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On dirait que j'ai la forme aujourd'hui ! Profitons en. Bonne lecture...
D’un pas rapide, il s’éloigne et saute hors du camion. Puis les portes se referment dans de grands grincements. J’entends un bruit de serrure, verrouillant mon unique issue possible. Au loin, je perçois des voix. D’être seule ne me pose plus de problèmes. J’ai beaucoup plus d’espace. À présent, je sais que j’arriverai à gérer mon stress. Il faudrait juste que je réussisse à faire taire la petite voix qui s’évertue à me rappeler que mon avenir s’avère toujours incertain.
À l’extérieur, je capte leur conversation :
— C’est bon, déclare le chevelu. On peut y aller.
— Je suis prêt à parier qu’elle t’a fait son numéro de chouine comme toutes les autres, miaule un des types sans aucun respect pour la souffrance de leurs otages et visiblement très amusé par ma situation.
— Même pas. Elle est juste claustro, alors j’ai préféré la laisser dans la remorque.
— Eh ben… T’es bien courtois aujourd’hui, mec ! ironise un autre.
— Je ne pense pas qu’elle sera chiante, rétorque mon kidnappeur sans dénoter la moindre émotion. Elle ne demande rien, à part qu’on lui foute la paix !
— Le rêve ! rigole grossièrement une autre voix.
Le son s’éloigne et rapidement le camion recommence sa course. Je reste assise dans la même position à me faire ballotter. Tout en savourant de pouvoir respirer, j’observe la fourgonnette sur ma droite. Elle semble si petite… Pas étonnant que j’étouffais là-dedans ! D’après leur discussion, j’en conclus qu’ils n’en sont pas à leur premier coup. Je note également que leur stratégie me paraît bien rodée et à les voir encore en liberté, elle doit effectivement être efficace.
N’ayant rien à faire d’autre, je me perds dans mes pensées. Sans surprise, toutes sont tournées vers ma mère et ma petite fille. Je les imagine… Elles doivent être tellement inquiètes à l’heure qu’il est ! Et alors que le jour cède sa place à la nuit, je m’allonge en chien de fusil, mon cœur plein de tendresse maternelle. Épuisée, je me permets de m’assoupir, brisée par tant d’émotions.
* * *
L’arrêt du moteur me sort de mes songes.
Il me semble vaguement entendre la porte s’ouvrir. Sur le moment, je me demande où je suis, mais très vite les souvenirs me rattrapent. Je me redresse à l’instant où deux hommes pénètrent à l’intérieur, une lampe à la main. Bizarrement, je n’ai pas peur. Pourtant, rien dans leur scénario n’est pour me rassurer. À leur odeur, je sais que celui qui m’a kidnappée n’est pas parmi eux.
— Allez, debout ! C’est pas le moment de dormir… me lance l’un d’eux, un demi-sourire plaqué sur sa gueule balafrée.
À peine me suis-je relevée, qu’ils me soulèvent chacun par un bras pour me traîner vers la porte du container. Ils ne voient pas qu’ils me font mal ? Ces types n’ont aucune délicatesse. Finalement, à leur façon de me traiter, la terreur réintègre aussitôt mon corps qui tremble à nouveau. Mon cœur qui s’était enfin calmé repart de plus belle. Ils me pressent, ne me ménagent pas. Et si je ne leur servais plus à rien ? Oh, mon Dieu ! Vont-ils me tuer ?
Mes questions en suspens, ils me poussent vers la sortie. Devant la porte, la lumière aveuglante d’un halogène m’agresse. Instinctivement, je plisse les yeux. Je n’ai pas le temps de m’habituer à la luminosité qu’un des hommes saute au sol. Une fois à terre, il m’attire à lui avec maladresse par la taille et me fait descendre à mon tour. Le deuxième nous rejoint et immédiatement ils reprennent leur emprise pour m’entraîner vers une vielle ferme en pierres.
Le souffle court, j’espère échafauder un plan pour une improbable évasion. C’est pleine lune, ce soir. Tout m’apparait féérique, inquiétant, tout droit sorti d’un cauchemar. Paniquée, je scrute autour de moi, priant pour trouver la faille de ces lieux. Mais il n’y en a pas… Nous sommes au milieu rien ! D’un côté, des champs à perte de vue, et de l’autre, une forêt paraissant interminable. Seul un petit chemin dessert cet endroit sauvage. Un frisson me parcourt l’échine : il me sera impossible de m’enfuir d’ici.
Ce petit coin paumé est une aubaine pour ce genre de types et leurs affaires douteuses. Toujours d’un pas rapide, nous traversons une courette menant à la vieille bâtisse. Pourquoi sont-ils si pressés ? Ils ne s’exposent pas à voir débouler tout un bataillon de flics dans ce trou perdu ! Sans m’avancer, on pourrait même passer la journée ou une semaine, pourquoi pas, pour franchir les cinquante mètres qui nous séparent de la demeure qu’il ne risquerait pas de se faire arrêter !
Sans aucune galanterie, ils me forcent à entrer. La première chose qui me frappe en pénétrant est la fraîcheur. Cela contraste avec la chaleur extérieure. La deuxième est la pénombre. Avide de lumière, mon regard dérive instinctivement vers les deux malheureuses petites ampoules pendant misérablement du plafond. Pas étonnant qu’il fasse si sombre !
