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L’arrêt du moteur me fait ouvrir les yeux. Ce n’est pas possible… Je n’ai tout de même pas pu m’assoupir sur une moto ? Un peu dans les vapes, j’ignore où nous sommes.
— Alors, la belle, bien dormie ?
— Oui, enfin… Je crois, susurré-je, une main sur la bouche pour étouffer un bâillement.
— Non, non, je te confirme, tu pionçais à poings fermés ! surenchérit-il dans un sourire craquant. J’ai les bras en compote !
Perdue, j’observe autour de moi. Deux lampes halogènes éclairent la courette en cailloux où nous sommes comme si nous étions en plein jour. Ben dit donc, c’est magnifique, ici !
Devant nous, un immense manoir, probablement du dix-neuvième siècle. Je ne suis pas spécialement une pointure en architecture, mais le mélange de bois et de pierre semble un bon indicateur. Sachant d’avance que je n’allais pas être enfermée dans un hôtel de luxe, je m’aperçois rapidement que la bâtisse s’est quelque peu délabrée par le temps. Les jardins paraissent mal entretenus, pour ne pas dire à l’abandon.
Mais comment font-ils pour dégoter ces endroits que personne ne connaît ? Sans blague, existe-t-il un site internet du style « repaire.com » afin de se dénicher des coins comme celui-là ou celui que nous avons quitté un peu plus tôt dans la soirée ?
Tout dans cette imposante propriété laisse présager d’un passé victorieux, avec ses deux escaliers de pierre qui se séparent pour se retrouver sur une terrasse desservant l’entrée. D’ailleurs, Dave les dévale à l’instant. Manifestement toujours de bonne humeur, il affiche une mine furibonde. Enfin une tête connue ! Je ne dirais pas qu’il m’a manqué, mais lui, au moins, me semble « réglo ». Visiblement en pétard contre Sunny qui, cela dit en passant, a l’air de s’en taper royalement, il fond sur nous.
— Putain, Sunny ! Mais qu’est-ce que vous foutiez à la fin ? Ça fait plus de deux heures que vous devriez être arrivés !
— Que sous-entends-tu ? grogne mon biker, d’une froideur sans égale.
— J’sais pas. À toi de me dire !
— Pff… siffle-t-il en ses dents. Laisse-nous passer, t’es vraiment trop con !
Sans rien ajouter à l’autre qui fulmine sur place, il m’aide à descendre en douceur. Une fois debout, je vacille un peu et il me prend par les épaules pour me soutenir dans ma marche désorganisée. En haut du majestueux escalier, il me guide à l’intérieur.
Je pense que « exténuée » s’avère être un euphémisme en rapport à l’état dans lequel je me trouve. Je rêve d’un lit, propre, mais j’ai conscience de trop en demander. Nous pénétrons directement dans le hall. Waouh… Comme il est spacieux ! Les hauteurs de plafonds sont à couper le souffle. Cette entrée pourrait, sans problème faire office de salle de réception pour un bal ! Un gigantesque escalier d’une autre époque me fait face. À l’image de celui de l’extérieur, il se partage en deux, chacun desservant un côté de la bâtisse.
À l’étage, une balustrade en fait le tour du hall. Le nez en l’air, je découvre le magnifique plafond peint. Sunny me ramène à la réalité en me prenant la main pour me faire avancer. Il me presse. La pièce est circulaire et donne sur tout un tas de portes.
Doucement, nous nous dirigeons vers l’une d’elles sur la gauche de l’escalier. Sans pour autant me lâcher, il l’ouvre et nous débouchons dans une chambre très spacieuse. Rien à redire sur le choix de la réservation. C’est sacrément standing ici. Faudra pas qu’ils hésitent à me dire si, à la fin de mon séjour, je dois remplir un questionnaire de satisfaction !
Le mobilier, datant probablement des années folles, n’a pas dû croiser la route d’un plumeau depuis des lustres. Toujours délicatement, il m’accompagne vers un vieux lit à baldaquin au rideau décrépit. Comprenant que je viens d’arriver au terminus, je reprends ma main avant de m’asseoir sur l’édredon rouge délavé. Du grand luxe ! Le confort contre le matelas miteux !
Mes yeux font le tour de la pièce. La décoration a dû être jolie, un jour, en tout cas, il y a longtemps ! Une porte au fond de la chambre doit probablement cacher des sanitaires. Je ne manque pas de noter que des barreaux ont été installés aux fenêtres, au cas où je voudrais me sauver. Enfin, pour l’heure, aucun risque que je tente un remake des évadés d’Alcatraz ! Parce que dans l’immédiat, je ne rêve que d’une chose : dormir.
À peine suis-je allongée que je me tourne vers le mur. Me voyant aux frontières du sommeil, il m’effleure la joue et ressort aussitôt. Je note qu’il n’a pas verrouillé la porte. Le message est clair : il ne craint pas que je m’en aille. Perdue dans mes pensées, une dispute devant ma chambre capte mon attention.
— Alors ? l’agresse Dave, dès que Sunny a refermé la porte.
— Alors, quoi ? rétorque Sunny dans un fracas laissant deviner qu’il l’a repoussé contre le mur.
