre mot cohérent de ma bouche.

— Et merde ! grogne-t-il avant de me porter sur son épaule avec une facilité affligeante.

Hors de la fourgonnette, nous nous retrouvons dans un grand container. Avec délicatesse, compte tenu du type en question, il me dépose sur le plancher répugnant. Instinctivement, je le repousse. Je ne supportais pas ses mains sur mes hanches. Avide d’air, je prends de longues et lentes inspirations, mon regard bloqué sur le peu de luminosité filtrant par la porte entrouverte. Il me faut plusieurs minutes pour retrouver mon calme et respirer à normalement. Une fois rassurée, mes yeux se posent sur lui. Je souffle un « merci », avant de me lever et de faire les cent pas.

Du coin de l’œil, je l’observe me surveiller, une expression étrange plaquée sur le visage.

— De rien… murmure-t-il sans la moindre émotion.

Je ne fais pas cas de sa réponse dont je me fiche éperdument. Je me sens mieux à présent. Ma respiration devient plus longue et plus régulière, et mon pouls se stabilise enfin. À l’arrière de l’immense remorque recouverte d’une toile tendue, je me focalise sur l’ouverture par laquelle est passé l’homme pour venir me rejoindre. La lumière qui s’engouffre à l’intérieur est basse. Il doit commencer à se faire tard…

Un peu moins stressée que dans la fourgonnette, je me laisse glisser contre la paroi et m’assieds sur le sol. Ma tête s’enfouit dans mes genoux, enserrés de mes bras. Qu’est-ce qu’il a à rester là ? Maintenant que je vais bien, il peut se barrer. À moins, bien entendu, qu’il ait la super idée de me libérer ! Mais bon, je ne me fais pas trop d’illusions…

À ma grande surprise, il fait deux pas, réduit à néant l’espace entre nous et s’accroupit devant moi. D’instinct, je me redresse. Ses yeux sont à présent à la hauteur des miens. Je peine à lui cacher ma crainte.

— T’as besoin de quelque chose ? demande-t-il sur un ton qui se veut, pour la brute qu’il est, avenant.

Rentrer chez moi ?

— Non, réponds-je, froidement.

— C’est que… insiste-t-il, presque gêné. Ça fait longtemps qu’on est parti. T’aurais pas envie de pisser ?

Je rêve ou une bribe d’humanité tente de surgir de cette carcasse désagréable ? Il n’a pas tort… Le stress retombé, mes reins fonctionnent à plein régime.

— Euh ! Si, un peu, avoué-je à contrecœur.

— Alors, viens, m’ordonne-t-il en me tendant la main pour m’aider à me relever après s’être mis debout.

Il est pas bien, le mec ! Il croit vraiment que je vais accepter son aide ? Après ce qu’il m’a fait ? C’est mal me connaître ! Reprenant un peu de mon assurance, je le scrute avec dédain. C’est alors que je découvre qu’il a ôté sa capuche et son foulard. Désormais, seuls ses yeux restent masqués par un simple bandeau. Ainsi, je peux apprécier ses pommettes saillantes, son menton volontaire assombri par un rasage négligé, son cou fort et sa bouche gourmande.

Soudain, la porte arrière de la remorque s’ouvre en grand, illuminant instantanément l’intérieur jusque-là plongé dans la pénombre. Il se retourne, le temps de jeter une œillade à l’homme à l’origine de ce changement. Je ne bouge pas, ne tremble pas. Hypnotisée par ce que je vois. Je comprends tout à coup ce qu’il s’efforçait de dissimuler par sa capuche lors du casse. Un signe distinctif qui aurait pu le trahir. Et quel signe ! De magnifiques cheveux châtains tirés en une longue queue de cheval s’échappent par-dessus le laçage de son bandeau.

Méprisante, je me relève seule. L’espace d’une seconde, il semble déçu par mon refus, mais je n’en ai que faire. Après tout, s’est-il seulement penché sur mes états d’âme tout à l’heure, quand j’étais terrorisée et qu’il m’a envoyé valdinguer sur le sol ? Fatiguée par ces dernières heures, je manque perdre l’équilibre, mais il me rattrape in extremis.

