Chat-pitre 13

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L'accès « Handicapés » étant à l'arrière du bâtiment communal administratif, ils en firent le tour sans dire un mot ni esquisser un miaulement. Ils suivirent les panneaux jusqu'à l'accueil principal où, sans relever la tête, l'agent leur indiqua l'étage et le numéro du bureau « Service des sports ». Concentrés et toujours silencieux, trois couloirs et un ascenseur plus loin, ils arrivèrent. Après un petit raclement de gorge, le maître de Chaussette-Rayée frappa deux coups légers à la porte vitrée et fut invité à entrer. Il s'avança d'abord, suivi du petit animal tremblotant dans son siège motorisé.

— Bonjour messieurs-dames, dit-il aux trois personnes installées dans le bureau.

Le front plissé pour discerner la petite chose drapée de noir sur un fauteuil électrique, la seule dame présente, répondit :

— Bonjour...monsieur...

Chaussette-rayée releva un peu le museau.

— Mais... mais... c'est un chat, pas un enfant ! s'écria-t-elle, surprise. Les animaux ne sont pas admis dans nos locaux !

— Oui, messieurs-dames, il s'agit bien d'un chat, approuva timidement le maître. C'est Chaussette-rayée, mon champion !

La situation était cocasse. Rires contenus et yeux écarquillés, les trois personnes attendaient d'en savoir davantage sur cet étrange animal se tenant visiblement debout et frémissant sous sa cape.

— Je suis le pasteur de la communauté du Bon Samaritain et je suis l'heureux propriétaire de ce chat absolument unique et extrêmement talentueux !

Ce type de louanges à son endroit mettait Chaussette-rayée fort mal à l'aise. À cet instant, il aurait bien voulu se cacher dans un trou de souris ou faire ami-ami avec n'importe quel rongeur pour partager son habitat. Malheureusement, ce n'était guère possible. Face à ces gens qui le fixaient comme un extraterrestre il ne pouvait se dérober ou prendre la tangente.

— Ce chat, messieurs-dames, continua son maître, est un animal exceptionnel ! Vous le verriez aux entraînements, vous seriez subjugués par ses prouesses ! Malgré l'infirmité, il nage incroyablement bien et à une vitesse époustouflante. De plus, c'est un as de la planche à roulettes ! Ses sauts et ses figures sont spectaculaires ! Ce chat, messieurs-dames, est stupéfiant ! Avec un tel participant, votre commune aurait une publicité fantastique.

Muettes et interrogatives, les trois personnes avaient les yeux rivés sur Chaussette-rayée qui lui, s'enfonçait sur son siège.

— Puisque le biathlon est accessible à tous les handicapés et que je sais mon chat en capacité de traverser un bassin dans un temps tout à fait honorable et de se débrouiller parfaitement sur un skate, je viens donc ajouter le nom de Chaussette-rayée sur la liste des compétiteurs.

Dans la pièce, le silence était lourd et de longues secondes d'incompréhension s'écoulèrent. C'est la dame qui, la première, ouvrit la bouche.

— Vous... vous... voulez inscrire, votre chat ? dit-elle dans un souffle de surprise.

— C'est cela !

— Mais... mais monsieur... ce n'est pas possible. Les animaux ne peuvent pas... s'inscrire au biathlon.

— Ah bon ? Et pourquoi donc ? interrogea le pasteur, nullement troublé par la tension régnant dans le bureau et par l'air ahuri des trois collègues. À l'annonce du biathlon, il n'a pas spécifié que les épreuves ne concernaient que les humains. Vous avez communiqué en ces termes " amateurs ou professionnels, handicapés moteurs, sensoriels ou mentaux ". Dès lors, rien n'interdit aux animaux de concourir au biathlon.

— Mais enfin monsieur, ne soyez pas ridicule ! s'énerva un des hommes. Nous ne l'avons pas précisé parce qu'il n'était pas nécessaire de le faire ! Aucune bête, fut-elle la plus adroite et la plus intelligente, ne peut participer à une compétition humaine ! Cela tombe sous le sens !

