3 - Daniel (2/4)

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Le hall d’entrée s’étendait sur un vaste espace sans pour autant être tape-à-l’œil. Très calme, la climatisation au-dessus de la porte principale s’entendait à peine. Une zone d’attente avec une table basse, trois canapés et deux fauteuils se trouvait à gauche. Des palmiers Areca et des fougères luxuriantes insufflaient une note de nature à cet édifice au charme d’antan. Le carrelage gris contrastait avec une tapisserie murale crème, accentuée par un éclairage tamisé chaud.

Daniel se présenta au bureau. Une secrétaire d’âge mûr, rappelant la mamie de tout le monde, le salua.

— B-bonjour… hésita-t-il. Suis-je bien dans un asile psychiatrique ? S’il vous plaît.

La femme se renfrogna, l’avisa du regard, puis se radoucit.

— Nous n’apprécions pas trop le terme « asile », monsieur. Oui, Estenia est bien un institut psychiatrique. Avez-vous un rendez-vous ? Vous venez pour une visite ?

— Je souhaiterais me faire interner ici, s’il vous plaît.

L’intonation de Daniel se brisait et certains mots étaient étouffés. Le visage de la secrétaire se referma de plus belle.

— Pardon ? Si c’est une plaisanterie, elle est de très mauvais goût, jeune homme !

— Excusez-moi, je ne voulais pas paraître irrespectueux. Je ne vais pas bien, je suis perdu. Aidez-moi, s’il vous plaît, implora-t-il la gorge serrée.

Elle le balaya de nouveau du regard, puis se retourna vers sa collègue pour lui murmurer quelque chose. Cette dernière se leva et disparut derrière une porte mentionnant « Interdit au public ».

Daniel observait autour de lui, plutôt étonné. Il pensait que les asiles, non, les établissements psychiatriques, étaient tous de vieux bâtiments austères avec du carrelage blanc, des murs aux grandes fenêtres, et des gens qui hurlent. La sérénité de l’endroit lui faisait presque recouvrer une certaine tranquillité.

Pendant ce temps, la secrétaire sortit un feuillet de son casier. Un claquement brisa la quiétude lorsqu’elle le flanqua sur son bureau. Daniel sursauta. Elle saisit un stylo et envoya un signe de la main au visiteur.

— Asseyez-vous, je vous prie, demanda-t-elle d’un ton calme. Nous avons appelé un docteur qui viendra vous examiner. En attendant, je vais vous poser quelques questions pour remplir votre dossier.

Il opina de la tête.

— Votre nom ?

— Daniel.

— C’est votre nom de famille ou bien votre prénom ?

— Je ne comprends pas. Tout le monde m’appelle ainsi.

— D’accord… votre âge ?

— Je ne sais pas… ça fait longtemps, j’ai perdu le compte depuis la dernière fois.

— Une date de naissance, dans ce cas ?

— 21 août 2289.

La secrétaire leva son crayon et un sourcil dans une parfaite synchronisation, puis scruta Daniel avec de gros yeux interrogateurs.

— Excusez-moi, vous avez bien dit « 2289 » ?

— Oui, pourquoi ?

— J’avais peur d’avoir mal entendu. Votre adresse de résidence ?

— Je n’en ai pas.

— Vous n’avez pas de domicile fixe ? Vous voyagez beaucoup, peut-être ?

— Non. Ma ville a simplement disparu.

— Ah, je suis navrée de l’apprendre, dit-elle en consignant la réponse.

Daniel s’inquiétait de ces questions, mais son incapacité à répliquer correctement le conforta dans sa volonté. Il avait bel et bien perdu tous ses repères et donc besoin d’aide.

— Avez-vous des proches, de la famille, des amis, à informer de votre présence ici ? Quelqu’un à prévenir en cas d’urgence ?

Un puits de gravité se forma dans la poitrine de Daniel. Il se sentait aspiré en lui-même tant ce vide le submergeait. Il baissa la tête et renifla doucement.

— Non…

Une femme franchit la porte du personnel à cet instant. Grande, élancée, des cheveux noirs frisés qui tressautaient en cadence à chaque pas. Elle rehaussa ses larges lunettes rondes et considéra Daniel pendant quelques secondes. Il se rabougrit, elle n’avait pas l’air commode.

— Est-ce bien lui ? demanda-t-elle à la secrétaire.

— Oui, docteure. Je vous présente Daniel, il souhaite qu’on l’examine.

Il leva la main pour intervenir dans la discussion.

— Pardon, mais je voudrais vraiment être interné.

Le regard d’ébène de la thérapeute se porta de nouveau sur Daniel. Il baissa la main et la tête. Elle saisit le dossier et le parcourut rapidement. Avec seulement son nom et sa date de naissance, l’assistante n’avait pas dû aller bien loin. La docteure retira ses lunettes et tapota ses lèvres avec la pointe d’une des branches.

— Je suis la docteure Kirdjanen, monsieur Daniel. Je vais vous évaluer et nous allons voir ensemble de la suite à donner.

La secrétaire tendit un bracelet en plastique.

— Vous devez le porter en toute circonstance dans l’établissement, monsieur, expliqua-t-elle. Avez-vous bien compris ?

— D’accord, répondit Daniel en l’enfilant à son poignet gauche. Ah !

Il fouilla dans sa veste et sortit une petite carte qu’il abandonna sur le bureau de l’assistante.

— Tenez, c’est pour payer. Je pense qu’il y aura assez.

Elle la prit et l’inséra dans le lecteur. Après quelques frappes sur le clavier, les yeux de la secrétaire s’écarquillèrent. Elle sembla gênée.

— C’est plus que suffisant, et même beaucoup trop ! Je m’occuperai de cette formalité à l’issue de votre entretien avec la docteure Kirdjanen. Nous vous rendrons la différence.

— Non, ça ira, gardez le reste.

— Vous en êtes certain ?

Il opina mollement de la tête.

— Allons, monsieur Daniel, intervint la thérapeute. Ne vous embêtez pas tout de suite avec les démarches administratives. Laissez-moi vous évaluer et nous verrons bien. Voulez-vous me suivre, je vous prie ?

— D’accord. Merci. Appelez-moi « Daniel », s’il vous plaît. Le « monsieur » me met mal à l’aise. Il me donne l’impression d’être vieux.

Elle lâcha un petit rire et lui tint la porte de l’accès réservé au personnel. Daniel s’arrêta devant, confus. Il présenta son poignet au niveau du cadre.

— Quelque chose ne va pas ? demanda la thérapeute.

— Je cherchais le scanner pour le bracelet.

Elle resta interdite pendant quelques secondes.

— Le quoi ?

— Laissez tomber, soupira-t-il.

La docteure afficha une moue inquiète, puis l’invita à entrer en lui appuyant doucement sur l’épaule. Daniel ressentit un léger frisson à cet instant.

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