L'homme d'affaire avait rarement eut l'occasion de déverser autant les torrents de violence qui enserraient tout son être. À chaque instant, c'était comme s'il était une simple bête sauvage qu'on avait plaqué au sol et entravé de chaînes si lourdes qu'elles menaçaient à tout instant de le briser. Cette folle nuit, le monstre à l'intérieur de lui, devenu si puissant et si avide était finalement sorti, arrêtant momentanément de lui griffer les entrailles. Grâce à Florence, il avait put connaître une sérénité et un sommeil parfait le temps d'une veillée, d'une nuit, et il espérait que cette impression d'apaisement resterait en lui encore un peu.

Ce matin, alors qu'il commençait doucement à émerger des limbes d'un sommeil qui avait rarement était aussi doux, il pouvait sentir quelques douleurs, souvenirs diffus de leurs violents ébats de la veille, se balader par ci et par là dans son corps. Mais cette douleur était tout simplement délicieuse. Son corps courbaturé, sans être une douleur qui le mettait par terre, criait légèrement à ses rares mouvements et mettait en contraste la plénitude que son esprit ressentait actuellement. Alors, Alban pouvait, sans absolument le moindre doute, dire qu'il se sentait de bonne humeur. La bête en lui était calmée et semblait paisiblement endormie au fond de sa poitrine. Encore un peu plus et il aurait même imaginé l'entendre doucement ronronner de contentement, celui qu'ils ressentaient tous les deux.

Il se sentait bien et aurait voulu passer encore du temps ainsi, mais le trentenaire se résolut pourtant à ouvrir un œil. Une lumière douce réveilla son champ de vision et il se rendit compte autant qu'il aperçu, une masse de cheveux bruns appuyée contre sa joue. Il ne put même pas empêcher le vague sourire de passer une seconde sur son visage à la présence de son bienfaiteur et dompteur de bête intérieur, puis observa calmement la petite partie du visage et du corps qu'il voyait du jeune chanteur, dans le calme reposant de la chambre. Alban avait les yeux posé sur le corps délicieux se tortillant de manière presque dépravée au milieu de sa douce innocence. Ses yeux d'une couleur entre l'onyx et l'anthracite dérivèrent alors vers le cuir chevelu du jeune homme, d'où plusieurs mèches brunes éparses s’étalaient sur le matelas dans une mer chocolat. Les quelques trous dans celle-ci qu'il pouvait voir le laissèrent pensif au sujet de la pauvre créature sous lui, victime du cancer.. Alban ne s'était jamais intéressé à la beauté physique – Ou même toute beauté quelle qu'elle soit –, mais il devait bien admettre qu'il regardait le jeune homme malade de manière plus approfondie qu'il ne l'avait fait pour quiconque, mais il ne trouvait pas que cela enlevait la beauté attisante que celui-ci possédait. Il se surprit même à sourire au bras qui passa autour de sa taille et frissonna à son contact.

Il devait aller travailler aujourd'hui mais pour être honnête, il n'avait aucune envie d'y aller, il était bien à cet endroit, en cet instant précis. L'homme d'affaire voulait tout simplement profiter de ce moment qui lui apportait encore tant de sérénité d'esprit. Il n'était pas du genre à dire de banalités, il ne supportait pas les paroles inutiles et ce silence lui faisait du bien.

Florence vint lentement se redresser faisant tomber sur ses hanches presque féminines le drap, dévoilant son torse et son dos totalement parsemé par les violences de son amant. Il plaquait ses cheveux en lui lançant un regard à la fois malicieux et doux. Le trentenaire s’étira comme un chat, allongeant ses longues jambes dans une brûlure délicieuse qui lui secoua le corps et réveilla à nouveau la douleur dans son corps endolori de leur longue nuit, une douleur inexplicablement délicieuse, avant d'observer le chanteur malade qui lui souriait d'une manière qu'il aurait peut-être qualifié de tendre s'il n'était pas.. lui, appuyé dans le creux de ses bras.. Alban ressentit une forme de satisfaction – du moins présuma-t-il, en avisant les nombreuses marques qu'il avait lui-même laissé sur la totalité du corps de son amant de la nuit, comme s'il était un artiste jetant un coup d'œil appréciateur sur une œuvre éphémère qui serait sa création.

