«— Loïs, Loïs, Loïs… j’essaie d’te faire comprendre : depuis trois mois, que cette femme m’apparaît comme une grâce, et toi, la seule chose que tu trouves à m’dire, c’est d'chuter à ses pieds d’vant les chiottes !»

9 minutes de lecture


Jules


Vu encore l’heure à laquelle je me suis levé, je sais qu’il me sera impossible de fermer l’œil de la nuit. Je mets une veste légère et je pars me promener dans les rues de New York. Ce que j’aime à la pénombre, c’est le calme, presque aucune pollution sonore. Si, toute la journée on entend des klaxons et des impatients hurler, le soir, la ville retrouve sa sérénité.

En marchant dans l'obscurité, je prends le temps de réfléchir, d’essayer de comprendre en quoi cette femme peut m’attirer autant. À quatorze heures, tandis que je passais devant l'enceinte de son université, un groupe d'ados faisait les cons sur le trottoir, l’un d’eux a trébuché et j'ai pas eu que d'autres choix que celui de mettre un grand coup de volant pour l'esquiver. Cette déportation m'a fait aller en direction de Kira : jamais je l’aurais percutée, le car aurait été le choix évident de l'arrêt de ma course.

Ayant pour habitude des traques dans les rues, que cela soit avec les flics ou mes ennemis, j'ai un peu de talent en tant que pilote. Kira l’ignore donc elle a eu peur, je l'ai vu. L'envie de m'arrêter pour m'excuser a traversé mon esprit. Alors qu'elle regardait mon véhicule s'éloigner avec sa petite bouille décontenancée, j'ai entendu l'autre poissonnière hurler que j'étais un connard. Elle va se détendre la morue.

J'arrive en bas de l’immeuble de Kira, en pensant à toutes les recherches que j'ai faites sur internet et qui m'ont conduites à la flèche de Cupidon, au « coup de foudre ». Je l'ai jamais vécu, mais je suis capable d’affirmer que c’est pas ça.

Pour commencer, je suis pas amoureux d’elle : j'en suis épris avec ferveur. Mon cœur retrouve un battement régulier, comme à chaque fois que je me situe à proximité d'elle. Je fixe son appartement, et si ses voisins finissent par me repérer, je vais carrément passer pour un psychopathe. Pourtant, loin de moi l'idée d'un jour lui faire le moindre mal.

La Lune, brille au-dessus de chez elle, cette nuit plus que les autres soirs. Je l’imagine en train de dormir, apaisée et détendue. Je suis une fois de plus à deux doigts de craquer et de monter chez elle pour la voir. Ce qui me retient ? La peur que je ferais naître à coup sûr dans son regard. Et, vu l’heure, elle appellerait la police, je devrais en conséquence trouver des alibis foireux, expliquant ce que je foutais chez une femme seule alors que nous ne nous connaissons même pas. Le genre de scène qu’on n’a pas très envie de vivre. Moins j’attire l’attention des flics sur moi, mieux je me porte.

À travers sa fenêtre, je vois une ombre qui se déplace : Loïs a pourtant été formel, elle est seule chez elle. Il est logique de croire que ça ne peut être qu’elle. Puis la lumière s'éteint, elle disparaît.

Deux heures de marche en sens inverse pour rentrer chez moi. Loïs me confie être en train de commencer une relation avec la poissonnière - Judith, pardon. Imaginer mon bras droit avec une femme, je sais pas pourquoi mais rien que l'idée me répugne. Je l'écoute tout de même se vanter pendant quelques minutes. Ce rendez-vous ne m'intéresse absolument pas, mais j'y vois une utilité. Un employé de bonne humeur sera toujours plus performant. Je lui rappelle tout de même mes attentes…, lui conseillant au passage d'accélérer sa vitesse de croisière. Apparemment, il n’a pas été difficile pour lui de la faire succomber Judith à sa beauté, je vois absolument pas de quel charme il veut parler… mais s’il s'avère qu’il a son petit succès auprès de la gente féminine, ça peut être un atout à prendre en compte pour nos affaires.

Je descends au sous-sol, dans ma salle de sport, pour transpirer sur mes machines et, me défouler. J’ai toujours considéré les activités physiques comme mon exutoire, par conséquent, des nuits comme celle-ci, j’en ai besoin. Lorsque je suis contraint de rester assis, mes muscles me lancent des décharges électriques. Je cherche pas à savoir s’il y a une raison, c’est comme ça, et je m’en fous.

