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Sans plus de cérémonie, le type venant de nous héler se jette sur Sunny, rapidement imité par un second. Gueule d’amour se bat à merveille contre les deux gars à la fois. Sa technique est bien rodée, que ce soit en défense ou en attaque. Pour ma part, je n’interviens pas, occupée à les observer. Le troisième homme, jusqu’alors spectateur, se lance dans l’arène. Trois contre un. Ils peuvent se vanter de leur bravoure !

Alors, bien qu’étant une piètre attaquante, je décide tout de même de m’interposer entre Sunny et le nouvel arrivant, prête à mettre en œuvre mes talents de défenseuse. Voilà que je le protège, maintenant ! On marche sur la tête…

— Reste en retrait ! me hurle-t-il lorsqu’il s’aperçoit de mon intervention.

Sa réaction est tout à fait normale, surtout si l’on prend en considération les disparités entre mon gabarit et celui de l’homme. Il ne peut pas savoir… Sûre de moi, je campe sur ma position. Attendant sa frappe qui ne tarde pas à venir, je croise furtivement le regard de Sunny. Visiblement furieux contre moi, je suis persuadée qu’il se chargerait de mon cas s’il n’était pas déjà occupé.

« Ne t’inquiète pas pour moi mon petit chou », me dis-je en esquissant un sourire ironique. À peine mon attention revenue sur le gars déguisé en punk des années 80, qu’il se rue sur moi, poings en avant. Sans difficulté, je l’esquive et me replace, prête à le parer une fois encore. J’hallucine ! Déjà s’attaquer à trois contre un ne dénote pas d’un courage hors pair, mais oser frapper à une pauvre nana sans défense, c’est carrément minable. Enfin, techniquement sans défense. Parce que pour le coup, ça risque de le surprendre ! Pour sûr, avec la leçon gratuite qu’il va se prendre, je vais venger toutes les femmes qu’il a dû maltraiter dans sa vie.

Comme je ne sais pas assaillir, je me retrouve contrainte d’attendre sa charge. Je pense très sérieusement à m’inscrire à des cours de kung-fu lorsque je me serai sortie de toute cette merde !

Sunny continue à se battre avec les deux autres, tout en me surveillant du coin de l’œil. Un sourire s’est placé, malgré lui, sur ses lèvres crispées par la confrontation. Sans être devin, je peux deviner qu’il a apprécié mon esquive. À coup sûr, il s’image qu’il s’agit de la chance du débutant. Rien que d’anticiper la tête qu’il va tirer quand les choses deviendront plus sérieuses me réjouit !

Excitée comme une puce d’être sur le point de vivre ma première altercation sur le terrain, je ressens l’adrénaline pulser dans mes veines.

Le punk revient enfin à la charge, toujours le poing en avant. Pas très original. Que l’on m’ôte d’un doute, c’est une pointure en matière de baston, ce con, non ? À part moi, il doit être le deuxième attaquant le plus minable que la terre ait porté ! À peine s’est-il élancé dans ma direction que je m’abaisse. Mais cette fois-ci, je ne le laisse pas s’en sortir aussi facilement. À la volée, alors qu’il manque de se vautrer en avant, je lui attrape le poignet. Sa force fait le reste et il s’envole dans un splendide salto avant non anticipé, terminant sa performance artistique sur le goudron.

Échoué sur le dos, son souffle se coupe. Sa bouche s’entrouvre à la recherche de l’air qui lui fait défaut. Gagné par la panique, il lui faut plusieurs secondes pour reprendre une longue inspiration. Comme il n’est pas mort, je poursuis ma prise et le contrains à se tourner sur le ventre. Un genou sur ses omoplates, il est à présent plaqué, face contre terre, sur le bitume rapant. Le type semble affligé. La honte, peut-être ? Eh oui, mon coco… De prime abord, on ne se doute pas en me voyant…

Je lève mon regard en direction de Sunny. Nos yeux se croisent. Sa façon de me fixer m’interpelle. Il paraît étonné par ma petite démonstration. Sa réaction m’emplit de fierté. Profitant de sa surprise, un des deux gars encore lui lance un crochet au visage. Le choc semble lui faire reprendre ses esprits et ils poursuivent leur lutte.