Une proposition suggestive fut susurré à son oreille par Florence d'un ton aguicheur qui amena sur son visage pâle un fin sourire malicieux et mutin. Au regard d'une intensité folle braqué sur lui, mais possédant ce petit quelque chose dont seul Florence avait le secret, Alban se laissa happé par la provocation à la fois douce et terrible de son cadet malade. Et à ses paroles, il laissa échapper un petit rire avant de fixer à nouveau son regard de prédateur sur le visage de peau claire, laiteuse et douce du jeune chanteur.

« Tout mettre en pièces » se révélait en effet être une proposition.. alléchante. Tout mettre à feu et à sang, réduire en charpie, la pièce, le monde, ces larves inutiles, ne laisser qu'eux, sans supérieurs ni maîtres. C'est ce qu'Alban souhaitait, dans ces moments où sa fureur interne de vivre prenait le dessus : se libérer ; libérer et oublier son esprit, ce monde absurde et ses personnes imbéciles. Et il trouvait en la personne du chanteur absolument tout ce qu'il cherchait. L'homme le laissait cracher tout le venin corrompu qu'il possédait en lui et ça lui permettait d'oublier, se concentrer seulement sur le moment présent, celui où ils n'étaient plus que des bêtes avalés par les ténèbres et la rage en eux ; cette haine dirigée contre le monde et toutes ces choses destructrices qu'ils ne pouvaient contrôler. Alors darda un oeil sur Florence et encaissa la vision que lui offrait l'androgyne comme un doux aphrodisiaque.

Un paradis dans le plus profond des enfers, un cristal prisonnier des abysses.

   Le léger rire qui arriva à ses oreilles fut comme un son délicieux pour l'homme d'une trentaine d'années, et, alors qu'il parsemait la gorge de son cadet, il ne put empêcher un sourire de fleurir sur ses lèvres alors qu'il frissonnait irrésistiblement sous le poids de la main qui caressait ses cheveux avec langueur. Il se sentit à nouveau frémir compulsivement quand, après l'avoir délicatement, mais assez fermement pour que ce soit excitant, poussé sur le matelas, l'androgyne vint embrasser la zone érogène qu'était son cou. La pointe de douleur qu'il sentit poindre ne fit que l'exciter davantage. Ses paroles provoquèrent néanmoins en lui une immense vague, qu'il supposa être une brûlante frustration, qui le submergea.

• Ça aurait été avec plaisir, mais nous allons devoir remettre ça plus tard. Vous devez aller au travail et je ne veux pas me sentir coupable de votre retard., Ricana malicieusement le petit diable.

L'insolent ! Après avoir fait cette proposition impossible à refuser, voilà qu'il le rembarrait !

Le travail. Ah. Il ne ressentait pas le moindre désir d'y aller aujourd'hui. L'idée de se confronter encore et toujours à la bassesse de ses congénères le révulsait, et le contraste avec cette soirée et cette nuit libératrice les rendraient d'autant plus difficile à supporter. C'est donc avec dépit et résignation qu'il se redressa, le corps toujours courbaturé, et se dirigea vers ses habits éparpillées dans la pièce pendant que le malade rejoignait celle ajacente. Il constata avec un mélange fatiguant d'émotions positives et négatives qu'il n'aurait su identifier, que l'état de ses affaires allait nécessiter qu'il passe chez lui pour se changer. Une fois dans un état plus présentable, et qui le satisfaisait suffisamment, l'homme d'affaire rejoignit le petit démon vicieux qui l'avait stoppé en si bon élan. Et, il se le promit, il lui ferait regretter ça de la manière la plus délicieuse qui soit. Peut-être avec un arrangement à sa sauce.

