Entrevue avec la reine
L'existence humaine se résume souvent en un ensemble d'expériences et de rencontres, ayant la capacité de métamorphoser notre vie en bien ou en mal !
Elisa se retrouvera nez à nez avec une créature nocturne légendaire, reconnue pour sa voluptuosité lubrique et pour ses flatteries des plus délicates – nous faisant croire que chacun d'entre nous est un roi ou une reine qui s'ignore – mais peu de personnes ont eu le plaisir de l'approcher de si près.
Celle-ci la confrontera à un choix cornélien, choisir d'incarner un rôle sulfureux ou refuser de suivre sa destinée ?
Les grincements de la porte d'entrée, résonnèrent comme un coup de tonnerre, un secret accablant de reproches allait bientôt être dévoilé au grand jour ! Celle qui a vu mes premiers pas dans ce monde, m'aperçut en califourchon sur son compagnon du moment. Une odeur putride embauma toute la pièce, signe de mon épouvantable trahison à son égard. Ses espoirs publicitaires de famille parfaite s'évaporèrent en une fraction de seconde.
Ses yeux suffoquaient en ma présence, l'image d'une petite fille se sauvant en courant avec un sourire débordant d'énergie, se transforma en un battement d'aile, en celle d'une catin lubrique ayant l'envie insatiable d'égarer de pauvres hommes sans défenses.
Ne pouvant plus supporter cette forfaiture des plus abjectes, elle me congédia de l'appartement sans que je puisse dire le moindre mot, le diable vêtu d'un costume trois pièces, avait réussi son coup. Me retrouvant à la rue, seule et sans sous, je n'avais plus rien à quoi m'accrocher !
J'appelai chaque personne de mon répertoire, sans succès, ils ne voulurent pas aider l'âme désoeuvrée que j'étais devenue, sous peur d'être à leur tour, victime de cette infâme malédiction. Je pouvais distinguer l'obscurité de la nuit et je n'avais toujours pas de toit sur ma tête. Il y avait bien, une personne que je n'avais pas contactée par honte, celle qui m'aimait d'un amour non réciproque. Je n'avais pas d'autre choix que de lui demander son aide.
A ma grande surprise, il fut preuve d'une grande empathie à mon égard et répondit favorablement à ma requête.
Ses parents étaient d'une gentillesse rare, son père eut même cette phrase que je me souviendrais toute ma vie :
" La plus grande gloire n'est pas de ne jamais tomber, mais de se relever à chaque chute ", une citation de Nelson Mandela qui l'avait marqué !
Je pouvais dormir chez eux, le temps de trouver une solution à ma disgrâce. Je ne savais pas comment les remercier pour ce geste d'une trop grande bonté, pour ne pas être honoré comme il se doit.
L'euphorie des retrouvailles fraternelles – avec celui qui n'a jamais quitté mon coeur – se dissipa assez vite pour laisser la place à l'amertume. Quand vint un corbeau à ma fenêtre, présage d'un grand changement dans ma vie, je sus que rien ne serait comme avant.
Une nuit sanglotante de pluie arriva soudainement, devant le silence des agneaux, mon hôte avait décidé qu'il était l'heure que je lui paye un tribut, lui qui m'avait sauvé de la misère de la rue. Il se glissa discrètement sous mes draps, une attaque furtive à laquelle je ne m'attendais pas, comme un sort de "stupéfixion" qui me paralysa instantanément.
Dans l'impossibilité de bouger, je pouvais quand même voir ses mains effleuraient lentement mes hanches et se dirigeaient en grande pompe, vers le lieu de tous mes secrets.
Ma désopilante carcasse n'était plus ma propriété, j'avais beau envoyer des lettres pour la récupérer, elles restaient lettre morte. Je voyais le monstre souillait mes entrailles – avec une barbarie sans nom – et il m'était impossible de me soustraire de cet interminable cauchemar.
Après avoir exécuté à la perfection ses basses oeuvres, il retourna doucement dans sa chambre, un silence de mort s'installa, puis mon corps me fut rendu. J'étais une créature soumise aux envies libidineuses de son maître.
