Chapitre 16-2 : Koukai no toki (le temps des regrets)

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Ji Sub

 « Putain Ji Sub, mais qu’est-ce que tu fous ? Réfléchis ! »

 Ma petite voix intérieure me sermonne. Elle a raison. Mais la solution à mon problème n’apparaît pas. Je veux tout annuler, mais c’est impossible. Je pose les yeux sur Mina. Bien sûr, ce sera elle ma solution. Elle n’approuve évidemment pas ce qu’il se passe. Je suis certain qu’elle ne voudra jamais participer à une telle horreur. Je suis même sûr qu’elle se contient pour ne pas intervenir davantage.

 Je réalise que j’ai des pensées égoïstes. Elle m’a soutenu dans cette galère, alors qu’elle m’avait mis en garde, et je ne l’ai pas écoutée. À moi de l’en sortir.

— J’ai oublié le chargeur de la caméra, je reviens… feins-je en sachant pertinemment que l’appareil a été branché la veille, et ce durant toute la nuit, par mes soins.

 Je me dirige vers le tableau de bord pour leur tourner le dos, extirpe mon portable de ma poche et fais danser mes doigts sur l’écran tactile comme si ma vie en dépendait. En réalité, c’est un peu le cas.

J’ai été con ! Je veux tout arrêter. Je sais qu’il est trop tard, mais je veux me racheter. Tu vas m’aider ?

 Je range rapidement mon portable dans ma poche et fouille les tiroirs installés sous le tableau de bord en faisant semblant de chercher le chargeur pour gagner du temps. Je n’ai rien laissé au hasard à l’intérieur de mon bébé. Je sais bien évidemment où il se trouve. Je prie de toutes mes forces pour que mon stratagème ait marché sans éveiller les soupçons de mes « amis ». Je suis conscient de ma maladresse. En fait, j’improvise. Je n’ai pas pensé au moindre plan B au cas où les choses tourneraient mal. Pourtant, j’aurais dû mais je n’avais élaboré qu’un plan A foireux. Si j’avais réfléchi correctement, je n’aurais pas tout mis entre les mains de Maya, Andrew et Stéphane. Nous n’avons jamais été proches. Je pensais faire la part des choses en les considérant comme des collègues et non des amis. Mais, si je m’étais réellement penché sur le problème, j’aurais compris que je ne pouvais pas leur faire confiance.

 Mon téléphone vibre contre ma cuisse. Je me mords les lèvres, espérant que personne ne l’a entendu. Je retourne la tête. Ils sont trop occupés à ricaner pour ça. Mina s’interpose comme elle le peut. J’ignore comment elle a fait pour m’écrire si rapidement, et ce à leur nez et à leur barbe.

 « Allons bon, les jeunes et leur technologie… » marmonné-je pour moi-même en déchiffrant son texto. Je suis à la fois soulagé et effaré par son message.

Ce n’est pas trop tôt !

 Ce texto m’indique qu’elle n’a jamais été de mon côté. Elle faisait semblant depuis le début. Je me sens trahi, mais j’ai besoin d’elle et je suis rassuré de constater que je peux compter sur son aide. Encore. Au moins, paradoxalement, elle a le mérite d’être fiable.

Il ne faut surtout pas commencer la vidéo !

 Le but était de diffuser en direct les images de nos revendications, en montrant bien entendu la princesse kidnappée, après avoir piraté l’écran de l’estrade.

— T’es lent, Ji Sub ! s’impatiente Maya.

— J’arrive, j’arrive. Je l’ai ! Désolé, je suis un peu bordélique.

 Maya ne m’assène aucune réplique cinglante. Je suppose qu’elle me croit, au vu du bazar du sous-sol du garage. Je branche la caméra à une prise à l’autre bout du zeppelin et en profite pour textoter avec Mina. Quand je prétends faire les manipulations nécessaires à la diffusion de la vidéo, je lui réponds en mimant mes gestes.

J’ai partagé nos coordonnées avec Sasaki…

 J’entends des bruits de pas. L’écran holographique du coquillage de Mina doit être plus discret que mon antiquité que Je m’empresse de cacher.

— Qu’est-ce que tu fabriques ?

— Rien, la manœuvre est simplement plus difficile que je le croyais, c’est tout.

— Tu passes ta vie à tout pirater.

— Ce n’est pas pareil ! On parle quand même du discours annuel de l’Empereur, et de ses cinquante ans, ainsi que de la majorité de sa fille ! J’avais réussi à entrer dans les paramètres de l’écran quand je me suis entraîné, mais ils ont dû rajouter des pare-feu. Laisse-moi me concentrer ! Tu me ralentis !

— Ok. Mais grouille-toi, Andrew est très excité. Il ne tiendra pas longtemps et il ne serait pas très judicieux de filmer ça. Quoique… ça pourrait enfin leur montrer de quoi les Réfugiés sont capables.