Dans ses souvenirs, il y avait fort longtemps qu'Alban n'avait pas passé une nuit ni une matinée aussi paisible. C'est pourquoi, pour une fois et contrairement à ses habitudes, l'homme aux cheveux miel marcha d'un pas assez lent perdu dans ses pensées, des pensées plus ou moins empreintes d'un certain ange corné.. et qui se situait dans la pièce d'à côté. Pièce qu'il était actuellement en train de rejoindre.

Malgré tout, il continuait de se sentir frustré par la fuite soudaine de sa proie qui l'avait sans nul doute manipulé, et lui n'avait même pas vu le coup venir. Et bien qu'il ne lui en veuille pas vraiment – ce qui l'étonnait plutôt –, il fallait que cet acte ait des conséquences même s'il devait attendre un peu pour les appliquer. Arrivant enfin au pas de la porte il reprit néanmoins son air prédateur, posant ses yeux ardoises sur le corps svelte et fin de sa Némésis. Puis, sans qu'il ne comprenne vraiment pourquoi et sans crier gare, l'androgyne se redressa alors qu'un air qu'il ne su identifier passait sur son visage devenu livide et il fit demi-tour. Le blond n'avait aucun doute sur le fait que le plus jeune venait de le fuir.

Dans un sentiment qu'il supposa être de la confusion, Alban se demanda ce qu'il avait bien pu faire, alors qu'ils s'étaient séparés quelques minutes plutôt sans le moindre problème. Ainsi, alors qu'il jetait un coup d'œil au petit-déjeuner odorant et appétissant étalé sur la table, il s'interrogeait sur la façon dont il devait agir. Devait-il aller voir ce qu'il se passait avec Florence ? ou bien devait-il attendre qu'il se calme de lui-même et revienne ? En même temps, le trentenaire se disait que ce n'était pas vraiment son problème mais une étrange sensation au fond de lui semblait le poussait à alles voir s'il était le responsable de cette situation. Alban décida finalement après s'être fustigé intérieurement quelques secondes, de se rendre dans la pièce où son partenaire de la nuit était allé se retrancher. Il prit pourtant soin de toquer à la porte – en se demandant pourquoi il se contraignait à ce genre d'attentions – et décida pour une fois d'attendre la réponse qui lui parviendrait pour voir s'il devait entrer.

Ne voyant pas de réponse arriver à sa première tentative, Alban s'apprêtait à toquer une nouvelle fois contre la porte quand celle-ci finit finalement par s'ouvrir sur Florence.

• Qu'est-ce que tu voulais ?

Il resta perplexe face à la question posée et choisit de rester silencieux. L'homme d'affaire trentenaire reporta donc pour le moment son attention sur la nouvelle tenue, coiffure et maquillage de son vis à vis.

Sa nouvelle apparence était aussi tentatrice que la précédente, bien que totalement différente, même si l'homme d'affaire devait maintenant bien admettre une préférence d'attraction pour la première. Cependant, son attention ne se focalisa pas sur ce détail plus de quelques seconde et il recommença à détailler le corps de l'androgyne, puis son visage, son expression qu'il avait du mal à interpréter. Le jeune chanteur était devenu particulièrement distant en à peine quelques secondes. Même son regard fuyant était lointain.

• Que se passe-t-il ? Tu dois partir ? Pourquoi es-tu là ?, Demanda sa némésis sans même le regarder descendant les marches dos à lui en se dirigeant vers la petite table, passant devant lui comme s'il n'existait pas.

Ses questions, posées presque avec indifférence et une voix tranchante, remuèrent une émotion nouvelle en lui, plus forte et plus violente. Cette émotion, il la reconnaissait à coup sûr pour l'avoir mille fois expérimentée : le venin toxique de la colère. Le changement d'attitude du malade ne lui plaisait pas du tout, et son orgueil naturel reprenait le dessus sur la situation. D'habitude, il aurait usé de violence directement, incapable de contrôler son état de rage brutalement apparu. Mais pour une fois, quelque chose bloquait et le trentenaire supposa que la capacité de Florence à avoir calmé la bête en lui y était pour quelque chose. Voilà qui tombait bien, se dit-il ironiquement.