Le sourcil froncé, le troisième homme qui n'était pas encore intervenu, se leva brusquement de sa chaise.

— Tout pasteur respectable que vous êtes, cher monsieur, je vous trouve bien hardi de nous amener votre... votre animal et de tenter de nous convaincre de votre bon droit ! s'indigna-t-il en pointant un doigt accusateur sur Chaussette-rayée qui se liquéfia. Nous ne sommes pas aux jeux du cirque ! Si nous ouvrons l'admission aux animaux, le sérieux de la compétition sera remis en cause. Imaginez alors ! Ce sera la porte ouverte au grand n'importe quoi. Rien n'empêchera les fermiers à nous emmener leurs chèvres estropiées ou leurs cochons mutilés, ni les enfants à nous proposer leurs lapins nains aux oreilles manquantes ? Monsieur, ce biathlon n'est pas une foire aux bestiaux ! C'est un concours d'utilité publique dont les bénéfices seront reversés à un centre de convalescence de la Région. De plus, par cette compétition, nous souhaitons revaloriser le handicap et les handicapés, bien souvent mis de côté et dévalués. Alors, vous pensez bien. En introduisant des animaux, nous serions la risée nationale et nos participants se sentiraient offensés et dépréciés. Et cela serait juste.

— Mais je ne vous demande pas d'accepter tous les animaux, je vous demande juste de considérer le cas de cet animal qui est techniquement et sportivement parlant, à la hauteur des épreuves exigées.

Ces paroles valorisantes firent se redresser Chaussette-rayée. Il gonfla son torse et étira ses babines

— En prime, si par je ne sais quelle lubie, nous acceptions de faire concourir votre chat, rajouta la dame, nous aurions illico toutes les associations de malades sur le dos, peut-être même les associations de défense des animaux et très certainement un grand nombre d'habitants scandalisés. Cela risquerait de provoquer des protestations, voire même des émeutes. Qui sait... Et puis, cela ferait une bien mauvaise publicité, et pour la ville et pour notre service des sports.

— Mais au contraire, dit le pasteur. Cela augmenterait votre notoriété et vous ramènerez un public supplémentaire. Incontestablement, il y aurait des curieux qui viendraient de loin pour voir un chat aussi exceptionnel participer à une telle épreuve ! Testez-le ! Testez ses compétences et vous verrez de quoi il est capable.

— De toute façon, les inscriptions ne sont validées qu'à la suite de la présélection drastique prévue six jours avant le biathlon, renseigna la dame. Oui, car même si la compétition est ouverte à tous et que nous n'exigeons pas un haut niveau sportif, nous ne pouvons accepter n'importe qui sous prétexte de son handicap. Nous devons éviter les accidents durant les épreuves, et nos assureurs et nos autorités nous le rappellent constamment.

— Écoutez, dit le pasteur, je vous propose de lui faire passer les tests de sélection avant même d'envisager de l'inscrire sur la liste et ensuite... Ensuite seulement, vous prendrez votre décision. Seriez-vous d'accord avec l'idée ?

Le pasteur avait tellement d'assurance, il était si enthousiaste qu'il déstabilisa les trois professionnels et ébranla leurs convictions.

— Nous y réfléchirons monsieur, l'informa la dame, le visage plus radouci, mais n'espérez pas trop. Assurément, cela tiendrait du miracle si je ne sais par quel truchement nous décidions de lui faire passer les tests.

— Oh ! En matière de miracles et d'espérances, je suis bien placé pour savoir que tout est possible, gloussa le pasteur.

— Hum... bien sûr... grogna la dame. Mais enfin toutes croyances a ses limites et notre règlement est parfaitement clair. Nous ne pouvons y déroger malgré vos arguments. Pas d'exceptions, c'est ainsi...

Ce refus fit baisser le museau de Chaussette-Rayée qui se ratatina sur son siège.

— Bien. Quelle que soit votre décision, je vous remercie pour votre écoute et votre amabilité. À très bientôt, messieurs-dames.

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