— Donc tu veux utiliser le viol comme arme de guerre ? Bravo, quelle mentalité !

— Tu es toujours avec nous au moins ? L’as-tu au moins été un jour ?

— Attention à tes paroles, Maya ! C’est mon zeppelin, mes lois ! Pour le moment, que personne ne la touche ! On doit promettre de ne pas toucher à un seul de ses cheveux devant les caméras. Sinon, on va simplement réussir à déclencher une guerre civile. C’est ce que tu veux ?

— Non…

— Alors boucle-la ! Va calmer les ardeurs d’Andrew et laissez-moi me concentrer.

 Maya s’éloigne tout en conservant un regard suspicieux qu’elle finit par détourner de moi. Elle considère la Princesse avec énormément de dédain. Elle lui crache dessus. Avant même que je n’aie eu le temps d’intervenir, Mina lui colle une bonne grosse gifle.

— À compter de maintenant, tu vas arrêter de te comporter comme une connasse !

— Mais je suis une connasse voyons. Nous sommes tous des connards ! Nous avons tous commis ce crime. La seule différence entre nous, c’est que je l’assume, balance-t-elle en se tenant la joue.

 Les yeux de Mina et les miens se croisent. Je tente de lui transmettre silencieusement toute la fierté que je ressens à son égard. J’ai peur, aussi. Je crains pour sa vie.

— Bon Ji Sub, ça vient ou quoi ?

 Mina fait semblant de s’impatienter, certainement pour écarter tout soupçon d’elle. Elle doit également en profiter pour me houspiller à propos de ma réponse. Celle-ci tarde, je le sais, mais je sens toujours Maya dans mon dos. Les battements de mon cœur me donnent la désagréable sensation qu’ils sont prêts à me trahir à tout instant. Pour me calmer, je tente de me rassurer. Mina a divulgué notre position à son coéquipier, qui me semble être un homme droit et compétent. Tout se passera bien.

 Quelques secondes plus tard, je peux enfin sortir mon portable afin de lire la suite du message.

Partage de nos coordonnées avec Sasaki ok

 Arrive dans trois minutes voiture

 Mais Princesse doit sortir.

 Civils en dessous…

 La fin de son texto est parsemée de trous, signe qu’elle doit écrire de plus en plus vite, elle aussi. Je réfléchis à la vitesse d’une turbine pour essayer de trouver une solution. Je presse un gros bouton rouge lumineux qui provoque un bruit d’alarme strident. Tout le monde se bouche les oreilles.

— Nous avons été repérés ! Je vais nous emmener dans un endroit plus calme proche d’ici ! les préviens-je.

 Je manœuvre le zeppelin afin que ce dernier glisse à l’horizontale. Je parviens à garder sa hauteur de vol initiale. Nous stationnons à nouveau dans les airs, cette fois-ci au-dessus de la mer, mais non loin des côtes car j’ai une idée.

« Il y a un deuxième harpon. À mon signal, je vais l’activer. Je vais retenir les zigotos pendant que tu emmèneras la Princesse avec toi. D’accord ? » écris-je en profitant du fait que je sois toujours dos à eux.

 « Pas trop ok ! »

 À peine ai-je eu le temps de lire sa réponse qu’un bruit digne d’un cartoon parvient à mes oreilles, ainsi qu’un cri strident. Je me retourne vivement. Mina vient d’assommer Andrew avec le trépied. Ou avec la lourde caméra qui se trouve toujours vissée sur son sommet.

— Waouh, ça fait du bien ! s’exclame Mina avec une voix triomphante.

 Je remarque qu’elle a fait d’une pierre deux oiseaux en assommant également Stéphane qui se trouvait bêtement à côté d’Andrew.

— Sombre traitresse ! persifle Maya avant de se jeter sur Mina. Je me lève pour l’aider mais cette dernière arrache son coquillage de son cou et me le lance.

— Envoie nos coordonnées à qui tu sais ! Maintenant !

 J’ignore comment fonctionne son machin. Je parviens malgré tout à ouvrir le clavier holographique. Ce dernier apparaît devant moi et je devine qu’il est invisible aux yeux des autres car le pendentif doit être équipé d’une caméra qui détecte les présences autour de lui selon différents angles. Je réussis aussi à ouvrir ses derniers messages et à partager nos coordonnées au dénommé Sasaki. Ensuite, je planque le bien de Mina dans ma poche.

 En relevant la tête, j’ai la chance d’assister aux dernières secondes d’un combat épique dont je ne captais que des bruits.

 Maya attrape la tête de Mina. J’ai déjà vu mon ancienne partenaire taper sur d’énormes clous avec une rage contrôlée qui lui conférait une puissance effrayante. Elle utilise cette dernière pour relever Mina et tenter de lui éclater la tête contre la carlingue. Mina résiste. J’ai peur que son cou ne se brise tant il tremble mais n’interviens pas. Je dois lui faire confiance. Nous n’avons plus beaucoup de temps. Je me précipite vers notre otage pour défaire ses liens et lui retirer son bâillon. Il était temps. Le morceau de tissu était si serré autour de sa bouche qu’il entravait légèrement sa respiration.

