Le meurtre

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 Une légère bruine caressait les bambous des toitures du village. Le deuil flottait dans l’atmosphère, et l’air, une fois dans les poumons, paraissait aussi lourd que le plomb.

 Un homme était mort. Son corps avait été mutilé, sa chair déchirée par des myriades de griffes acérées. Son sang avait profondément empourpré l'écorce des arbres. Son visage, décomposition écarlate de sillons aléatoires, était méconnaissable.

 De telles tragédies étaient rares au village de Sei-Ming et il ne fallut pas longtemps avant que la foule curieuse ne se rassemble afin d’observer le résultat de ce carnage. Quelques jambes flageolèrent et de la bile se déversa sur le sol, dont l’odeur ne tarda pas à imprégner l’air.

 Il vint la question de l’identité du cadavre. Personne ne reconnut l’homme et personne ne manquait à l’appel. Un marchand à en juger les diverses breloques contenues dans son sac de jute, quelques poteries et vêtements exotiques. Une âme malchanceuse avait fait une mauvaise rencontre.

 L’air était lourd et caustique. Les nuages laissaient subodorer à un orage.

 La terre appela les restes exsangues de l’inconnu et les villageois rentrèrent veulement chez eux.

 Govos avait l’image du masque de bois, que transportait le marchand, collée au fond de sa rétine.  Un masque rouge, aux longues cornes trônant sur son front, il lui adressait un sourire inquiétant.  Il s’affala avec langueur dans son fauteuil et huma l’encens de jasmin qui s’étalait dans la vieille bicoque. L’encens avait l’effet d’une douce étreinte apaisante sur son esprit, le transportant dans un monde illusoire où les traumatismes n’existaient pas. Il avait été soldat dans l’armée ionienne, un couteau à viande sans volonté, qui avait tranché les boyaux chauds et écarlates de nombreux Noxiens. Il avait été assigné à la protection d’une zone marécageuse stratégique dans l’objectif de ralentir l’invasion. On l’y eut rapidement surnommé le “Maître des ombres”. Il surgissait de l'anthracite des bois, avec pour compagnon ce relent putride qui avait imprégné sa tenue militaire, puis le sang jaillissait dans la mélodie funeste de l’acier et des hurlements. Il n’éprouvait aucune satisfaction à voir ces âmes rejoindre le monde des esprits. Mais il contemplait avec fascination la facilité que ses lames avaient de laisser le sol se repaître du de la charogne des envahisseurs, et cela l’effrayait...

 Une fois le conflit terminé, le maître des ombres avait pu regagner Sei-Ming et redevenir simplement Govos, un vétéran laconique qui occupait ses journées à repousser les fantômes de son passé.

 Il aimait le jasmin. Il l’admirait. Une fleur à la blancheur pure, à la douceur des premiers rayons solaires du printemps et à l’odeur exquise.

 Peut-être qu’en le dévorant, qu’en ingérant ses restes flamboyants, il pourrait devenir un jasmin. Son esprit flottait.

 Govos se réveilla. La brume de son esprit s’était dissipée, l’encens s’était consumé. Il poussa un grognement avant de quitter son refuge de cuir rembourré. Le parquet humide craquelait sous ses pas. Il entra dans la salle de bain, le miroir du lavabo était couvert d’une vieille serviette.

 Govos fit ruisseler l’eau sur son visage décharné. Il avait fait un cauchemar et il espérait pouvoir le dissiper, le laisser s’épancher de son esprit comme l’eau qui s’écoulait de son menton. Il se livrait à ce rituel chaque matin, après chaque bâton d’encens brûlé.

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