Maintenant qu'il s'était déchaîné, Alban pouvait sentir ses poings et ses poignets lui envoyer des décharges douloureuses à travers le corps. Pourtant, dans sa tête, c'était toujours sans dessus-dessous et une migraine commençait à poindre et à marteler son crâne. Y'avait pas à dire, son esprit était un bordel monstre, l'expression était même encore en deçà de la vérité. L'homme avait l'impression de se trouver au sein d'un immense couloir parsemé d'une multitude de portes qui claquaient les unes après les autres dans un vacarme infernal. Fou de rage mais paradoxalement pas d'humeur à passer ses nerfs sur un autre, il été retourné chez lui.

Alors, le trentenaire en était là, mentalement épuisé et le front appuyé sur la table qui lui faisait face. Seul avec le silence moqueur de la pièce, il lui arrivait de temps à autres de faire glisser le long de sa gorge une gorgée de Blanton's Original, un de ces fameux bourbon réputé qu'il avait ramené de voyage d'affaire quand on l'avait envoyé aux states. Oh, bien sûr, il s'était démocratisé à l'international maintenant, mais il avait tenu à en prendre une bouteille de son pays natal. Mais ce soir, il ne prenait même pas la peine de savourer ce goût délicieux de vanille mélé d'agrumes. Il expérimentait plutôt une émotion déjà ressentie, vieille de plusieurs années, mais comme à son habitude, il était tout bonement incapable de poser un mot sur celle-là et ça ne l'enrageait que d'avantage.

Son être dans sa globalité était constamment prit dans une dualité qui le harassait de fatigue. Pourtant, il refusait d'abandonner. Ils avaient un accord. Et lui avait fait un pari : Le blond ne s'avouerait pas vaincu, jamais. Il retournerai voir ce foutu androgyne buté et il lui ferait entendre raison. Que ce soit de gré ou de force, il le forcerait accepter cette putain d'opération. Satisfait par cette sage et déterminée résolution, l'homme d'affaire se sentit un brun plus apaisé et il avala en une prise le fond de son verre avant de reposer le pauvre récipient sur la surface de bois avec brusquerie, si bien qu'il explosa dans sa paume. Oui, demain, il allait faire plier le petit lion et le forcerait à revoir ses positions.

S'il venait à disparaître, lui, le seul être qu'il avait jugé apte à siéger à ses côtés dans ce monde pourri et corrompu, il le jurait, ce monde brûlerait et il le mettrait à feu et à sang lui-même. Il le précipiterait sans la moindre once de remord dans des flammes gargantuesques. C'était une inévitable promesse. Si Florence ne restait pas avec lui, à quoi bon accepter un quelconque attachement à ce disciple de Thanatos ? Il le refusait. Après tout ses débats intérieurs pour répondre à cet inexplicable lien sorti de nulle part, il ne pouvait concentir à une chose pareille, jamais !

Alors, fidèle à décision de la veille, l'homme aux cheveux d'ambre profita de l'aube du week-end pour se rendre à l'hôpital où il avait laissé Florence, bien décidé à le faire changer d'avis. Ses poings étaient toujours bien douloureux. Il suspectait avoir peut-être mis un peu trop de force dans ses multiples coups. Toujours est-il que violacés comme ils l'étaient actuellement, il prit soin de les fourrer dans ses poches, ignorant la douleur bienfaitrice qu'ils lui donnaient et avança d'un pas rapide dans le dédale de couloirs jusqu'à la chambre de son.. ami ? Hm.. il passait l'éponge de la formulation à son esprit caprieux pour cette fois.

Arrivé devant la porte qui lui était attribuée, l'homme d'affaire stoppa sa marche. Aucun bruit à l'horizon ? Parfait, la mégère ne semblait pas se trouver au chevet de sa progéniture ! Ainsi, toujours sans prendre la peine de frapper, Alban entra dans la pièce. Florence y était bel et bien seul, et lui tournait le dos, faisant face à la fenêtre qui montrait un extérieur pour le moins.. désagréable à regarder. L'androgyne semblait perdu dans ses pensées à tel point qu'il ne l'avait pas remarqué. Ou alors, il l'ignorait tout simplement. Mais le blond préféra rejeter cette éventualité pour se concentrer sur la première.

