« J’entame la conversation, plus vite le problème est exposé, plus vite il est résolu, plus vite il dégage.» -3

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Jules

Au bureau principal de mon entreprise, j’attends Loïs. En effet, je lui ai confié pour mission de se rapprocher de Judith pour obtenir d’autres informations sur Kira. Un coup de chance qu’il arrive à plaire même avec sa tête de cul, sinon, mon plan aurait foiré.

Je suis fébrile, pris d’une frénésie d’impatience d’en savoir plus. Mon cœur saute dans ma poitrine lorsque je sens la vibration de mon portable : c’est lui. Je m’empresse de répondre.

— Alors ? je demande avant qu’il n’ait le temps d’ouvrir la bouche.

— Alors elle sort du bus ! Je la suis.

— Elle sort du bus…?

— Oui.

— Kira sort du bus ?

— Ben non, tu m’as dit de me rapprocher de Judith, donc…

— Sombre crétin, qu’est-ce que j’en ai à foutre de Judith ! Kira est avec elle ?

— Non. Mais je continue de la suivre alors ou pas ?

— Écoute bien c'que j'vais t'dire : patiente et préviens-moi au moindre changement !

Je lui raccroche au nez avant qu’il puisse dire quoi que ce soit d’autre. Début de semaine dernière, j'ai eu l'information selon laquelle Kira était rentrée complètement saoule avec son "pote". Il est resté chez elle exactement seize minutes et quarante-trois secondes. C'est beaucoup trop. J'ignore ce qui l'a poussé à la mettre dans cet état-là. Depuis, elle n'est sortie que pour travailler et aller à la fac. Je me demande ce qui s'est passé. Je n'ai rien le temps de supposer car mon rendez-vous vient d'arriver et ma secrétaire me l'informe par un signal sonore sur mon téléphone.

Déjà trois fois que je le vois cette semaine. S'il n'a pas encore pris un abonnement, ça devrait pas tarder.

Reyes me salue par mon nom tout en me tendant la main. Je le toise, me demandant s’il s’attend vraiment à ce que je m’en saisisse. D’un geste bref de la tête, je lui désigne le siège vide en face du mien, pour qu’il y prenne place.

J’entame la conversation, plus vite le problème est exposé, plus vite il est résolu, plus vite il dégage.

Cependant, j’éprouve des difficultés à me concentrer sur l’étude. Mon esprit divague et pense à Kira. Que fait-elle en ce moment ? Qui l'accompagne ?

Mon discours est quelque peu hésitant, il s’en aperçoit. Afin de pas l’en convaincre davantage, je détourne son intérêt en attirant son regard sur le projet d’un nouveau logiciel dont le plan est sur le bureau.

Alors que je subis son verbiage dépourvu de sens, la grâce semble me toucher : Loïs me rappelle. Je décroche.

Je l’écoute, attentif au moindre mot, car rien n’est plus important lorsqu’il me parle d’elle.

— Quoi ? je m'emporte en balançant mon pied dans le fauteuil.

L’homme en face de moi se lève et m’informe d’un signe qu’il se retire, je secoue la main au-dessus de ma tête, l’invitant à le faire encore plus vite.

— Comment ça, ce putain de mec arrive chez elle ? Loïs ! Empêche-le !

OK, j'ai ma réponse, mais elle ne me convient pas du tout. Encore ce même "pote" qui se rend chez elle. Qu'est-ce qu'il lui veut, bordel ?

Il me sermonne de ne pas pouvoir faire un tel acte, qu’il se ferait remarquer. Dans ce cas :

— Tue-le.

Pendant un instant, il sombre dans un mutisme avant de me soutirer qu'elle est en train de me rendre cinglé.

— Elle ne fait rien du tout, je le suis déjà.

Je grogne d’animosité quand il se permet de me rappeler que je parle que d’elle, que je pense qu’à elle.

Hm, il en rajoute un peu là…

— À aucun moment j'accepte les conseils foireux, surtout venant d’toi !

Il se racle la gorge en se foutant de ma gueule.

— Contrairement à toi mon cher bras droit, je crois pas aux miracles, je les baise une fois et elles dégagent de ma vie.

Une nouvelle fois il se permet de me contrarier en prétendant qu’avec elle, ce serait différent, que je le sais, mais que j’ai peur. La fureur m’emporte, je balance mon portable à travers la pièce, il s’éclate en mille morceaux avant de finir sa chute au sol. Balivernes.

D’un pas agacé, je déboule dans le couloir. L’autre abruti est toujours là. Sans me préoccuper de sa présence, je passe devant lui pour me rendre dans le bureau de ma secrétaire et lui réclamer un nouveau téléphone.

Le pantin n’a pas bougé. Je plisse les yeux dans sa direction et je me retiens de pas extérioriser ma colère sur lui. Je le réduirai en charpie. Il me regarde de haut, enfin, du haut de son mètre soixante-quinze, en disant :

— On le signe, ce contrat, oui ou merde  ?