Le lendemain, j'aurais pu le dénoncer lors d'une annonce fracassante devant ses parents, mais la peur de subir son impitoyable courroux me fit renoncer à toute tentative, même si les traces de ses griffes acérées sur mon corps, étaient encore palpables. La sécurité a toujours un prix, celui d'être dépossédé de sa liberté !
Ma dignité au rabais s'effritait, de jour en jour, un profond désespoir commença à m'habiter. Ne voyant aucune issue, les larmes sanglantes inondaient mes joues – qui ressemblaient autrefois à un grand désert aride – à l'instar des Chutes d'Havasu.
Je partis me réfugier dans le café de mes débuts, une personne familière voyant mon regard éperdu m'offrit un latté comme je les aime, c'était le tenancier. Je commençais donc à lui raconter mon histoire, ma relation avec un tordu d'une quarantaine d'année, la profanation de la chose que j'avais de plus précieux au monde et son retour dans ma vie pour détruire toutes mes attaches. Sans oublier ma situation actuelle, ma vie d'esclave d'un tyran au bon coeur.
Il me prit dans ses épaules sans attendre et me promit qu'il serait toujours là pour moi, à l'image d'un père que je n'avais jamais eu ! Je déménageais le lendemain chez lui, ce lieu de débauche était devenu ma seconde maison. Tout était paisible, malgré les quelques bagarres et les débats enflammés qui duraient jusqu'à tard la nuit.
Le désordre s'immisça discrètement, quand la reine entra en scène. J'étais loin d'imaginer que toute mon existence allait basculer, suite à cette rencontre. Elle émerveilla les regards curieux, on ressentait sa présence à plusieurs de mètres a la ronde. Elle était le produit d'une divinité et d'une humanité bornée, capable de transformer chacun d'entre nous en ses loyaux sujets.
Sa démarche et son phrasé, fascinèrent tous les badauds, qui voyaient en elle une créature mythique, une ode aux mystères de la vie. Elle s'assit au milieu de la pièce, sa chaise fit office de trône, plusieurs groupes se formèrent dans le brouhaha des pronostics en tout genre.
Il y avait les payeurs – ceux qui casquent sans rien en retour –, les martyrs – ceux qui partent dans les pleurs d'une profonde désillusion – puis la dernière catégorie, les favoris – ceux qui ont ses faveurs, le temps d'un instant –.
Quand mon regard effleura le sien – avec la légèreté d'une plume – une magie foudroya mon coeur juvénile, à la vitesse d'un éclair. Je reçus un coup de fouet, me dépossédant pour un bref moment de ma raison, quelque chose d'inéluctable allait bientôt m'arriver, même si j'étais déterminée à garder la face.
Elle finit son café sans crier gare et accosta un jeune homme – qui devait avoir la trentaine – plutôt mignon, même si un peu frêle physiquement. Tout le monde retenait son souffle, en s'interrogeant "Pourquoi lui ? Qu'a t-il de plus que moi ?"
J'avoue que mon amour-propre fut bafoué par cette décision discutable, d'ailleurs, j'étais affligé par le nombre de banalités que j'entendais. Il est vrai que je devenais jalouse, je voulais être le centre de l'attention de ses poivrots insipides. Sans m'en rendre compte, j'étais prise au piège dans ses filets, mon regard fixait le spectacle avec une légère frénésie.
M'observant du coin de l'oeil, je vis un sourire émaner de son visage, signifiant la réussite de son coup de maître, tout était fait pour attiser mon intérêt.
Elle dit deux mots d'au revoir à ce beau jeune homme – on pouvait ressentir le dégout dans ses yeux – puis s'assit devant moi pour épiloguer sur ma pauvre et sinistre existence :
- "Quelle belle journée pour papoter, vous ne trouvez pas ?"
- "Vous avez certainement raison", répondis-je d'une voix tremblante, il faut dire qu'elle m'intimidait énormément !
- "Que fait une jeune fille dans un lieu de débauche ? Vous êtes-vous égarée en chemin ?"
- "Non, c'est chez moi ici !", d'un ton sec
- "C'est votre votre père, au fond ?", en me montrant le tenancier du regard
- "J'aimerais bien !", des larmes coulaient sur mes joues rouges de honte, comme si un secret venait d'être dévoilé au grand jour.