Ainsi, le plus âgé se racla la gorge et le bruit attira finalement l'attention de son cadet qui tourna la tête vers lui. Le regard posé sur lui était cerné et morne, rougi par un évident trop plein d'émotions qui, trop ardentes n'avaient pu que déborder, et Alban fronça les sourcils. Pourtant, il ne comptait nullement épargner Florence et ouvrit la bouche pour commencer sa tirade pleine de détermination. Il n'eut pas l'occasion de placer le moindre son, néanmoins. Et pour cause, son vis-à-vis avait déjà parlé avant lui.

• Je vais la faire. L'opération, je vais la faire., dit-il du bout des lèvres dans un murmure, comme si chaque mot prononcé lui arrachait le coeur et le débectait.

Il finit par soupirer devant l'expression expression fatiguée de son aîné. Mais les faits était là : dans sa poitrine, un étonnement certain était né. Se pourrait-il que ce soit si simple, finalement ? Il n'avait même pas eu besoin d'argumenter, de cracher son venin toxique ni de se faire menaçant ? Florence cédait, tout simplement, comme ça ? Soit. Peut-être que le bouledogue d'âge avancé avait fini par jouer son rôle de matrône responsable et avait contraint son fils. Quel lion têtu, céder ainsi avait dû être éprouvant ! Mais il était tout à fait satisfait de ce revirement pour le moins surprenant. C'est pourquoi il s'avança vers vers le malade d'un pas tranquille alors que le monstre en lui offrait à son esprit une brève période d'accalmie. Et pour une fois - la première et unique fois de sa vie, par ailleurs - Alban décida d'offrir à quelqu'un des mots destinés au réconfort, de manière sincère et spontanée. Le commun des mortels, imbéciles niaiseux, aurait pu dire que Florence le rendait meilleur. Sottise.

• Ça se passera bien, j'en suis certain., souffla l'homme d'affaire en posant sur son épaule une main qu'il espérait rassurante, accompagné d'un fin sourire.

Les yeux de Florence brillèrent d'un éclat désespéré pendant un instant, comme si une nouvelle vague de larmes semblait vouloir fuir de ses prunelles déjà écarlates, mais il sembla gagner la bataille puisqu'il se contenta de hocher la tête.

• Tu as dis que tu ne faisais jamais rien gratuitement, n'est-ce pas ? C'est pareil pour moi. J'ai cédé à ta requête, alors j'ai droit à une faveur en échange, déclara le chanteur d'une voix inflexible et avec détermination avant d'adresser à son interlocuteur un sourire mi-figue, mi-raisin, puis vicieux.

Là, il s'agissait de ce Florence qu'il avait appris à apprécier ! Le lion au tempérament impétueux et revêche, prêt à mordre comme le plus agressif des félins tout comme de siffler avec l'ardeur d'un serpent. Pour cette raison, son masque de nouveau presque inébranlable se fendilla d'un sourire amusé et il hocha vaguement la tête, accédant à sa demande, qui, finalement, tenait bien plus de l'ordre.

• Dis toujours., concéda le blond curieux de connaître l'accord qu'essayait de négocier ce petit diable.

Un sourire plus large, plus sincère aussi, prit alors place sur le visage de l'androgyne en entendant sa réponse, et il dit d'une voix plus douce, comme apaisé :

• Avant que je ne doive confier mon sort aux médecins, partons ! Emmène-moi quelque part pendant une semaine. Ce sera mon unique demande. Je veux garder un bon souvenir.. si l'opération venait à être un échec.

L'opération ne serait pas un échec ! Mais soit, le trentenaire pouvait bien accorder cette faveur à son cadet. Et de toute manière, ce n'était pas vraiment un problème pour lui. Les prix allaient flamber en cette saison, mais peu importe. Peut-être que des vacances lui feraient du bien, qui sait ? Et cette fois, il ne laisserait pas une seule occasion de fuir à ce démon.

• Ça me paraît acceptable. Où voudrais-tu aller ?
• Hm, eh bien, j'ai toujours voulu voir Zurich ! J'aimerai transférer mon dossier pour pouvoir me faire opérer là-bas. Ils paraît par ailleurs qu'ils ont de très bons résultats., confessa le plus jeune.

La Suisse, hein ? Pourquoi pas.