Il a l’air fâché, ce guignol. Sa fausse allure énervée est sur le point de me faire éclater de rire.

— Merde !

Après l’avoir rembarré, je vais chercher ma bagnole qui se trouve au parking pour me rendre à l’adresse où vit Kira.

Garée en bas de son bâtiment, ma berline noir mat ne passe pas inaperçue aux yeux de mon bras droit qui vient vers moi.

— Un seul commentaire et j'te fais exploser la cervelle, je le mets en garde, avant qu’il n’ouvre la bouche.

Pour une fois, il prend ma menace au sérieux. Il se tait.

Kira loge au troisième étage, des rideaux épais dégringolent de ses fenêtres et en cachent l’intérieur. D’un point de vue extérieur, l’immeuble ne paie pas de mine : dans les tons gris - années soixante-dix. Au pied du bâtiment, un interphone et des portes sécurisées. Je cramponne mes mains à mon volant, je ne dois pas céder à la tentation de monter chez elle, égorger son « ami », poser les yeux sur elle, la contempler et m’en emparer.

Mais la promesse que je me suis faite il y a plusieurs jours revient, donc je m’interdis de m’approcher d’elle.

— Jules, pour une fois dans ta vie, écoute-moi…

— Ta gueule, Loïs ! J'en peux plus d'te voir essayer de m'aider à tout prix ! Tu comprends pas et tu comprendras jamais !

J’appuie sur la pédale d’accélérateur, les pneus crissent au sol. Je grille d’innombrables feux rouges dans les rues de Paris, sans avoir la moindre idée de là où je vais. Rouler à grande vitesse m’avait toujours permis d’évacuer, mais depuis que j’ai vu Kira, ça fonctionne plus.

Je marque une pause devant mon entreprise, vu l’heure, c’est vide. Je désactive les alarmes et je prends l’ascenseur afin de me rendre dans ma salle de travail. Je me noie dans mes dossiers, cherchant à la faire sortir de mon esprit. Je suis en train de lutter contre moi-même, frappant mon front à de nombreuses reprises avec la paume de ma main.

Si aujourd’hui j’en suis à la troisième rupture de contrat, je peux plus me permettre de continuer dans cette voie, car, tôt ou tard, ça finira par se retourner contre moi.

Voilà quelque chose qui me motive : je monte un dossier pour que Loïs prenne la suite le temps que j’arrive à oublier Kira. Perdre un contrat c'est compliqué, on parle de millions d’euros, et même s’il est difficile pour moi de passer la main, une entreprise en faillite est pire. Mes collègues m’ont fait confiance en me nommant directeur, et je leur ferai honneur. Je laisse tomber les trois contrats, même s’il existe un moyen d’empêcher leur rupture, il suffirait que je les recontacte afin de m’excuser et de renouer les liens. Cependant, ma vanité est bien trop ancrée en moi pour me permettre de me rabaisser à un tel niveau.

Je trie les différentes piles par ordre d'importance. J'ai beau en foutre plein la gueule à mon bras droit, je sais pertinemment qu'il est apte à s'en occuper. C'est le lui avouer qui est impossible pour moi.

Il honorera les rendez-vous et signera les contrats de vente des logiciels des données développées par l’entreprise. Par exemple, un logiciel qui permet d’analyser les données massives générées par les téléphones. Il utilise des algorithmes d’intelligence artificielle pour détecter des modèles qui seraient impossibles à repérer autrement. Dès lors, il permet d’étudier l’évolution de l’univers et de prédire les changements climatiques à venir. En somme, nous proposons plusieurs gammes de traitements qui sont développées ici même. Les trente-et-un étage ont chacun leur thématique, pour en citer quelques-uns : les laboratoires en prennent déjà quatre, l’informatique trois, car ils traitent également la sécurité, deux sur la gestion des projets. La motivation est née au cœur même de notre classe en master. En effet, nous étions solidaires et nous voulions créer notre société afin d’élaborer des notions utiles dans le monde dans lequel nous vivons.

Loïs, avec sa grande gueule, a fait fuiter qu’en arrivant à Paris je parlais pas un mot français, et qu’en à peine deux ans j’ai validé mon bac avec mention.

Quand les gens de ma promo ont eu connaissance de ma réussite, atteinte au prix de mes efforts et de ma persévérance, ils ont pu que constater mes qualités indéniables et mon courage. Ils m’ont nommé directeur général de l’entreprise après avoir validé le master.

Depuis, je fais de mon mieux pour être à la hauteur et j’apprécie mon travail, d’autant plus qu’être un PDG bosseur et dévoué se révèle être une formidable couverture pour mes activités extérieures.

Je suis resté travailler d’arrache-pied sur les dossiers une majeure partie de la nuit, mais ça valait le coup, car tout est prêt pour que Loïs prenne la main demain matin.

Avant de rentrer chez moi, je fais un détour par chez elle.