— Je ne te reconnais plus, Sunny ! Ressaisis-toi, tu vas t’attirer des emmerdes ! gronde Dave, essoufflé.
— Mais quelles emmerdes ? s’agace Sunny.
— Dis-moi la vérité, t’as couché avec elle ?
Quoi ? J’ai bien entendu ? Couché avec…
— Non, mais t’es malade ? Tu me connais, c’est pas mon genre… se défend le braqueur d’une voix plus discrète.
— À vrai dire, je ne sais plus trop. Tu es si différent depuis que…
— Arrête tes films ! Les flics nous ont coursés. Il a bien fallu les semer. Ça a pris du temps. Après, j’ai dû tirer une autre bécane. Et pour couronner le tout, on s’est fait attaquer par une bande de lascars et on a dû se battre !
— Tu t’es battu ?
— Non, non… « On » s’est battu. Et je t’assure qu’elle a une sacrée technique. J’ai été tellement surpris que je me suis pris un coup en pleine face !
— Attends, tu parles bien du poids plume qui dort dans la pièce d’à côté ?
— Oui. Et après on a filé ici. Fin de l’histoire. Je te jure, je ne l’ai pas touché. Tu me crois, Dave ?
— Sunny… commence son ami après un instant d’hésitation. Je sais que tu ne veux pas qu’on en parle, mais je vais quand même m’y risquer. Quand je te vois avec elle, tu, enfin… Tu la regardes comme tu regardais… Stella.
Stella ? C’est qui celle-là ? La simple évocation d’une présence féminine dans la vie de ma gueule d’amour suffit à me blesser. Et merde… Je ne vais pas être jalouse, maintenant !
— Ne me parle plus jamais d’elle ! hurle-t-il dans un nouveau fracas me faisant sursauter. Tu m’avais juré de ne plus jamais prononcer son nom !
La réaction de Sunny amplifie ma rancœur non fondée contre cette « Stella » qui, pour être franche, ne m’a jamais rien fait à part compter pour le truand le plus séduisant qui soit.
— OK, acquiesce Dave, penaud, mais alors je te demande juste de ne pas oublier qu’elle est notre otage. Elle est notre laissez-passer pour quitter le pays et ne doit être rien d’autre ! C’est compris ?
Un silence, bien plus pesant que la colère de Sunny, résonne dans la bâtisse.
— T’as raison… Mais… Bon sang, Dave, qu’est-ce que je peux y faire ? reprend-il après un long moment, une tristesse évidente dans la voix. C’est plus fort que moi. Elle me fait tellement penser à elle !
Génial… Il m’a pris pour le clone de sa nana. Et d’ailleurs, où est-elle, au juste ?
— Mais en quoi ? souffle Dave, visiblement d’un tout autre avis. Elle ne lui ressemble en rien. Je te rappelle que ma sœur était brune, grande, sans éducation et bien plus violente que toi, en particulier avec les étrangers ! Pas du tout le portrait de notre otage.
— À première vue, je suis d’accord avec toi. C’est vrai qu’elle ne lui ressemble pas du tout. Mais ses réactions face au danger… Je suis certain qu’elle aurait réagi comme elle.
— Non, Sunny. Elle n’aurait jamais été aussi docile que cette fille.
— Docile ? Meg ? s’insurge Sunny.
— Oui. Et puis ne l’appelle pas par ce surnom ! Je t’ai déjà dit qu’elle n’était pas ton amie ! le reprend-il excédé.
— Ah oui, et pourquoi ? Elle est la seule à avoir osé me remettre à ma place et à me balancer en pleine gueule ce qu’elle pensait malgré ses craintes. Et puis, je ne sais pas, mais… Je ne peux nier ce que je ressens quand…
— Tu ne dois pas continuer ça. Sunny, reprend-il d’une voix douce, je suis ton ami, ton frère même, et je me fais du souci pour toi. Tu vas souffrir. « Elle » va te faire souffrir.
— Pourquoi veux-tu qu’elle me fasse souffrir ? Et d’ailleurs, je suis certain qu’elle a les mêmes doutes que moi.
— Tu te trompes, le coupe Dave, elle, ce qu’elle désire, c’est sa liberté. Non, mais, regarde un peu, deux jours à son contact et tu ne prends plus la peine de cacher ton visage en sa présence ! Elle t’a carrément retourné la tête, cette nana, c’est pas possible ! T’as jamais été un mec à fille. C’est pour ça que tu étais toujours désigné pour les otages. Réfléchis deux minutes… Elle pourrait te dénoncer. La seule chose qu’elle attend de toi c’est que tu la laisses filer. Elle n’est pas, enfin je veux dire, elle ne peut pas envisager quoi que ce soit avec toi.
Ils sont partis. Plus un bruit ne me parvient. Sunny… La jalousie aidant, mon cœur ose s’exprimer. Mis à part l’épisode mettant en scène une Stella tombée du ciel, je suis émue par son trouble. Si seulement j’avais le cran, je lui avouerais qu’il a raison et qu’il en est de même pour moi. Mes pensées s’interrompent d’elles-mêmes, la fatigue l’emportant sur mon mental, et je perds le fil lorsque mes yeux se ferment.
Quelques minutes plus tard, c’est le trou noir…
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