Et ainsi, ils étaient tous deux partis pour le pays hélvétique. Les jours précédents leur départ, Florence était resté allité et Alban était passé le voir plusieurs heures chaque jours après avoir quitté le bureau. Des départs plus précoces qu'habituellement qui avaient maintes fois fait jaser ses collègues et avaient rendu ivre de rage une Layla visiblement contrariée par son regain d'intérêt pour l'androgyne qu'elle considérait comme une sérieuse rivale. Pauvre créature, il était si cruel. Pour autant, relayer à Florence les états d'âme torturés de l'éplorée avait beaucoup fait rire ce dernier et Alban s'était delecté de ces sons doux qu'il avait lui-même participé à engendrer. Il faudrait qu'il pense à remercier Layla pour cela, d'ailleurs. Un bouquet ferait-il l'affaire ?

Et c'était sans compter l'état d'apoplexie dans laquelle il avait plongé la jeune femme quand il leur avait appris, à elle et aux imbéciles heureux lui servant de collègues, qu'il posait des congés pour s'envoler quelques jours à Zurich en compagnie de Florence. La tête de poisson hors de l'eau de la secrétaire manqua de le faire ricaner une nouvelle fois quand elle lui revint en tête.

Les jours suivants, l'état de sa Némésis semblait s'être stabilisé, et si ce n'est ses traits pâles et anguleux causés par ses pertes de poids à répétition, il semblait mieux se porter que le soir du gala. Son cadet ne semblait pas avoir pris souvent l'avion, peut-être même était-ce la première fois, à en juger par la mine ravie et excitée qu'il arborait en fixant l'extérieur du hublot alors qu'il avaient filés à travers le ciel. Il ressemblait à un enfant, actuellement. Et à cette prensée, en observant le jeune homme, une chaleur agréable gagna sa poitrine et il continua à l'observer, feignant un désintéressement certain et une lassitude palpable devant ce spectacle dont il ne se lassait pourtant pas.

Le trajet en voie céleste n'avait pas duré très longtemps, et Florence ne s'était jamais lassé jusqu'à leur atterissage dans l'aéroport de Zurich. Il était prévu qu'ils passent une dizaine de jours ici, tous les deux, et ce jusqu'à la veille de l'opération où la mégère de sa muse les rejoindrait. C'est elle qui l'accompagnerait ce jour-là à l'hôpital. Ce n'était pas une mauvaise chose, il n'était pas certain de pouvoir gérer le méli-mélo d'émotions qui soulevait son estomac quand il pensait à ce moment là et ne se sentait tout simplement pas prêt à courageusement faire face à la situation le jour de l'opération de sa Némésis.

En tout cas, leur périple à Zurich s'était déroulé sans heurts. Alban ne s'était jamais senti aussi serein que ces derniers jours. Même sa bête, sous les.. délicates et répétées.. attentions.. de Florence, s'était tue, et n'avait même pas refait surface. Non, définitivement, Alban ne regrettait nullement la contrepartie exigée par son cadet. Il pouvait même aller jusqu'à dire – et il ne l'admettrait pas à haute voix sous la torture – que si les jours devaient se passer infiniment de cette manière, il était prêt à faire une entorse à son règlement et accepter la présence permanente de ce petit diable aux allures d'ange à ses cotés.

Malgré tout, si sa propre humeur était au beau fixe, et meilleure qu'elle ne le fut jamais avant ça, ce n'était pas le cas de Florence. La sienne, fluctuait aléatoirement, de ce qu'il pouvait en deviner avec sa propre compréhension floue des émotions, entre joie intense, avec des grands sourires, des piques taquines, et des ô combien excitantes répliques mordantes, ainsi que des gestes langoureux qui affolaient ses sens et son corps ; et entre des crises de larmes qui débouchaient la plupart du temps sur la fuite de celui-ci, et un dégout de lui-même de plus en plus palpable. Ce dernier détail, il le tenait du concerné lui-même. Visiblement, le chanteur semblait beaucoup souffrir de son allure chétive et rachitique conférée par la maladie. L'andogyne lui avait dit du bout des lèvres et avec - l'homme d'affaire en était persuadé - beaucoup de honte, que c'était également la raison de son changement soudain d'humeur au petit matin de leur première nuit passée ensemble. Sans pour autant définitivement passer l'éponge sur cet événement, maintenant qu'il en comprenait la raison, Alban se surprenait à en retirer moins de rancoeur et de colère que précédemment.