Gênée par la tournure de cette entrevue – qui ressemblait plus à un interrogatoire – je préférais couper court à la conversation, cependant, au dernier moment, elle m'agrippa le bras.
- "Veuillez excuser mon indiscrétion ! Votre figure m'est familière, vous me faites penser à moi plus jeune. La vie sans figure paternelle nous emmène dans un chemin tortueux, où les mauvaises personnes se présentent à nous. Pour survivre, il est nécessaire de se réinventer pour se libérer de nos chaînes. Qu'est-ce qui a bien pu enlever les lueurs d'espoirs d'une si belle midinette ?"
- "J'ai fait l'erreur d'aimer un monstre déguisé sous les traits d'un gentilhomme !", disais-je à chaude larme
- "Somme toute, une erreur de débutante ! La règle pour jouer à ce jeu, est de ne jamais, au grand jamais, dévoiler toutes ses cartes ! Le mystère est souvent l'une des clés nous permettant de résister à l'attaque perfide d'un ennemi, se cachant sous les jupons d'un être cher !"
- "Même avec l'homme de sa vie ?", circonspect par la réponse que je venais d'entendre
- "Surtout avec lui, tout amour passionnel est éphémère ! C'est ce qui en fait sa beauté, une expérience des plus rares et des plus joyeuses, mais comme toutes les bonnes choses de la vie, on doit les déguster avec modération !"
- "Et l'âme soeur alors ?", interloqué par sa vision radicale sur le sujet.
- "Une invention grotesque ! L'amour ou la douce alchimie entre deux êtres, n'est rien d'autre qu'une alliance intéréssée et perspicace ! On a besoin de quelqu'un qui peut nous soutenir dans les coups durs, mais malheureusement la trahison peut frapper, tapis dans l'ombre, comme un coup de massue !" qu'elle entonna d'un ton assurée
Ces mots furent une claque que je reçus par inadvertance, mon château de sable s'écroula, il ne restait bientôt plus, qu'un amas de petits morceaux impossible à recoller !
- "Quelle est la meilleure issue ? La solitude du célibat ou le déni de l'illusion du couple parfait ?"
- "Aucun des deux ! Si tu es habile, une troisième voie s'offre à toi !" me répondit-elle
- "Laquelle ?", disais-je d'un ton circonspect
- "Vendre tes charmes au plus généreux, en prenant soin de ne jamais tout divulguer, en outre, être dans la peau d'une espionne. L'homme adore les secrets et la patience d'une femme distinguée", affirma-t-elle avec un léger sourire.
- "Moi, une demi-mondaine ? Jamais de la vie !", en colère contre son outrageuse proposition
- "N'as-tu jamais ouvert ta porte aux prétendants dans l'espoir qu'ils te donnent leur loyauté ?", me rétorqua-t'elle
- "Oui, mais qu'à ceux que je jugeais digne de valeur !"
- Et qu'ont fait ces preux chevaliers après t'avoir déflorés ? T'offrir un bouquet de fleur avec de belles promesses, n'ai-je pas raison ?"
- "Peut-être !", ne voulant pas lui avouer qu'elle avait tapée dans le mille
- "Les courtisanes, à l'instar de 'Ninon de Lenclos', sont les seules femmes à gouter au nectar de la liberté et de l'indépendance. Le prix à l'entrée est relativement élevé, mais si tu es intelligente et rusée, tu pourras en tirer beaucoup plus qu'une barbante relation de couple"
Elle se leva lentement et prit son sac 'Louis Vuitton', tout en m'adressant ses derniers mots : "Je pense qu'on se reverra très bientôt", puis s'en alla sans que je puisse la remercier. Je ne compris pas ce qu'elle voulait dire par là, avant que j'aperçoive sur la table, sa carte de visite avec son numéro.
Et si elle avait raison ? Si cette voie transgressive pourrait m'apporter les réponses qui me manquent dans ma vie ? Une intuition profonde me disait qu'elle en savait plus sur moi que moi-même.
En scrutant sa carte, une seule chose m'obnubilait : Dois-je l'appeler ?
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