Loïs me rejoint le sourire aux lèvres, sa tête de con m’exaspère.

— Parle ! j'ordonne.

— Judith m’a confié que l’homme, -Matt, - était un ami très cher pour Kira, qu’il aurait été soi-disant là pour l’accompagner chaque matin et chaque soir à la faculté, ne la laissant jamais seule pendant des mois.

— La raison ?

— Je l’ignore, elle est restée brève sur le sujet.

Il patiente quelques secondes.

— C’est fou que j’sois obligé de te demander la suite, ça n’coule pas d’source ? je l'interroge d'un ton exacerbé.

— De ce que j’ai pigé, elle repousse les hommes.

— Le motif ?

— J'en sais rien ! Je peux pas poser toutes les questions que je veux !

— Je dois savoir pourquoi !

Ça me présage rien de bon, la vie que j'ai menée étant gamin me permet de reconnaître facilement les comportements traumatiques. Il m’est impossible d’affirmer à l’heure qu’il est que c'en est un. Mais la fuite, je connais bien.

— Jules, tu ne peux plus rester dans l'ombre, rencontre-là, il suggère.

J'ai essayé à plusieurs reprises. À chaque fois que je m'approche d'elle, j’ai les mains moites, la bouche sèche et je suis avide de l’embrasser.

— J'ai pas envie d’la niquer comme les putes à mon service. Avec elle, j'ai pas envie de ça, j'ai besoin de plus de contact, de rapprochement, tu comprends ?

Loïs me regarde avec les yeux ronds : le seul « contact » que je tolère, c’est pendant les entraînements, parce que ce dernier me fait mal et m’endurcit donc.

Je reprends :

— Elle voudra jamais d'un mec comme moi, cette femme mérite autre chose, elle a besoin d'être protégée, moi elle va juste me fuir, j'ajoute d'un ton irrité pour le sortir de son hypnose.

— Je t'ai dit de la rencontrer, pas de l'épouser.

— Ne parle pas d’noces ! Ça n'a rien à voir, à croire que tu m'écoutes pas ! Je rêve juste de lui parler, d'entendre sa voix et de la câliner !

— La câliner ? Vraiment ?

— Oui ! Vraiment ! Et je sais pas pourquoi ! Ça m'rend fou !

— Et tu crois que c'est en restant caché que tu vas concrétiser ce « rêve » ?

Je réplique pas.

— Malgré ce que tu penses de toi, tu vaux tellement plus !

Vu que je ne réponds toujours pas, il rajoute un dernier élément.

— D'après Judith, elle n'a eu qu'un seul mec dans sa vie, qui, d'ailleurs, a disparu de la circulation par enchantement.

— Disparu ? C'est-à-dire ? T'as son nom ?

Sait-on jamais, possible qu'il ait cette information. En tout cas, ça me soulage qu'il ait changé de sujet !

— Non, mais on s'en branle. Jules, crois-tu au coup de foudre ?

— Réponds d'abord à mes questions ! je rouspète pour lui rappeler qui commande.

— J'en sais rien ! J'en avais rien à foutre, il est plus là, c'est tout !

— Mouais, étrange, essaie d'avoir son nom. Bon, et tu me veux quoi avec ton coup de foudre à la con ?

— Tous les signes montrent qu'il t'a frappé.

Je fais abstraction de toutes ces conneries. Loïs se comporte parfois comme un abruti. La plupart du temps il a l'air à côté de la plaque, pourtant, c’est cette personnalité ainsi que ses propositions qui me servent et m’aiguillent d’une façon unique contrairement à tout ce que je connais. Il m'a parlé du coup de foudre, comme Rita, comme internet. Cela pourrait passer pour une énième lubie de sa part. Mais encore une fois, je dois lire entre les lignes. J'y vois une façon pour lui de me dire que cette femme est spéciale à mes yeux. L'envie de la connaître se fait de plus en plus forte. J'essaie de me concentrer pour tenter d'élaborer un plan pour la rencontrer. Il faut que ça ait l'air naturel.

Aller quelque part et… tomber sur elle par hasard.

Si durant toute ma vie je n'ai jamais ressenti de sentiments pour une femme, elle, c'est différent, je dois me rendre à l'évidence.

— Tu pourrais obtenir une info pour moi ? Genre le lieu où elle se rend souvent par exemple ? je demande en espérant obtenir une réponse positive.

