Chat-pitre 12
Le lendemain matin, Chaussette-rayée et son maître s'étaient préparés à la rencontre avec les responsables du biathlon. L'un avait eu les oreilles nettoyées et le pelage lustré par sa maîtresse, et l'autre s'était rasé de près puis coiffé de la plus sage manière. Par tactique et prudence, l'un s'était enveloppé dans une grande cape noire — idéale pour cacher son buste atrophié et se camoufler si un voisin pétitionnaire et opposé à ses déplacements publics venait à le croiser — et l'autre avait enfilé son costume du dimanche.
La voiture du couple étant trop petite pour loger le siège électrique, le conciliabule " maîtres-félins " de la veille avait décrété que Chaussette-rayée ne pouvait raisonnablement pas se montrer aux décideurs dans les bras de son propriétaire, ni même aller jusqu'à eux sur sa planche à roulettes. Et bien qu'accompagné de son maître qui parlerait à sa place et l'assisterait dans ses démarches, le chat-thlète prouverait son autonomie. Il se présenterait dans sa chaise roulante customisée comme une voiture de F1 et imaginée par " L'écurie Chaussette-rayée ". Digne d'un sportif de haut niveau, le fauteuil roulant avait été transformé en fauteuil de course par la créative maîtresse de maison. En deux coups de cuillère à pot, elle avait habillé les armatures de publicités adhésives, puis décoré le siège et les dossiers de numéros autocollants.
Le bureau des inscriptions ouvrant à dix heures, c'est à neuf trente précises, sous les baisers motivés et les miaulements d'encouragement que le maître et son matou quittèrent le domicile familial. Escortés jusqu'au muret par une team surchauffée et au grand complet, ils sortirent dans la rue en mocassins et fauteuil de compétition. Heureux de se déplacer tout seul et pour la toute première fois en-dehors de la maison, Chaussette-rayée était somme toute un peu anxieux. Bien sûr on ne lui déroulerait pas le tapis rouge, mais il voulait rouler pépère sans être refoulé, moqué ou chat-huté. Il craignait même d'être interdit définitivement de sortie. Son maître, au contraire, avait lui l'assurance que l'inscription se passerait sans problèmes et ne serait qu'une simple formalité. Après les instances adressées à Dieu, il estimait normal que cela soit ainsi. Confiant, il engagea donc le matou à ne point douter et proclamer que tout irait parfaitement bien.
— Lorsque nous plaçons notre confiance en Dieu, précisa-t-il, alors nous Lui ouvrons les mains pour agir et œuvrer dans nos vies.
— Miaouuuuiii...uuuiiii.... murmurait Chaussette-rayée, des tremblements dans la voix.
— Allez, tête haute mon champion ! Notre miracle est au bout des doigts ! Ah... heu... Non, pardon... au bout de la route !
Certain que le Tout-Puissant récompenserait son audace et sa Foi, Chaussette-rayée reprit du poil de la bête. Il redressa le tronc puis s'associa à son maître qui riait de bon cœur.
— Miahi hi hi !
Sur le chemin, le duo perçut des regards à la dérobade, des coups de coudes peu discrets et des gloussements à peine contenus. Ni le maître ni Chaussette-rayée, enrobé dans sa longue cape noire, n'y prêtèrent attention. L'un et l'autre désiraient garder leur paix, leur joie et leur improbable assurance. Ils étaient presque arrivés. À la montre du pasteur il était dix heures moins dix et à vue de museau, le bureau des inscriptions n'était plus qu'à une vingtaine de tours de roues.
Pauvre Chaussette-rayée. Voilà que de nouveau le courage lui manquait. Il avait beau se battre contre l'angoisse qui revenait, le tenaillait et s'imposait, la lutte était très inégale. Les quolibets, les insultes, les méchancetés. Tout ce qu'il avait subi au quotidien envahissait son petit crâne. Il essaya de chasser ce flot de mauvaises pensées, mais elles persistaient au point de faire vaciller sa confiance. Aux commandes de ses manettes de direction, Chaussette-rayée transpirait à grosses gouttes. Il ventilait et son cœur s'emballait. Pourtant, après tous les efforts et le chemin parcouru depuis des semaines, il ne pouvait décemment plus faire machine arrière.
Pour Dieu, pour lui, pour sa famille et pour ses maîtres, il devait croire à l'impossible, ne pas s'é-chat-pper et relever le chat-llenge.
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