Un facteur surgit de on ne sait où.

3 minutes de lecture

J’avoue avoir mis un peu de temps à me remettre des émotions vécues lors du voyage aux Etats des saisons éternelles.

Depuis la sortie de mon bouquin, les gens me regardaient différemment. Comme je ne savais pas mentir, à chaque fois que l’on me posait la question sur la véracité du récit, je confirmais que je l’avais bien vécu. La plupart me prenaient pour un doux rêveur, les autres pour un véritable fou. J’en perdis quelques clients qui ne souhaitaient plus confier leur jardin à un "illuminé". Mais je m’en moquais car le modeste pécule issu de la vente de mon livre compensait les pertes de revenus associées. De plus, cela me laissait un peu plus de temps pour essayer de compléter l’œuvre initiale.

Un matin, vers onze heures, j’étais donc occupé à cette tâche lorsque la sonnette de l’entrée retentit.

Je me levais et allais ouvrir. Un facteur très âgé portant une casquette ronde à visière étroite, une veste épaisse bleue-gris à bouton chromés, un large pantalon de toile épaisse de la même couleur et des souliers fatigués, me tendit une lettre aux apparences très anciennes. Se frisant la moustache de sa main libre il me détailla des pieds à la tête :

  • C’est bien vous Harold L.J. ?
  • Oui c’est bien moi, lui répondis-je tout étonné. C’est pourquoi ?
  • Comment ça, c’est pourquoi ? J’suis facteur moi, j’vous apporte pas des fleurs ou des chocolats et j’viens pas non plus pour relever le compteur. C’est pour une lettre bien sûr ! C’est pourquoi ? …

Devant l’amabilité et l’étrangeté du personnage, je m’empressais de me saisir de l’étrange missive. Mais considérant son allure bien particulière et son âge, j’eu un instant de pitié, mais aussi et surtout de curiosité pour lui.

  • Je vous remercie. Mais peut-être voulez-vous vous reposer un peu avant de partir ? Voulez-vous un petit coup à boire ?

Le gars me regarda d’un air méfiant.

  • C’est-y pas que vous voudriez me soudoyer ? Vous trompez pas mon gars, je ne suis pas d’ceux qu’on emberlificote si facilement. J’ai un boulot, j’y tiens… Mais remarquez vous m’avez pas l’air d’un mauvais bougre. Alors d’accord, si vous avez un p’tit canon pour moi, c’est pas d’refus.

Je le fis donc rentrer et l’amenai jusque dans ma cuisine. Ayant reçu des amis, la veille, j’avais ouvert un grand cru de Bordeaux de 2009. Je sortis un verre et lui tendis le précieux nectar.

  • Elle est pas mauvaise votre bibine, mais ça n’vaut pas un bon 1929, ça au moins c’tait quequ’chose!

Décidemment, ce personnage m’intriguait, son allure, sa façon de parler et sa connaissance des grands millésimes du siècle précédent me laissaient coi. Le laissant à son verre, je détaillais l’enveloppe. Elle était faite d’un papier épais auquel le temps avait transmis une couleur ocre terne. En son coin droit un timbre aux tons verts représentait une jeune femme tenant une fillette par l’épaule et portait les inscriptions "REPUBLIQUE FRANCAISE", "ORPHELINS DE LA GUERRE" et "5c POSTES + 5c". Il était oblitéré d’un tampon rond portant la date 17 XII 1918. Les autres mentions restaient illisibles. Au centre de l’enveloppe, les coordonnées de la destinataire étaient consignées une jolie écriture arrondie Louisette Lamour, Avenue du Bel Espoir. Au dos, l’expéditeur avait porté son adresse : Joseph Beckart, Ledringhem, Nord.

"Avenue du Bel Espoir", la concision de l’adresse m’interpellait. Le facteur dû s’en rendre compte.

  • Et oui, mon bon monsieur, pas facile de trouver la destinatrice avec une telle adresse, y s’est même pas donné la peine de mettre la ville, le bougre. Cette lettre, n’importe quel facteur l’aurait jetée. Mais vous savez, moi j’suis un romantique. Alors avec une destination pareille, je n’ai pas pu résister et je m’suis dit que cette missive, il fallait qu’elle arrive à sa destinatrice et mon obstination a payé puisque je vous ai enfin trouvé.
  • Mais je ne m’appelle pas Louisette, cela paraît évident non ?
  • C’est un fait, mais la Louisette, elle n’est plus là pour la lire cette épître ! Il fallait donc bien la remettre à quelqu’un !
  • Mais pourquoi moi ?
  • Vous mon bon gars, mais simplement parce que vous êtes le dernier descendant de la Louisette et qu’il fallait bien que c’te courrier il trouve son destinataire.

Heureusement que je m’étais assis, sinon je serais sûrement tombé à la renverse. Je n’avais jamais entendu parler de cette dame et ne connaissais personne qui s’appelait Beckart. Et comment ce postier a bien pu faire le lien entre cette dame et moi ?

  • Excusez-moi, mais il y a des choses que je ne comprends pas bien. Sur quoi vous basez vous pour dire que cette Louisette Beckart est une de mes aïeules ?
  • Ben, c’est pas sorcier, j’ai mené mon enquête. Louisette est votre arrière-arrière-grand-mère !

D’un coup, je trouvais son histoire bien moins romantique.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 5 versions.

Vous aimez lire Paul Koipa ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0