— Je m’excuse pour tout, Votre Majesté. Vraiment. Aucun mal ne devait vous être fait. Je sais que j’ai l’air vieux mais je reste naïf malgré mon âge avancé… On va vous faire sortir d’ici, l’Agent Mori et moi-même, n’ayez crainte !

 Du coin de l’œil, j’aperçois Mina qui lâche légèrement prise afin de laisser Maya la rapprocher du mur sur lequel elle prend appui avec les mains et les pieds pour se propulser en arrière. Elles tombent toutes les deux au sol. Maya se retrouve écrasée par le poids plume de Mina et la retourne comme une crêpe. Mina, sous Maya, se saisit de la caméra qui git au sol. Ses doigts se promènent sur l’appareil qui reste accroché au trépied. Maya ne semble pas le remarquer, trop occupée à serrer ses mains autour de son cou. J’aurais dû la défendre. Au moment où je me redresse pour l’aider, Mina trouve le bouton servant à déclipser la caméra de son support et elle assomme Maya avec.

 Je l’aide à redresser à moitié les trois corps inertes et à les asseoir contre la paroi la plus proche. Nous les ligotons, plutôt sommairement car nous ne disposons pas de davantage de temps. Ensuite, j’harnache la Princesse et Mina. J’embrasse cette dernière. J’ignore quand je vais la revoir. Je ferme les yeux pour ne manquer aucune sensation. Nos larmes se mélangent entre elles avant de fondre dans ma bouche. Nous nous écartons.

— Tu penses pouvoir me pardonner ?

— Ce sera difficile, mais tu as essayé de te racheter. Je ne cautionne absolument pas ce que tu as fait, mais tu n’es pas quelqu’un de mauvais ! Tâche de t’en sortir, passe le bonjour à Ji Soo et à Sisi pour moi.

 La Princesse tremble. Mina lui sourit et la rassure à l’aide de mots gentils dont elle a le secret et de sa voix douce. Avant de glisser la première le long de la tyrolienne, elle m’adresse un regard lourd. Je suis presque sûr qu’il signifiait « Je t’aime ». Ensuite, les jeunes filles disparaissent. Je suis conscient de la peine encourue pour le crime que nous venons de commettre. Je surveille les caméras extérieures et suis soulagé de constater qu’aucune d’entre elles n’est tombée dans la mer. Dès l’instant où elles regagnent la terre ferme, je coupe le cordage et me rue sur les commandes afin d’opérer un demi-tour. Je ne tarde pas à être pris en chasse.

 « Allons bon mon vieux, tout va bien ! Le zeppelin est presque invisible, rappelle-toi ! Vous allez vous échapper, même si c’est pas dit que ces zigotos le méritent ! Bande de cons, va ! Enfin, toi aussi Ji Sub, t’es un sacré con ! » tenté-je de me convaincre avant de m’énerver contre moi-même. Je reporte cette petite discussion de moi à moi à plus tard. Les radars tout autour de moi s’affolent. J’esquive plusieurs avions de chasse. Un tir bien placé nous fait chuter de quelques pieds. L’alarme retentit. Ce n’est pas la même que tout à l’heure. Je reconnaîtrais ce bruit entre mille.

— Notre système de camouflage est hors-circuit… constaté-je, dévasté.

 Alors que je tente de récupérer à la fois vitesse, altitude et système de camouflage, je lâche les commandes. Ma glotte est compressée. Je manque d’air. Mes mains touchent ce qui entrave ma gorge. Je sens de la peau sous mes doigts et reconnais la forme d’un avant-bras. La voix désagréable d’Andrew crie dans mes oreilles.

— Sale traître, tu vas mourir ici !

— L…Lâche-moi, sinon tu vas mourir aussi ! le supplié-je en utilisant la quasi-totalité de l’air qu’il me restait dans les poumons.

 J’appuie la pointe de mes pieds contre la paroi de mon bureau afin d’envoyer ma chaise à roulettes dans Andrew qui me libère malgré lui en beuglant. Vu le bruit guttural qui s’échappe de sa gorge, j’en déduis que l’objet a dû lui cogner les valseuses et me retiens de rire malgré l’horreur de la situation.

 Pendant que nous nous battons sans stratégie, à coups de poing et de pied, je tente en vain d’effectuer des allers vers le tableau de bord. Andrew me force à chaque fois à les transformer en allers-retours. Nous continuons à être pris en chasse, le ballon se fait cribler de balles sans que je ne puisse rien faire et nous continuons à chuter. La pression dans mes oreilles devient insupportable. Je vois tout en double.

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