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À peine dix minutes après le départ de Dave, un des types pénètre dans mon espace.
— Dave veut que je te conduise à la douche, me commande-t-il froidement, Sunny a laissé des fringues pour toi.
Il fait quelques pas, se plante devant moi.
— On a une réputation, tout de même ! tente-t-il pour détendre l’ambiance. Tu dois être présentable pour ta libération de demain.
Trop sympa pour être honnête. Le souvenir de l’autre nuit m’arrache un frisson.
— Je préfère attendre leur retour, réponds-je sans même bouger.
— Depuis quand ce sont les otages qui décident ? grogne-t-il en sortant une arme pour la pointer dans ma direction. J’ai dit, main-te-nant !
Tremblante, je me redresse. Je n’aime pas ce qu’il se profile. À présent, je reconnais sa voix. Il s’agit du mec qui m’a touché la première nuit. La peur me percute. Incapable de me calmer, mon cœur bat à tout rompre.
Le type me pousse à regagner le grand escalier trônant au centre du hall. Vu le contexte, je trouve le lieu bien moins attrayant que le jour de mon arrivée. À contrecœur, je gravis les marches, un revolver entre les deux omoplates. D’où je suis, je peux sentir l’odeur nauséabonde se dégageant de l’homme qui me talonne. Une fois à l’étage, je regarde furtivement autour de moi. Et là, effarée, je comprends… Il m’entraîne en direction des dortoirs ! Mon Dieu ! Non ! Ce n’est pas possible… Vulnérable, je rêve que Sunny ou bien même Dave déboulent pour me sauver. Mais je dois me rendre à l’évidence : personne ne viendra à mon secours ! Veulent-ils terminer ce qu’ils n’ont pas eu le temps de commencer la dernière fois ?
À ma droite, une porte entrebâillée. Elle donne sur une terrasse extérieure. Voilà pourquoi je ne les entendais pas. Ils devaient avoir l’interdiction formelle de descendre au rez-de-chaussée. Seulement, Sunny partit, qui me protégera ? Progressant sous la menace, je passe devant les chambres ouvertes. Le temps de mon passage, j’ai tout le loisir de contempler le bordel régnant dans chacune d’elle ! Ils sont répugnants, ces mecs ! Des chaussettes et des caleçons, d’une puanteur hors concours, jonchent le sol de chaque pièce. Sans parler des lits défaits et des couettes traînant sur le parquet poussiéreux. Mais, où ont-ils déniché ces cradingues ? Honnêtement, j’ai du mal à croire que ces hommes, dépourvus de tout, puissent être amis avec Sunny et Dave !
En mon for intérieur, je prie pour qu’il ne m’entraîne dans l’une de ces porcheries. Heureusement pour moi, nous venons de dépasser la dernière porte ouverte. À travers la balustrade, j’aperçois le hall, immense et majestueux. Tout en fixant l’entrée en bois, j’espère, mais personne n’arrive…
Sans ciller, il m’indique une pièce de l’index. Je pousse la porte d’une main tremblante et découvre une spacieuse salle de bain. Dans un ordre tacite, il me dicte de pénétrer à l’intérieur. Après tout, je me suis peut-être fait des films. Quel soulagement ! S’il m’a fait monter dans leurs appartements, c’est uniquement parce que ce doit être la seule de salle d’eau de la maison.
— Entre, gronde-t-il en me poussant, sur le tabouret, il y a des vêtements et des serviettes.
— Merci, murmuré-je, indécise, sans pour autant baisser ma garde.
— Bon, si tu n’as plus besoin de moi, je te laisse, conclut le type avant de sortir.
Je l’entends refermer la porte que je m’empresse de verrouiller à double tour. Ouf ! Je ne risque plus rien. Finalement, il me tarde de me relaxer dans une bonne douche. Trois jours sans m’être lavée à grandes eaux et je me sens grade. Rapidement, je me déshabille, en faisant couler un filet d’eau afin de lui permettre de chauffer. Quand la température me paraît idéale, j’entre dans le bac.
Je suis si bien que je perds toute notion de temps. Quand je me décide à quitter ce cocon de douceur, je m’enroule autour de la large serviette posée sur la porte vitrée. Hum ! Si j’arrivais à oublier où je me trouve, ce serait parfait. Mais lorsque je sors de la douche, je suis saisie d’effroi. Le type est là, adossé contre le lavabo, à me mater de ses yeux vicieux. Comment est-il entré ? Les jambes coupées, je suspends mon geste. Depuis combien de temps est-il ici ? Interdite, je demeure immobile, ne sachant que faire. Crier, tenter de fuir ou alors simplement m’habiller sans faire cas de sa présence ?
Devant ma réaction, il se redresse et se rapproche de moi. Et même si son flingue reste posé sur le lave-mains, je me sens sans défense, nue, au milieu de cette salle de bain. Tel un prédateur, le sale type se place près de moi.
— Eh bien, roucoule-t-il en tendant une main vers ma serviette, y a pas dire, c’est quand même bandant une femme à poil !
Ma respiration devient courte, sifflante. Pétrifiée, mon attention se focalise sur son visage à présent tout près du mien tandis que mon être se sature de l’odeur fétide s’échappant de sa bouche aux dents jaunies.
