L'ennemi invisible

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Dans les coulisses de la grande guerre, un ennemi guettait le bon moment pour attaquer, son ombre allait bientôt hanter chaque ville d'Europe pour le plus grand désespoir de ses habitants. Une question était sur toutes les lèvres : « Qui est ce mystérieux envahisseur ? »

Jadis, ma vie pouvait se coucher sur une peinture de Monet, le souvenir de nos repas estivaux ressemblait sans nul doute à l'une de ses toiles : « Le Déjeuner sur l'herbe », je n'avais guère conscience que tout allait basculer en un instant.

Chacune de mes dures journées de labeur fut ensoleillée par le sourire de ma dulcinée, elle avait un don inné, pour transformer un événement anodin ou épouvantable, en un moment unique de complicité. Comme le jour, où le ballot que j'étais, avait laissé une serviette sur la cuisinière encore allumée, elle s'embrasa à une vitesse folle, si je n'étais pas intervenu dans la minute, la maisonnette serait devenue un tas de cendres.

Après quelques remontrances de sa part, elle me raconta d'un ton amusé, que si je continuais à être aussi imprudent, il nous faudra bientôt trouver une nouvelle maison ! Elle m'octroya un long baiser pour me signifier son amour inconditionnel.

Le 28 juin 1914, un tremblement de terre secoua toute l'Europe à travers l'assassinat du fils de l'archiduc François-Ferdinand, la mort d'un seul individu allait bouleverser la vie de millions d'autres.

Il n'en fallut pas plus, pour que ce fait divers réanime les querelles d'antan, entre le clan des fiers coqs et celui des odieux aigles noirs. Les braises de la discorde attisaient toute personne en manque de gloire ou de vengeance, dans les ténèbres de la folie humaine qui ôtait tout jugement rationnel à ses visiteurs, avides de ses charmes.

Plusieurs mois ont passé dans une cacophonie inouïe, un ordre de mobilisation fut donné à tous les hommes en âge de se battre, l'heure de quitter sa famille pour défendre sa patrie, avait sonnée. Depuis notre enfance, nous avions reçu une propagande de qualité pour nous préparer à réparer l'affront que nous avions subi en 1871, en perdant l'Alsace-Lorraine au profit des allemands.

On nous avait appris à nous sentir lésées, comme si un étranger volait un de nos biens, les plus précieux au monde et que le prix du sang devait être payé pour rétablir l'ordre naturel des choses.

Quand il fut l'heure de partir, nos femmes fières de notre fougue patriotique, criaient : « A Berlin, a Berlin ! », prédisant une victoire heureuse face à notre ennemi ultime. Malheureusement, derrière l'idylle d'une bataille triomphante se cache souvent une vérité plus misérable, comme une publicité d'un médicament se ventant d'avoir le remède miracle, alors qu'il est tout juste bon, à te donner une chiasse !

Les souvenirs de ses trois longues années d'enfer sont encore gravés dans ma mémoire, les premières lueurs de la matinée annoncées l'éternel retour des combats où le désespoir avait une place d'honneur qui lui était réservé. Nous devions conquérir la tranchée adverse avant le crépuscule, nos stratèges considéraient que nous étions de simples pions dans l'échiquier.

Les balles sifflaient de toute part, sans oublier, le son frénétique des obus s'abatant tout près de nos lignes, le sol était jonché de trous en tout genre, marque indélébile de la férocité des combats. Dans ce vacarme, mes seuls moments de répits étaient la lecture des lettres de ma bien-aimée ou quand je lui racontais ma vie ici, en évitant de rentrer dans les détails, de toute façon, les censeurs veillaient au grain.

Elle travaillait avec sa mère dans une usine d'armement, elle me narra quelques histoires drôles qu'elle avait avec ses collègues, ça me permettait de m'évader et d'espérer que ce monde maussade allait bientôt disparaitre. Nous couchions la plupart du temps à même le sol, sans oublier, l'apparition de nausée à chacun de nos repas, même un chien était mieux traité, mais nous devions nous battre pour ne pas déshonorer nos familles.

L'atrocité atteint son apogée lors de la bataille du chemin des dames, le 16 avril 1917, notre général était déterminé à s'emparer de la ville de Laon, cependant, les canons ennemis ne partageaient pas le même avis en important une centaine de mes camarades. Les premiers tanks arrivaient pour nous éviter de tomber comme des mouches, peu de temps après, mon lieutenant sifflait l'offensive, nous devions avancer jusqu'aux lignes ennemis.

La terreur s'amplifiait à chaque pas, nos yeux pouvaient apercevoir des corps déchiquetés par l'artillerie des boches et c'est à ce moment-là qu'un obus arrivait à quelques mètres de moi. Le retentissement de l'explosion me projeta à terre, la dernière chose que je sentis fut une profonde et brève brulure, au niveau de mon visage.

