Un coup de foudre.

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Je ne pouvais, bien sûr, pas en rester là. Ce vieux bonhomme sorti d’on ne sait où, venait de m’apprendre qu’un de mes ancêtres avait mis enceinte une jeune fille qui donc devait être mon arrière ou mon arrière-arrière-grand-mère. Dans la famille jusqu’à présent nous n’étions pas vraiment portés sur la généalogie, mais là il me fallait en savoir plus.

  • Si je vous suis bien, vous me dites que ce courrier, que j’ai entre les mains, a été écrit par un de mes aïeuls, il y a trois ou quatre générations.
  • Ah, j’vois qu’ça carbure là-haut, dit-il en regardant mon front avec un air ironique. C’est tout à fait cela. C’est vot’ arrière-arrière-grand-père qui l’a écrite.

Disant cela, je me rendis compte de l’incongruité de la situation que je vivais ! Ce facteur aurait travaillé à la poste depuis plus d’un siècle ! C’était absurde. C’était une blague, il n’y avait pas d’autre hypothèse possible !

Je détaillais le visage du bonhomme me demandant si derrière un maquillage sophistiqué, il n’y aurait pas une figure connue. Mais non, totalement ridé et buriné son facies ne dénotait aucun trucage. De plus ses mains d’où saillaient les veines et les os confirmaient son extrême vieillesse. J’étais perdu, je n’avais plus de repère, je ne comprenais plus rien. Il me fallait en savoir plus.

  • Vous dites que l’auteur de cette lettre est un de mes grands ancêtres. Mais si vous l’affirmez, c’est que vous avez établi mon arbre généalogique et que vous avez retrouvé Louisette puisque c’est elle qui a donné naissance à leur bébé, sans que Joseph soit au courant. Eh alors, pourquoi ne pas lui avoir donné en main propre et pourquoi avoir attendu une centaine d’années avant de me l’apporter ?
  • C’est qu’la gamine, moi j’l’ai jamais connue. J’ai bien connu le gaillard car c’te lettre j’voulais qu’elle arrive à destination et c’était pas avec son adresse "Avenue du Bel Espoir" que j’pouvais la retrouver. Il me fallait en savoir plus sur elle. Je me suis donc rapproché de lui. Bien sûr, j’l’ai jamais affranchi qu’c’est moi qui avait sa lettre. Oui, je sais vous allez dire que pour un postier s’est un comble, mais c’est comme ça.
  • Et vous vouliez quoi de lui ?
  • Simplement qu’il m’en dise plus sur la princesse et me donne des pistes pour la retrouver. A c’t’époque y’avait pas internet, facemachin ou instalgram, donc un nom et un prénom c’était déjà un début, mais pas suffisant.

Bien qu’ayant du mal à me mettre dans le contexte de l’époque, je pouvais admettre que ce ne soit pas facile de retrouver quelqu’un en période de guerre. Je relançais donc le postier :

  • Vous avez réussi à le faire parler ?
  • Oui, p’tit à p’tit. Je n’habitais pas loin de chez lui, alors ça n’a pas été très difficile de le rencontrer. Et puis on avait presque le même âge. J’vous raconterai plus tard, comment j’ai fait pour me rapprocher de lui, mais toujours est-il que je l’ai amené à me raconter son histoire.

Encore un fois, le facteur se tut. Je sentais qu’il allait aborder un sujet qui le touchait. Mais il reprit de lui-même :

  • Il était tellement malheureux que le jour où il a trouvé quelqu’un qui était disposé à l’écouter, il a tout lâché. Et ce quelqu’un c’était moi. Leur histoire s'est donc passée donc durant la grande guerre, le dernière soit disant. À c’t’époque, ça rigolait pas tous les jours, le schleus z’était pas loin et ça canardait dur dans le coin. Alors quand y avait l’occasion de faire la bringue, les jeunes y s’lâchaient carrément. Et il faut bien dire que les jeunes au village, y z’étaient vraiment jeune. Tous ceux qui avaient plus de vingt ans étaient dans les tranchées donc, question filles, ceux qui restaient avaient le choix. Le Joseph par exemple il était de fin 1900, en début 1918, il avait à peine dix-sept ans. Et j’m’en souviens bien, il était plutôt beau gosse.
  • Vous n'avez pas de photo de Joseph ? Cela me permettrait de voir si j'ai une quelconque ressemblance avec lui.
  • J'en avais, mais j'ai tout perdu en quarante. Mais c'est une autre histoire. Donc le Jospeh m’a expliqué que ça faisait un moment qu’il avait le béguin pour elle. Mais il était timide, le p'tit gars, il n'avait jamais vue une fille de près. Alors il n'avais jamais osé l’aborder. Ce soir-là, quand ils se sont retrouvés tous les deux au bal pour le nouvel an 2018, il a enfin tenté sa chance. Il s’était entrainé pour la polka avec sa cousine. Et il avait fière allure. Alors quand il l’a invitée, elle a un peu résisté mais il était tellement beau qu’elle n’a pu que céder. Quand ils se sont donné la main, c’est comme si un éclair leur était tombé d’sus. Et après quand il lui a posé la paluche sur le bas du dos, ni l’un, ni l’autre ne savait plus où il habitait. Les parents n’étaient pas en vue, alors ils ont commencé à se bécoter un peu et puis la sève est montée et le foin sentait bon… Après j’vous fait pas un dessin… V’la t’y pas que l’polichinelle etait dans le tiroir ! J’vous laisse imaginer la suite…
  • Si je comprends bien, pour un coup d’essai, ce fut un coup de maître. Et donc voilà la Louisette enceinte.
  • Vous avez tout pigé. Mais le Joseph, il l’a jamais su !

Il ne l’a jamais su ! Mais comment était-ce possible ? A cette époque tout se savait dans les villages, les réseaux sociaux existaient déjà par l’intermédiaire des mégères qui n’en demandaient pas tant.

  • Comment se fait-il que personne ne l’ait mis au parfum ? demandais-je.
  • Simplement parce que avant que la Louisette s’en aperçoive, et comme elle était jeunette, elle ne s’en est pas rendu compte rapidement, sa famille avait déménagé.
  • Personne n’en avait été informé ?
  • Non, personne. En fait, ils n’étaient pas du coin, ils étaient venus de l’est de la Belgique au début de la guerre, autant dire du bout du monde. Et comme en plus, ils étaient protestants, et à cette époque ça comptait, ils n’étaient pas vraiment bien implantés.
  • Et c’est la grossesse de la fille qui les a fait partir ?
  • Pas vraiment. En fait, ils craignaient une nouvelle offensive des schleux et ne voulaient pas subir à nouveau ce qu’ils avaient vécus. Alors ils ont déménagé à la cloche de bois et personne ne savait où ils étaient partis. Remarquez, ils ont eu raison car quand les Allemands ont lancé la bataille de la Lys en avril 1918 il valait mieux pas être dans les parages. Tiens au fait, vous savez comment ils l’avaient appelé les boches leur offensive : l’opération Georgette. Georgette, Louisette, c’est presque pareil, mazette ! conclut-il fier de sa rime.

Tout cela ne m’avançait pas tellement. Mais le bonhomme m’avait appâté par son récit. J'étais bien décidé à en connaître la suite.

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