— Et puis, continue-t-il, un rictus vissé aux lèvres, t’es pas mal roulé en plus. Enfin, pour moi t’as pas assez de nichons, mais bon, pour le reste, t’es parfaite !
Ses doigts lourds se posent sur ma maigre poitrine. À l’agonie, je peine à retenir mon souffle qui s’emballe.
— Sans blague, pas étonnant que Sunny ait craqué pour toi ! T’as un cul d’enfer…
La main venant de s’approprier ma taille me fait l’effet d’un électrochoc.
— Ne me touchez pas ! crié-je en tentant de le repousser.
— Je crois que t’as pas bien saisi la situation, me menace-t-il à présent. Sunny et Dave se sont barrés. Alors, comme tu peux le voir, c’est juste « toi » et « moi », maintenant. Et à te regarder de plus près, je pense que je ne vais pas le regretter…
Sans prendre mon avertissement au sérieux, il arrache violemment ma serviette qu’il balance au loin, près de la porte. Un cri m’échappe. Mes mains tentent de préserver mon intimité, mais son regard salace prouve que c’est cause perdue. Ma respiration est si rapide que la tête me tourne. Comme saoule, je sens mon sang pulser dans mes tempes. L’adrénaline se diffuse en masse dans tout mon corps. Engourdie par la peur, je suis comme une biche aux aguets.
Comment me sortir de là ? M’enfuir ? Impossible. Me battre ? Il donnera l’alerte et ce sera, sa parole contre la mienne. En pleine réflexion, je reste ainsi, pétrifiée, attendant pour décider. Sa proximité me répugne. Les poils hérissés, c’est tout mon être qui réagit. Nue devant lui, il pose un doigt sur l’un de mes seins qu’il commence à tâter vulgairement, tandis que son autre main va directement se nicher sur le haut de ma cuisse. Non ! J’ai envie de pleurer, mais le dégoût pour ce connard m’en empêche. Incapable de bouger, je fixe le vide, prisonnière de mon corps inerte. Mon âme hurle, mais aucun son ne sort.
Il me semble vaguement qu’il continue à se délecter de mes courbes. Comme déconnectée de la réalité, mon esprit vient de s’échapper. Bien loin de ce lieu de perdition, j’ai l’étrange sensation d’être spectatrice d’une scène effrayante. Pourtant, son comportement ne saurait mentir : il ne s’arrêtera pas là.
La peur monte encore d’un cran. Un hurlement me vrille les tympans. Il me faut quelques secondes pour comprendre qu’il vient de moi. Ma détresse s’exprime. Incontrôlable. Dans le désespoir, je l’appelle, lui. De tout mon cœur. De toute mon âme. Même si je suis consciente qu’il n’est plus ici et que ce ne sont certainement pas les trois autres loosers qui vont débarquer pour me prêter mainforte.
— Sun-ny ! Sun-ny ! Sun-ny !
Suppliante, je retiens des larmes inutiles. La pitié ne fait pas partie du palmarès de leurs qualités. La pression est si forte que je peine à respirer normalement. Un poids semble m’écraser la poitrine.
— Tu peux toujours l’appeler, raille le type qui me bâillonne la bouche de sa paume.
Il faut qu’il cesse ! Je ne peux pas le laisser me salir ainsi ! Dans un élan de rejet, alors que mon dos est à présent pressé contre son torse répugnant et qu’il me caresse à outrance, je balance mon coude dans son ventre rebondi. La violence du choc, mélangée à la surprise de mon geste, le fait plier. Le sentir contre moi, avec sa pitoyable envie nichée au creux de mes reins, s’avère être l’expérience la plus traumatisante de toute ma vie. À elle seule, elle vient de balayer l’abandon du père de ma fille, mon kidnapping à la banque, ma peur de mourir.
Cette affreuse sensation a au moins eu le mérite de me faire réagir. Tous mes réflexes, toute ma technique me reviennent en bloc, remplaçant instantanément la terreur par une haine dévastatrice entièrement tournée vers cet être abject que je vais être contrainte d’anéantir. Réactive, je me retourne avec la vitesse de l’éclair. Il me ferait presque pitié ce con à se tenir le bide en gémissant. Mais ce n’est que le début ! Moi qui pensais ne pas savoir attaquer, la cruauté des scénarios qui défile dans mon esprit me prouve le contraire.
Un coup de pied à la gorge le projette sur le carrelage humide et froid. Une fois au sol, il peine à reprendre son souffle. Je profite de son trouble pour fondre sur lui. Tremblante, je lui fais une clé, l’obligeant à se tourner face contre terre dans un gémissement jouissif. Le temps de récupérer l’arme toujours posée sur le lavabo, je le lâche. Bien que je ne sache pas m’en servir, je décide de ne rien laisser paraître, imitant à la perfection la tonne de films policiers que j’ai pu ingurgiter durant mes longues soirées d’hiver. De mon pouce, je le charge, avant de viser maladroitement le sale type avec.
— Hey… Les mecs ! Venez vite, elle tente de s’enfuir ! hurle-t-il, misérable.
S’ils débarquent, je vais tous les dégommer ! Appuyer sur la gâchette ne doit pas être si difficile que ça.
— Ta gueule ou je te plombe ! Espèce d’ordure ! le menacé-je en jetant des coups d’œil inquiet en direction de la porte sans toutefois cesser de mettre en joue.
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