Midi encré
Après avoir éteint trois fois son réveil matin, elle n'a plus le choix, elle doit se lever ou elle sera en retard pour aller travailler. Son lit double semble encore une fois trop grand pour elle, mais elle ne veut pas qu'il soit envahi à chaque jour. Un homme cette nuit fera l'affaire pour une semaine entière. De quoi satisfaire ses désirs charnels et son sentiment de solitude. Par chance, pour briser le mur du silence, son gros chat bien gras est toujours présent pour lui miauler sa faim.
Même routine à chaque matin. Se lever, nourrir le chat, filer sous la douche, s'habiller, grignoter un fruit et une barre protéinée, se maquiller légèrement, mettre l'essentiel dans sa sacoche, se couvrir d'un manteau d'automne et d'un foulard d'une couleur unie, barrer la porte de son appartement derrière elle, descendre les cinq étages, s'engouffrer dans sa voiture, faire jouer une chanson quelconque capable de la réveiller, conduire jusqu'à son bureau, saluer ses collègues avec un sourire en plastique, s'installer en silence et commencer à travailler dans la discrétion la plus complète.
À l'heure du midi, elle prend son repas et s'assoit discrètement à une table qui est habituellement vide. Elle sort son cellulaire pour regarder les vies inintéressantes des gens qu'elle a acceptés pour ne pas avoir l'air totalement antisociale en même temps de manger un sandwich fade au goût mille fois vécu. Elle fouille dans sa sacoche à la recherche de ses écouteurs, mais n'arrive pas à mettre la main dessus. Elle croise les doigts et glisse sa main dans ses cheveux en soupirant. Elle espère intérieurement que personne ne va saisir l'occasion pour essayer de discuter avec elle. Il ne manquerait plus que ça.
Une de ses supérieures, occupée à glousser dans un coin comme chaque midi, remarque qu'elle laisse une ouverture à la discussion, bien qu'involontaire. Elle fonce tout droit sur celle qui tente désespérément de devenir une plante verte. Elle pose ses mains sur la table, le choc sort la jeune femme de ses pensées déprimées. Elle lève lentement les yeux vers son interlocutrice pendant qu'une mèche de cheveux rebelles vient cacher la moitié de son visage terne. Le dialogue laisse plutôt sa place à un monologue remplis de fausses politesses et de marques d'affections.
Encore une fois, on lui répète qu'il serait bénéfique pour elle de s'ouvrir davantage au monde et de discuter avec ses compères au lieu d'essayer de se fondre dans le décor. Après cet interminable discours qu'elle a entendu bien trop souvent, une étrange proposition lui est faite. Avec un sourire digne d'une annonce de pâte à dent blanchissante, celle qui vient de lui voler de précieuses minutes à observer tous ses comptes lui offre de venir à la soirée Halloween organisé par sa firme. Cette dernière n'attend pas de réponse, elle avance seulement un papier chiffonné avec son numéro de téléphone et quelques informations utiles à savoir sur ce qui est prévu à cette soirée. Elle lui accorde un dernier regard avant de repartir comme elle est arrivée, laissant la jeune femme fixer les lettres et les chiffres sans parvenir à les déchiffrer. Elle prend tout de même soin de le mettre dans son agenda. Un peu de changement ne lui ferait peut-être pas autant de mal qu'elle ne le pense.
Annotations
Versions