Les lumières sont éteintes, rien d’étonnant à six heures du matin. Je voudrais savoir si son « ami » est toujours présent dans son appartement. Rien qu’à cette idée, mon cœur se serre et j’ai envie de gerber. Je me retiens de toutes mes forces de ne pas monter chez elle et défoncer la porte afin de vérifier par moi-même.

— Ça y est ? Tu vas enfin avouer être jaloux ?

— Ça va pas, non ? J'la connais pas… Jaloux d'quoi ?

— Bon, avoue au moins que tu te fais des films alors… ça sera déjà ça.

— Non, j'me fais aucun film.

J’allume mon téléphone et consulte mes messages, parmi lesquels celui de Loïs qui m’informe que son pote serait parti à dix-neuf heures. J’aurais été soulagé si j’avais eu cette information plus tôt.

Je reste ainsi un moment. N’ayant pas connaissance personnellement de ses goûts, je ne peux qu’imaginer comment elle aurait agencé son appartement. Je me demande quelles sont ses passions et ce qui l’anime dans la vie.

Poursuivant mon chemin, je sens les palpitations de mon cœur s’accélérer à mesure que je m’éloigne d’elle. La douleur revient, tel un trou béant dans ma poitrine.

Je rentre chez moi, mes gardes du corps m’ouvrent la porte. Je leur fais savoir que personne n’est autorisé à venir me déranger. Dans ma chambre, je m’agace du désordre qui règne... Toutes mes émotions se focalisent bêtement sur ce détail, comme si je ne désirais pas affronter la vraie raison de mon tourment.

Je décide de gober trois comprimés d’antidépresseurs. Allongé sur mon lit, j’attends qu’ils fassent effet. Comme d’habitude. Rien d’impressionnant. Parfois, je me dis que j’aurai plus vite fait d’avaler toute la boîte. Au moins, je serais débarrassé.

Je suis réveillé par le soleil qui pénètre ma baie vitrée, j’ai un mal de crâne pas possible — la sensation qu’un marteau piqueur veut en sortir.

Mon réveille-matin me confirme l’heure : quinze heures trente.

Je pourrais flâner dans mon lit, en souriant que mon partenaire a pris la suite, mais à peine éveillé, ce n’est pas mon côté tyrannique qui revient, mais elle, et encore elle, et toujours elle. Je connais son emploi du temps sur le bout des doigts : à cette heure-là, elle est à son dernier cours de la journée. J’apprécie son audace à enchaîner études et p’tit job. Cependant, je me demande si elle n’essaie pas d’échapper à quelque chose. Rendre ses journées étouffantes au point de ne plus avoir le temps de se poser, en général ça ne présage rien de bon.

D’après l’endroit où je l’ai vue la première fois, je n’ai pas à m’interroger sur la caste à laquelle elle appartient.

Elle est consciente de l’effondrement de la planète, et cette unique information ancre en moi le besoin d’obtenir davantage d’informations sur elle. Quelles sont ses motivations ? ses pensées ? comment est-ce qu’elle parle ? car même si elle semble douce ce n’est qu’une simple pensée de la réalité. Et, je sais mieux que quiconque les dégâts que peuvent faire les illusions, avec elle, je veux du concret ! Du vrai !

Vautré dans le fauteuil de mon bureau, je fixe les portraits respectifs de mon grand-père et de ses sous-fifres. Si j'essaie de me convaincre quant à la raison pour laquelle je suis encore là, tout le reste ne sert qu'à donner un semblant d'intérêt à ma vie. Sauf ces derniers jours où je l'ai vue pour la première fois.

Il y a quelques jours, j’ai pu tracer une croix rouge sur l’un des portraits. Mon géniteur a eu le malheur de se trouver sur mon chemin. Le coup du destin a frappé et pour une fois je me suis enfin dit qu’il y avait une justice. Lors d’une mission qui m’a été confiée, il était là, dos à moi, à quelque pas, en train d’échanger avec la cible que j’étais venu abattre. Il m’était servi sur un plateau d’argent : j’ai sorti mon SIG Sauer P320, je l'ai sifflé pour ne pas le descendre tel un fourbe et lorsqu’il s’est retourné, il n’a pas eu le temps d’implorer ma pitié. J’ai tiré une première balle qui lui a explosé sa gueule de pourri, la deuxième s’est logée dans celle du contrat.

Deux pour le prix d’un. Un rire de vengeance s’est déployé dans ma gorge. J’ai eu du mal à le calmer. Loïs, qui assistait en hauteur à la scène, n’a pas compris pourquoi j’avais tué le premier, puis, en voyant la victime, même avec le peu qu’il restait de sa gueule défigurée, il l'a reconnu. Cependant, il ne s’est autorisé à me poser aucune question et nous nous sommes occupés de faire disparaître les deux corps. Les jours qui ont suivi, je suis resté discret, à cause de la Brigade criminelle qui se démène pour attraper les criminels. Mon regard vacille entre les deux tête restantes sur les portraits et la boîte de psychotropes à plusieurs reprises. Ma mission de les tuer n’est donc pas terminée.

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