— Ouais, ça je le sais déjà, elle sort au Bar sans nom. Ça y est ! T'es décidé mon pote ‽

Je soupire. Que faire ?

— Loïs, je ne peux pas débouler dans ce bar et aller la voir ?

Il sourit à ma plainte avant de reprendre.

— Ah tu n’as pas l’habitude de ça mon cher ami, en général ce sont les femmes qui tombent à tes pieds.

— N’en rajoute pas, s’teuplé…

— Il va falloir se la jouer, fine, mais tout d’abord, te sens-tu capable de te retrouver dans la même pièce qu’elle sans avoir envie d’exterminer l’homme qui l’accompagne ? Parce qu’un bain de sang au milieu d’un bar n’est pas acceptable, tu le sais.

— Bien sûr que non ! Quelle question ! j'ironise.

Il patiente, ne sachant pas si je plaisante ou non.

Mon silence est éloquent, mes yeux le fusillent. La réflexion de Loïs est tellement imbécile qu'elle ne mérite aucune réponse. Il me regarde, gêné, puis se met à rire, me dévoilant alors que ses propos n'étaient qu'une plaisanterie que je n'aurais pas comprise. Nous nous sommes eus. Je passe au-dessus de mon envie de lui tordre le cou pour m'autoriser à rire avec lui.

— Bon, OK, ne pas tuer « l’ami », et après ? j'ajoute.

— Qu’elle te voie !

— Qu’est-ce que ça va changer qu’elle me voie !

— Imagine un seul instant, si elle ressentait la même chose que toi, cette espèce de coup de foudre au premier regard.

— Et si c’est pas le cas ? Je peux me venger sur « l’ami » ? je propose, sarcastique.

— Non, on l’oublie lui, le but est qu’elle te voie, ainsi tu auras des réponses. Tu sauras si l’attirance vous touche tous les deux.

— Hm, je maugré, mécontent de son entêtement à me refuser le droit de pouvoir m’en prendre à son pote.

En plus de se sale tic de « Hm » qui me colle à la peau depuis des années.

Je monte les marches quatre par quatre pour regagner ma chambre, j’ouvre ma penderie, le choix est vite fait : toutes les chemises sont blanches et les costumes anthracites, noirs ou bleu marine. J’opte pour un bleu, file me laver en vitesse, un coup de rasoir pour égaliser ma barbe, un brossage de dents rapide, et je suis prêt.

Loïs me rejoint pendant que je bois un café. Coudes posés sur l’îlot central de la cuisine, on élabore son plan qui semble médiocre au premier abord. D’après lui, vu que c’est une femme, elle va forcément aller aux toilettes des dames : ses inepties me déconcertent. C’est alors qu’en ressortant, elle tombera miraculeusement sur moi.

— Loïs, Loïs, Loïs… j’essaie d’te faire comprendre : depuis trois mois, que cette femme m’apparaît comme une grâce, et toi, la seule chose que tu trouves à m’dire, c’est d'chuter à ses pieds d’vant les chiottes !

— Ahah.

Je lui mets sèchement une claque derrière la tête, je suis certain qu’il est en train d’imaginer la scène, je bous sur place, prêt à lui bondir dessus. Il lève la main, me coupant dans mon élan, il l’a échappé belle.

— Avoue que ça serait drôle quand même. Bon, non, d’accord. Dans ce cas, tu vas rester discret, je sais que je t’en demande beaucoup, mais pas le choix. Il le faut.

— Ça ne sert à rien de programmer à l'avance de toute façon, on pourrait imaginer des dizaines de scénarii.

— Tu sais Jules, en sortant avec Judith, je pense que je ne vais pas tarder à rencontrer Kira.

— Ne t’avise même pas une seule seconde de jouer avec moi, si pour le moment t'es sous ma protection, tu peux aussi devenir ma proie !

Il vacille, incertain. Mes paroles valent-elles la peine d’être prises au sérieux ? Après c’est à lui de choisir, mais il ne pourra pas dire qu’il n’aura pas été prévenu.

C'est le moment, je dois partir.

Il ne peut pas m’accompagner, Kira a déjà manqué de le repérer plusieurs fois et, dans un sens, tant mieux, vu les plans qu’il m’a énoncés, je me sens bien plus en sûreté d’y aller tout seul.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Bubu Kira ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0