Alors, ne sachant pas comment réagir, il se contenta d'observer la tranquillité indifférente de Florence, laissant la rage brûlante monter, serrant les dents. Il avait l'impression d'être pris pour un idiot, et ça, il ne pouvait pas le supporter. Mais finalement, la tension explosa en lui et il posa violemment son poing sur la table qui trembla et, avant de faire quelque chose qu'il pourrait regretter, il tourna les talons pour s'éloigner.

Maintenant dos à lui, Alban regardait sans la voir la porte en bois vernis droit devant lui, brûlant de l'envie ardente de réduire celle-là en charpie. La bête bel et bien réveillée à présent, la flamme de la rage était revenue consumer son corps, comme pour bien lui rappeler qu'il en était le prisonnier, qu'il ne pouvait pas lui échapper, quoi qu'il fasse ou même quoi qu'il souhaite. Il entendit vaguement le jeune chanteur malade esquisser des gestes et autres mouvements à plusieurs mètres derrière lui, alors qu'il essayait de contenir sa fureur. Il garda les lèvres closes, sachant que tout ce qu'il serait capable d'articuler serait insultant.

Finalement, il n' y tient plus et fit à nouveau demi-tour pour se rendre sur le balcon, sortant son paquet de cigarette de sa poche pour en retirer un des tubes de nicotine. La fumée s’étira autour de lui mais contrairement aux croyances, sa rage ne s'évapora pas dans les airs avec elle. L'homme d'affaire observait la petite brume grisâtre et âpre à l'odeur se dissiper d'un œil dur alors que ses mains tremblaient, compulsives, sur les balustrades. Il entendit distraitement Florence quitter la pièce, et, bien qu'il en fut encore davantage colérique et blessé – du moins, c'est la sensation amer qu'il cru deviner au plus fond de ses entrailles – son orgueil et son ego bien trop forts en lui, lui interdirent de ne serait-ce que de tourner la tête dans la direction de l'androgyne pour voir ce qu'il était en train de faire. Il continua simplement à fixer le ciel d'un air colérique comme si ce putain de firmament bleu était en train de se foutre de lui.

Alban resta un long moment dans cette position à fixer son regard anthracite vers le ciel et il ne sut même pas combien de temps passa ainsi. Néanmoins quand sa flamboyante colère intérieure baissa finalement d'un cran, le richissime trentenaire laissa ses prunelles dévier à nouveau vers l'intérieure de la chambre. Cette pièce était dénuée de toute vie humaine. Il rentra finalement, jetant un regard au déjeuné abandonné depuis plusieurs heures, et trouva la petite carte abandonnée sur la table. Il lui jeta un regard dédaigneux pendant de longues secondes avant d'aller la réceptionner, bon gré mal gré, et la fourra dans sa poche, les lèvres serrées. Sa Némésis état définitivement lunatique. Il ne l'appellerait pas. Que croyait-il, il n'avait besoin que d'un rival, pas une épaule pour pleurer ni d'un être mourrant passant ses nerfs changeant sur lui. Qu'il aille au diable, le vrai, cette fois-ci !

Après un rapide tour de la chambre, Alban s'aperçut de la disparition définitive du malade – toutes ses affaires avaient elles aussi disparues, à l'exception de la carte, alors.. Un bref coup d'œil sur sa montre lui indiqua qu'il avait presque deux heures de retard pour son travail, mais il s'en fichait totalement, et il savait pertinemment que personne ne lui ferait rien remarquer, alors, il décida simplement de prendre ses propres affaires et rejoignit sa voiture pour se rendre à son domicile, le temps de se changer. Seulement ensuite, il se rendrait au bureau. De nouveaux dossiers plus ennuyeux et désespérants que les précédents attendaient certainement déjà.