Les types se sont arrêtés deux minutes, offrant le temps à mes prunelles de découvrir notre nouvel environnement. Nous nous trouvons dans une cuisine au mobilier moyenâgeux. Enfin, mobilier s’avère être un tout petit peu exagéré. Au centre, trône une table en chêne bouffée par les vers tandis que sur la droite, une vieille cuisinière à bois s’impose sur toute la longueur du mur. Il devrait organiser des week-ends découvertes ici, ils auraient du succès à notre époque où les gens recherchent du dépaysement ! Manque plus que le lavoir près de la rivière, le tout sans eau ni électricité, et ce serait nickel ! D’ailleurs, pour parfaire cette déco pour le moins rustique, le sol se trouve uniquement recouvert de terre battue.
Non, mais franchement ! De nos jours, qui pourrait vivre dans ce type de baraque ? Impossible qu’une femme accepte de pareilles conditions ! Enfin… À voir la vétusté et la poussière accumulée un peu partout, ma main à couper que ce lieu est la plupart du temps totalement désaffecté. Sauf, bien sûr, quand il peut aider à ce genre d’entreprise.
Imperturbables, mes deux larrons reprennent leur pas et nous dirigent vers la seule porte qui, par ailleurs, s’avère ouverte. Accompagnée de mes deux chiens de garde, je débarque dans une immense chambre. Enfin, immense, c’est relatif. Disons que par rapport au mouchoir de poche de la pièce d’à côté, celle-ci me semble immense.
En tout cas, une chose est sûre : la décoration est sordide ! Pas un meuble, à part un vieux matelas miteux gisant par terre entre deux murs délabrés par l’excès d’humidité. Oh non ! Je ne veux pas rester ici ! À peine ai-je foulé le sol, cette fois recouvert d’un lino à la couleur infâme me faisant aussitôt regretter le merveilleux revêtement de la cuisine, que le parfum sucré de mon kidnappeur vient me chatouiller les narines. Surprise, puisque je ne le vois pas encore, j’aperçois alors une autre ouverture à l’opposé de la pièce. Entrouverte, je peux deviner une lumière fade s’échapper de l’entrebâillement. Les deux types restent à mes côtés, immobiles. J’en ai marre. Je ne supporte plus leur présence. Puis je commence à être fatiguée, à avoir faim.
La porte du fond s’ouvre soudain sur le chevelu. Surprise, son arrivée me vole un sursaut. Le cœur battant, j’ai du mal à me ressaisir. Ce n’est que lui… Étonnement, ce constat m’apaise. Sa présence m’apaise. Presque soulagée, je me surprends à le surnommer Gueule d’amour. Un type qui m’a maltraité, m’a enlevé pour une poignée – enfin, un peu plus tout de même - de billets. Dès fois, je me trouve complètement barrée !
Les bras encombrés de produits ménagers, il s’avance vers nous d’un pas décidé. Les yeux encore masqués, sa carrure m’impressionne. Sans un sourire, il leur ordonne de me lâcher d’un regard. Dédaigneux, il balance carrément son chargement au pied d’un des deux gars qui le rattrape de justesse. Toujours aussi délicat, mes deux chiens de garde me poussent dans le dos et je m’échoue de tout mon poids sur le matelas qui a probablement dû être mis là pour moi. D’instinct, je me redresse et m’assois pour leur faire face. Prise de terreur, je fais mon possible pour le leur cacher. Pourtant, les battements de mon cœur me martèlent la poitrine.
Sans un mot, je me frictionne les bras, visiblement furieuse et la posture insolente. Et tandis que les deux hommes reculent de quelques pas sous le regard supérieur de Gueule d’amour, je jette brièvement un coup d’œil autour de moi. Je dois me rendre à l’évidence, à voir l’installation, ils comptent me garder. Mais combien de temps ? Et surtout, pourquoi ? Rien que l’idée de rester dans cet endroit répugnant me file la gerbe…
Gueule d’amour ne bouge pas, immobile et silencieux. Eh bien… Ce type n’est pas un bavard ! Son regard me scrute… On dirait qu’il m’analyse, devine chacune de mes pensées. Ses deux complices s’approchent de lui. J’étais tellement subjuguée par son charisme que je les imaginais déjà partis.
— On te la laisse ici ? questionne l’un d’eux.
Quelle sensation douloureuse d’entendre parler de soi comme si je n’étais pas plus signifiante qu’un vulgaire colis ! Je dois prendre sur moi pour ne pas me risquer à une réplique cinglante. Je n’ai pas l’avantage… Mon pouls s’accélère sous l’effet de la colère.
— Merci, grogne mon kidnappeur sans émotion. Où sont les autres ?
— Dans la grange. Ils doivent planquer la camionnette pour ramener le bahut, explique le deuxième.
— Laissez-nous maintenant, vous avez à faire, ordonne-t-il sur un ton non avenant.
— Dis donc, se risque l’un des deux types avant de sortir, Sois sage… Elle est sacrément bien roulée, hein ?
Le clin d’œil qu’il lui lance sonne comme une injure. Ils sont à vomir…
— Dégage au lieu de raconter des conneries ! crache Gueule d’amour, autoritaire.
Ah ! L’allusion graveleuse ne semble pas plus lui plaire qu’à moi. Assise en tailleur, je baisse le regard. À la façon dont les deux branquignoles battent en retraite, je me demande si tout compte fait, Gueule d’amour ne devrait pas plus m’effrayer que ça ! D’apparence docile, j’attends patiemment qu’il m’explique ce qu’il va se passer pour moi. D’ailleurs, que faire d’autre ?
Méprisant, il les regarde s’éloigner. Comme quoi, je note que leur petit groupe de brigands n’est pas si soudé que ça !
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