Je me rappelle brièvement que des soldats m'ont rapatrié au camp et qu'il m'était impossible d'entendre ce qu'ils me disaient, ni même de bouger ma carcasse. La guerre était finie pour moi, j'allais bientôt me retrouver dans un hôpital militaire, parmi ceux, qu'on appelle : « Les gueules cassées ».

Quand cette fichue guerre fut finie, nous retournions dans nos bercails, on pouvait voir ces traumatismes sur mon visage. Une nouvelle page devait s'écrire, mais l'insouciance d'autrefois avait définitivement disparue.

Pour le monde, j'étais devenu une bête immonde, tout juste bon à faire peur aux enfants, j'observais les regards se détournaient quand je me promenais dans la rue. Mon visage était le symbole d'une guerre qu'on voulait oublier. Sans emploi, ma situation d'homme de la maison se trouva chamboulée et muta en une tare pour ma famille.

Un rayon de soleil éclaira à nouveau ma misérable existence quand un ancien frère d'arme me proposa un emploi dans son entreprise, nous avions subi les mêmes horreurs. Elle était comme ma seconde famille, ne sachant pas comment le remercier, je me donnai à fond pour ne pas le décevoir.

Dans le plus grand secret, un ennemi invisible fomentait une attaque envers nous, tapi dans l'ombre, il avait pris note de chacune de nos faiblesses et attendait le bon moment pour lancer l'offensive. Il ne comptait pas uniquement terrasser les personnes chétives (comme le lâche qu'il était), mais aussi les personnes en pleine forme pour engendrer les ténèbres dans notre société.

Il répandit un poison dans la ville, la fourberie de ce dernier est que l'individu s'en aperçoit uniquement plusieurs jours après, en ayant contaminé une dizaine de personnes qui allaient à leur tour le propager. Le son des toux se faisait de plus en plus entendre, c'était le présage que notre envahisseur commençait à percer les défenses de notre forteresse avec ses vaillants soldats. Sans négliger que chaque contact, était une occasion pour lui de s'infiltrer dans un nouvel hôte.

Quand une bonne partie de la ville fut touchée par son empreinte, l'heure de sonner le clairon était arrivée. Les malades suffoquaient, autour des bruits incessants de toux, en un rien de temps, l'hôpital fut débordé par ce nombre inhabituel de patients à traiter. Bientôt des tentes furent fdressées devant ces derniers pour pouvoir traiter l'afflux de malades.

La peur de mourir avait transformé des citoyens civilisés en des êtres capable des pires bassesses pour pouvoir survivre. Certains avaient décidé de fuir la ville, pensant qu'ils seraient épargnés par le mal qui rongeait chacun d'entre nous, au lieu de ça, ils allaient le propager dans d'autres cités (et ces dernières tomberaient à leur tour).

On pouvait voir la panique dans le regard des passants, l'odeur putride des cadavres qui s'accumulaient imbibée chaque rue. La plupart des politiciens avaient sous-estimé notre ennemi et celui-ci nous l'a fait payer au centuple.

Convaincu que le pire m'était déjà arrivé, mon attention ne s'était pas portée sur mon néfaste visiteur, qui a profité d'un moment d'inattention pour faire de moi, sa cible idéale. Quand je me suis aperçu de cette infamie, ma femme m'avait déjà rejointe dans l'enfer de la maladie, en un bref instant.

Les jours se succédèrent, son corps affaibli par cette lutte éreintante fut très vite incapable de se défendre, l'intrus dominait entièrement la partie, je le voyais à l'air défaitiste qu'elle avait. Tout présagé, que le combat était perdu d'avance, je n'arrivais pas à cacher la profonde tristesse qui m'animait.

Je songeais à la perte de l'homme qu'elle aimait tant, remplacé par un illustre inconnu au visage défiguré. La désillusion a souvent un goût amer, surtout quand on ne s'y attend pas.

Quand vain ses derniers moments, elle s'excusa auprès de moi pour ne pas avoir été à mes côtés et m'offrit un dernier baiser en guise de remerciement pour toutes ses années puis s'éteignit dans un silence de marbre.

Après avoir saccagé ma maisonnette, je n'eus que pour seul réconfort, l'alcool, on était devenu de bons amis, il ne rechignait pas à m'accompagner dans mes nuits d'ivresses, même si dans sa fourberie, il adorait m'emmener dans un gouffre sans fin.

Une fièvre accompagnée de son amie la toux m'affectaient à une vitesse vertigineuse, je me retrouvais cloué au lit. Quand la respiration s'était muée en un exercice de haute voltige, une ombre se posa à deux pas de moi.

Elle était vêtue de noir, possédait une énorme fourche à effrayer tout un régiment. J'entends sa voix mélodieuse me dire : « Léon, c'est le moment de partir ».

Quand elle m'emporta avec elle, je ressentis pour la première fois depuis très longtemps, un sentiment de béatitude, comme si toute chose devait avoir une fin et que ce n'est pas plus mal comme ça...

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