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Quand nous sommes seuls, il se retourne vers moi et s’approche. Persuadée que rester impassible me met à mon avantage pour la brute qui me fait face, Je demeure calme, campée dans ma position. Prise d’un frisson, je me rends compte que je commence à avoir froid. À croire que ce taudis a été construit dans une grotte ! Rien d’étonnant vu l’odeur de moisie qui empeste la pièce ! La nausée ne me lâche pas. Entre le stress et la façon dont le chauffard m’a ballotté durant notre fuite, comment pourrait-il en être autrement ? Et l’autre qui reste là, à m’observer ! Ce qu’il peut m’agacer à me fixer comme ça sans rien dire ! Qu’il accouche ou qu’il se barre !

— Ça va mieux ? s’enquiert-il froidement.

Enfin ! J’ai cru qu’on allait y passer la nuit !

— Oui, réponds-je en le regardant droit dans les yeux.

— Bon, commence-t-il après un raclement de gorge, alors qu’il s’avance un peu plus vers moi, tout d’abord, je suis désolé que ce soit tombé sur toi. T’étais juste là, au mauvais moment.

Il me fait quoi ? Il se croit au confessionnal ?

— Franchement, je me tape de vos explications ! m’écrié-je après m’être levée, portée par la colère. Je n’ai pas l’intention de vous comprendre et pour tout vous dire, j’en ai rien à fiche de savoir comment vous en êtes arrivé là ! Vous n’êtes pas les seuls à galérer ! Qu’est-ce que vous croyez ? Je ne venais pas à la banque pour m’en mettre plein les poches, mais pour encaisser mon salaire, juste histoire de pouvoir payer mon loyer et ne pas être jetée à la rue ! Je suis seule pour élever ma fille ! Ce n’est pas pour autant que je braque des banques !

Inébranlable, il me scrute, suffisant. S’il n’était pas armé et entouré de tout un panel de complices, je lui aurais montré de quoi j’étais capable ! Seulement… Un sourcil relevé, il prend son temps pour croiser ses bras sur son torse. Un petit sourire en coin s’installe tranquillement sur ses lèvres charnues, et c’est dans un souffle qu’il se permet de me balancer :

— Ça, c’est peut-être parce que vous n’en avez pas les moyens ! grogne-t-il, sarcastique.

Connard !

— Où pas l’envie, tout simplement ! rétorqué-je, tranchante.

Son calme, apparemment imperturbable, s’effrite, laissant soudain ressurgir la bête furieuse que j’avais aperçue dans la banque.

— Comment oses-tu me parler sur ce ton ! hurle-t-il en frappant avec animosité le mur juste derrière ma tête.

Effrayée, je sursaute à la brutalité de son coup. Mais quelle conne ! Qu’est-ce qu’il m’a pris ? Ce n’est pourtant pas dans mes habitudes de perdre mon sang-froid. Son visage est à présent fermé, ses traits tirés. Sa mâchoire serrée laisse deviner qu’il fait son maximum pour se contrôler, maîtriser la violence que mon impertinence lui inspire. C’est sans l’ombre d’une douleur qu’il reprend sa main et me fixe. Dans ses yeux, je peux lire toute la rage qui l’animait, deux secondes plus tôt, se dissiper doucement.

— OK. Alors, je vais te laisser. Si tu le désires, m’informe-t-il en désignant la porte dans le fond de la pièce, il y a une salle d’eau là-bas. As-tu besoin de quelque chose avant que je ne sorte ?

Du coup, je l’ai coupé dans son explication. Si seulement j’avais fermé ma grande gueule, j’en aurais peut-être appris un peu plus sur le sort qu’il me réservait ! Impressionnant, le mec ! Il y a deux minutes, il était sur le point de me mettre sur le nez et maintenant, il s’inquiète de savoir si je prendrais bien une petite collation avant qu’il ne se retire. Le tout sur un ton presque sympathique. Le truc, c’est que je suis assez rancunière comme nana. Alors, je n’ai pas du tout envie de faire comme si tout était normal. À cause de lui, ma fille et ma mère doivent être désespérées. À cause de lui, je risque de perdre mon nouveau job. Et toujours à cause de lui, je suis dans la merde, retenue en captivité par une bande de sauvages ! Au lieu de lui répondre un truc qui, j’en suis certaine le ferait déraper à nouveau, je préfère m’allonger, sans réagir à sa question. Patient, il m’observe. Mais au bout d’un moment, qui me semble interminable, il perd son sang froid en hurlant : « Oh ! Je te parle ! »

Malgré son ton menaçant, je reste stoïque. Comprenant qu’il ne tirera plus rien de moi, il abandonne la partie et sort furibond de la chambre, claquant violemment la porte avant de tourner une clé dans la serrure. À quoi bon m’enfermer dans ce trou paumé ? Soulagée d’être seule, je me laisse retomber contre le mur moisi. D’où je suis, je l’entends échanger avec d’autres de ses gars dans la pièce voisine.