Décidément, la présence de Florence l'avait bien ramolli. Le grand et fier loup, seigneur de ces bois, était en train de se transformer en un vulgaire caniche de salon à son seul contact ! Enfin, la bête le laissait en paix et les démons de son passés dormaient profondéments, enfouient dans sa prison de chair, alors, il n'allait pas s'en plaindre. Mais il ne fallait pas croire qu'il était soudain devenu soudain un ami de l'humanité, ça, jamais ! Les autres, ses confrères inulites, étaient toujours des cloportes inutiles qui ne méritaient même pas la moindre once de son attention, seul Florence importait, seul lui méritait une place à ses cotés.

Un petit reniflement ensommeillé ainsi qu'un un mouvement léger accompagné d'une pression près de ses côtes et son abdomen lui firent baisser la tête. La silhouette frèle à ses côtés avait encore les yeux fermés, en proie aux dernières bribes de sommeil et s'acharnait à se coller contre lui. Avec un fin sourire, le trentenaire glissa une main sur la joue fraiche de son cadet alors que son coeur se serrait détestablement. Tout se jouerait aujourd'hui. La vie ou la mort de Florence ; le destin de ce monde et du sien. Comme il l'avait prédit, son instabilité était en train de refaire surface à peine puissance, comme si ces jours d'accalmie n'avaient pas eu lieu.

Florence se réveilla lentement, peu à peu, et finit par ouvrir les yeux, ses prunelles verdoyantes toujours aussi jolies plantées dans sa direction. Ignorant son estomac contracté, l'homme d'affaire aux cheveux miel laissa dériver, de la joue de son cadet, sa main jusqu'au sommet du crâne désormais vierge de celui-ci, arborant unfin sourire forcé.

• Bonjour, marmonna celui-ci en se mordillant les lèvres, geste qu'il entretenait chaque fois qu'il se sentait anxieux., Tu es toujour d'accord pour rester ici ?, demanda-t-il après un moment de silence.

Sans briser celui-là, le trentenaire se contenta d'hocher la tête. C'était une discussion qu'ils avaient eu la veille au soir. Alban avait fait par de son désir de rester en retrait la journée du lendemain pour son opération, et, contrairement à ce qu'il s'était attendu, Florence avait aisément adhéré à sa demande, prétextant qu'il souhaitait aussi qu'il reste là et que seule sa mère l'accompagne. Une histoire mièvre à propos de possibles adieux qu'il souhaitait éviter. Soit, au moins, ça les arrangeait tous deux !

• Il faut qu'on se mette en route, ma mère ne devrait pas tarder..

En effet, le temps passait bien trop vite dans la procrastination, et Alban voulait, se devait, d'être irréprochable quand viendrait le buldog enragé, histoire delui rabattre le caquet en bonne et due forme et lui prouver ainsi toute son écrasante supériorité.. Et il firent bien de se mettre en route les minutes suivantes, car en effet, Mégère du troisième âge ne tarda pas. Il aurait souhaité, par pûr amusement et désir d'améliorer son humeur, s'offrir une joute verbale pleine de piquant avec la matrône, mais dommage pour lui, c'est un roquet apathique aux traits défaits et aux yeux rougeâtres qui lui fit face, et il dû s'avouer vaincu pour cette manche. Enfin, après tout, son fils courrait vers une danse mortuaire acharnée avec la Mort pour gagner son droit de vivre, alors, le blond acceptait de remettre leur combat à plus tard pour cette fois. Florence avait déjà son propre duel à mener. Toujours est-il qu'elle aurait pu faire des efforts, mettre un peu de conviction sur son visage de cabot décharné ! Lui aussi était anxieux, son nouveau monde dépendait de Florence après tout, mais il gardait pourtant la face !

Après une discussion où se ressentait toute leur tension commune, Florence, vint déposer ses lèvres agréablement fraiches sur les siennes, pressant ses doigts avec une force qu'il attribuait à la détresse et l'angoiss ; un geste qu'Alban lui rendit, tentant de desserrer lui aussi le noeud qui gonflait toujours plus de secondes en secondes dans sa poitrine douloureuse. Il lui murmura des paroles niaiseuses au creux de l'oreille, des mots qui estompèrent un peu ses émotions sombres en une chose plus chaleureuse et légère le temps d'un battement de coeur, et juste comme ça, il disparu, la porte se refermant derrière sa mère et lui, le laissant dans le silence le plus total. Il resta figé quelques secondes, comme si son corps et son esprit avaient tout à coup cessé de fonctionner.