Je constate que c’est son deuxième geste un tantinet délicat à mon égard. Comme quoi, tout peut arriver ! Pourtant, à peine suis-je stable, que je le l’expédie nerveusement. Presque amusé, il se dirige vers la porte battante et je le suis en silence.

J’ai bien noté la réflexion du chauffard : le chevelu ne supporte pas les femmes qui chialent et le supplient. Alors, qu’il soit tranquille de ce côté-là avec moi ! Parce qu’une fois contrariée, la colère prend le dessus et je peux devenir très dure. Un autre de ses gars, masqué de la même manière, tient le battant, tandis que mon kidnappeur descend le premier. Au sol, il se retourne, me tend les bras. Il n’a pas compris ? Je ne veux pas de son aide ! Alors, dans un regard hautain, j’ignore ses paumes et me débrouille, le laissant en plan comme un con.

Contrarié, il se renfrogne avant de se diriger en grommelant vers la cabine. Mon assurance est feinte. Je refuse de lui montrer mes faiblesses, ma peur. Les prédateurs sentent la peur. J’avance la tête heure, mais le corps tremblant, l’esprit fragilisé par ma crise d’angoisse survenue plus tôt. Quand nous sommes à la hauteur de cette dernière, il pénètre à l’intérieur. Silencieuse, je le suis. À ses côtés, j’observe le studio sur roue. D’un geste, il m’indique une porte. Arrogante, je l’ouvre et m’engouffre dans la petite salle d’eau munie de toilettes chimiques. Soulagée, je m’enferme à double tour. Une longue expiration m’échappe. Il a beau ne plus avoir l’air aussi dangereux que tout à l’heure, il ne m’inspire pas non plus une confiance aveugle.

Finalement, j’avais très envie de pisser ! Après avoir vidé ma vessie qui devait au bas mot contenir plus d’un demi-litre de liquide, je ressors. Adossé contre le mur, il m’attend, les bras croisés contre le torse. À ma vue, il se redresse, puis me reconduit dans le container. À l’extérieur, le soleil bas me brûle les yeux. Je n’ai pas le temps de m’accoutumer à cette luminosité qu’il me replonge dans la semi-pénombre de la remorque. Résignée, je me rassois sur le plancher.

— Avant qu’on ne reparte, tu voudrais peut-être boire quelque chose ? s’enquiert-il sur un ton ne dénotant pas la moindre émotion.

— Je veux bien, acquiescé-je en hochant la tête.

— Tiens, annonce-t-il en me tendant une bouteille.

Sa familiarité me tape sur les nerfs. Il se prend pour qui à me tutoyer ? On n’a pas élevé le cochon ensemble que je sache ? Pourtant, je ne relève pas et lui arrache le contenant des mains. Finalement, j’ai aussi soif que j’avais besoin d’aller au petit coin ! Quelques gorgées plus tard, je la lui rends quasiment vide.

— Merci, soufflé-je en m’essuyant d’un revers de bras.

Sans attendre une quelconque réponse de sa part, je replace ma tête entre les genoux. Un long moment, il reste là, à m’observer. Bon ! Bah, il n’a rien d’autre à faire que de me surveiller ?

— J’en conclus que tu ne souhaites pas retourner dans la fourgonnette ?

Perspicace, le mec !

— Si c’était possible… murmuré-je du bout des lèvres.

— De toute façon, on est presque arrivé et je ne vois pas comment tu pourrais te barrer ! me coupe-t-il, presque avenant. Bon, ça va aller ?

— Ouais, ouais. Ne vous en faites pas pour moi, le rassuré-je, préférant de loin la solitude à sa compagnie.

Toujours statique, alors que ma tête retourne se nicher entre mes bras, il ne bouge pas, indécis.

— Veux-tu que je reste avec toi durant le trajet ? hésite-t-il.

Surement pas !

— Pas vraiment, rétorqué-je, sarcastique, sans prendre la peine de le regarder.

— Dans ce cas, conclut-il sèchement en tournant les talons.

Ouf ! Il s’en va…

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