— Ça va ? s’enquiert la voix très grave, appartenant au conducteur, si je ne me trompe pas.

— Ouais, nickel, répond mon kidnappeur, elle est juste nerveuse. Tout compte fait, je crois que j’aime autant quand ça chiale !

— Ah bon ? s’étonne l’autre.

— En fait, elle est un peu trop rebelle à mon goût. D’habitude, les femmes…

— Que s’est-il passé ? s’amuse-t-il.

— C’est la première fois qu’un otage se permet me parler comme elle l’a fait ! Putain, j’ai bien failli lui en coller une !

— Te connaissant, je suis sûre que tu adores ça, une nana qui se rebiffe ! dit l’autre dans un rire grossier. Bon, moi je vous laisse. On se retrouve dans trois jours ? déclare le complice après avoir repris son sérieux.

— Fais gaffe à toi, vieux frère…

Ils doivent être sortis de la maison, car je ne les entends plus. Quelques minutes plus tard, je perçois le moteur du trente-huit tonnes. Trois jours ? Et moi dans tout ça ? Blottie sur mon vieux matelas dégueulasse, j’ai si froid que ma peau s’est tapissée de chair de poule. Légèrement tremblante, mon regard cherche dans chaque recoin quelque chose qui puisse faire office de couverture. Mais je dois me rendre à l’évidence : il n’y a rien ! Démunie, je me mets en boule sur mon lit de fortune, vêtue de mon marcel, d’un jean délavé et de mes converses. Si seulement je m’étais doutée, j’aurais pris la peine d’enfiler une doudoune avant d’aller à la banque !

Le temps semble s’écouler plus doucement qu’ailleurs. Toujours aussi gelée malgré ma posture censée me réchauffer, je me lève et me rends aux toilettes. Une fois soulagée, j’étudie les lieux, espérant trouver un moyen de me sauver d’ici. Il est évident que l’absence de fenêtre restreint très nettement mes chances de réussite ! Il y en a bien une donnant côté bois, mais impossible de s’échapper par-là vu qu’elle est équipée de barreaux. Me sentant prise au piège, mon esprit se remet à trop fonctionner et la panique s’empare à nouveau de moi.

Je dois me ressaisir et je ne connais pas trente-six manières d’y parvenir. Sans même réfléchir, je m’assois près du matelas, bien décidée à faire un peu de méditation. Le but est de réguler le flux de mes pensées négatives qui m’envahissent les neurones. Sachant qu’il me suffit d’ordinaire de quinze minutes de recueillement et de respiration pour commencer à envisager les choses avec positivité, j’opte de voir plus large. Dans la situation où je me trouve, une demi-heure devrait faire l’affaire. Les yeux fermés, je me laisse porter dans un voyage intérieur.

Alors que je termine de longues expirations, la porte s’ouvre brutalement. Bon sang ! Ils ne vont pas me lâcher un peu tous ses gugusses ? Je distingue la silhouette d’un homme entrer, un plateau à la main. Surpris, il reste figé en me découvrant dans la position du lotus. Son regard, hébété, m’épie avec un étonnement non dissimulé. Je me sens si bien que je refuse de bouger pour cette espèce d’abruti. Seuls mes yeux se rivent dans sa direction, curieuse de deviner lequel de ses gars vient de me déranger.

Même si je ne les ai vus que masqué, je commence déjà à les reconnaître, chacun ayant un petit signe distinctif. Par exemple, le doux parfum de celui qui m’a enlevé, la voix grave du conducteur fou ou encore les deux lourdauds calés contre moi qui puaient le chacal dans la fourgonnette… D’un pas timide, il avance jusqu’à moi, hésitant. Je sais qu’il ne s’agit d’aucun d’entre eux. Alors, soit il était assis à l’avant avec le chauffeur, soit il n’était pas avec nous dans la banque. Sans un mot, il dépose le plateau sur le sol, mais comme je ne bouge pas d’un iota, il repart aussitôt.

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