Je trouve cela terriblement frustrant de me retrouver cantonné à maintenir le pauvre bougre pour l’empêcher de se libérer. J’aurais tellement préféré faire joujou avec l’un des deux gugusses toujours sur mon kidnappeur fétiche. Si on m’avait dit, deux jours plus tôt que je me battrais au côté d’un bandit contre d’autres bandits, je ne l’aurais jamais cru !

Finalement, les deux lascars prennent la fuite. Impressionnant, le Sunny ! Quel homme ! Le gars que je maintenais jusque-là au sol relève piteusement la tête pour admirer ses complices s’enfuir en courant. Sunny ricane de le voir si misérable. Je devine qu’il crève d’envie de me poser des questions. Mais ce n’est pas le moment. Ma gueule d’amour a regagné la moto. Bien plus rapide que tout à l’heure, quelques secondes lui suffisent pour démarrer le moteur qui pétarade. Pas très discret ! Si on ne se barre pas très vite, nous allons alerter la moitié de la ville de notre présence !

— Meg ! Lâche-le, on décolle, me somme-t-il en me tendant le casque alors qu’il est déjà prêt à partir.

Obéissante et dans une rapidité que je ne me connais pas, je relâche le type, m’empare du casque que j’enfile à la hâte, et saute derrière lui. Je n’ai pas le temps d’attacher la jugulaire que la moto s’élance dans la nuit. En me retournant, je distingue vaguement l’homme qui se sauve en courant dans la direction de ses deux compères.

À la sortie de la petite ville, à peine deux kilomètres plus loin, Sunny s’arrête sur le bas-côté. Pourquoi cette halte en pleine cambrousse ? Mais lorsqu’il relève sa visière, un regard sombre me surprend. Bizarrement, il paraît inquiet.

— Ça va, Meg ?

Mais oui, c’est bien ça. Trop mignon…

— Hmm…

— Alors, Meg, c’était quoi, ça ?

Un large sourire, pour toute réponse, mon cœur se gonfle d’une sensation nouvelle.

— Eh bien, tu m’as bluffé !

Un de mes doigts se pose délicatement sur sa bouche déjà boursoufflée par le coup qu’il s’est pris.

— Et toi ?

Une demi-seconde, il s’abandonne à mon effleurement.

— Ça va, j’en ai vu d’autres, rétorque-t-il après avoir emprisonné ma main dans la sienne, ne t’inquiète pas pour moi, je suis solide.

C’est incroyable. À croire que mon corps frémit dès que nous rentrons en contact. Incapable de mettre de la rationalité dans cette soirée hors du temps, je préfère verrouiller ma conscience. Si je la laissais prendre le dessus, elle me soufflerait que je suis en train de perdre la tête et elle aurait raison ! Parce que, le trouver beau à couper le souffle, passe encore, mais l’avoir défendu au lieu d’en profiter pour me barrer, frise l’irresponsabilité !

Sans rien ajouter, il se renfrogne. Puis il abaisse sa visière et élance la moto à fond de rupteurs. J’ignore l’heure qu’il est. Cependant, j’imagine que nous avons perdu beaucoup de temps avec toute cette histoire.

Épuisée, je ne peux m’empêcher de glisser peu à peu dans le sommeil. La dernière chose dont je me rappelle, c’est d’être contre lui, bien protégée dans son dos ; les mains calées entre ses cuisses, le réservoir et la selle. Je me souviens aussi avoir lutté contre cette invitation à m’assoupir, sans toutefois vouloir lui céder. Pensant que j’allais fermer les yeux deux secondes, le temps me reposer un peu, plus rien. Le trou noir. Juste une sensation de bien-être, de laisser-aller.

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