«J'habite un cœur brisé.»

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Jules

Elle se tenait derrière moi, à quelques pas seulement. Jamais je l'avais sentie aussi proche. Si ce que j’avais ressenti la première fois était intense, ça n’avait rien de comparable avec hier. Mon corps avait été pris de tremblements, la sueur ruisselait dans mon dos et trois shots de whisky avaient pas suffi à apaiser ma soif. Mes battements de cœur étaient audibles à plusieurs mètres. Chaque seconde semblait s'étirer en minute et chaque minute en éternité.

Son regard persistant pesait sur moi, telle une armure de plomb. Bien que l'envie de me retourner et lui parler soit présente, mon corps était interdit. Eh oui, dans ma tête c'était clair : je voulais savoir si elle aurait les mêmes réactions que moi.

— Maintenant que tu as ta réponse, que comptes-tu faire ? m’interroge Loïs.

J’en sais rien, je suis partagé, pris entre deux sentiments contradictoires : d'une part, une satisfaction m'envahit, me faisant sentir moins seul et moins fou d'éprouver une telle attirance, d’autre part, le remords m'étreint. Mon intervention d'hier soir était égoïste, car si j’'étais pas intervenu, elle aurait pu continuer à mener sa vie paisible. À présent, je ressens le poids de gâcher son existence.

— Jules, tu es en train de passer à côté du bonheur de ta vie. T’es qu’un con !

La colère m’emporte, cette fois, impossible à contrôler. Mon poing vise sa mâchoire mais cette fois-ci Loïs résiste. Le combat est lancé, on règle ça comme des hommes pour dire qui a raison par la victoire. Pas de discussion qui durerait des plombes. Nos poings et nos pieds ciblent des points stratégiques grâce à la maitrise des arts martiaux. Evidemment, l’intention est pas de s’entre-tuer, juste de s’amocher.

Toutes les peines que j’ai gardées au fond de moi ressortent, tous mes doutes et mes questions ou j’ai jamais eu de réponses. Je le charge tête baissée : il recule de plusieurs pas consécutifs, mon plaquage l’expulsant contre ma T.V. Elle s’écrase au sol.

À son tour, il m'envoie valser dans une estampe d’Hokusai qui ornait un mur. Elle se brise au contact de ma tête. Je sens le sang glisser le long de ma tempe. Le colérique que je suis fulmine sur place. Je pivote et mon pied droit percute le centre de son buste, le faisant décoller pour culbuter le canapé, sonné.

D'un revers de main, j'essuie le sang qui dégouline de mon arcade à ma bouche.

Le tumulte dans le salon fait débouler Rita, la femme de maison, rapidement dans un état de panique. Ses yeux s'écarquillent : elle est probablement choquée par l'état de la pièce et peut-être aussi par le nôtre…

— Mais vous êtes complètement fous ! hurle-t-elle, ahurie.

— Il m’a cherché. je réponds en grommelant dans ma barbe.

Elle se précipite pour s'accroupir près de Loïs, prenant sa main, paniquée, et s'informe de son état.

— Et moi, on s’en branle ? moi aussi j’pisse le sang…. j’ajoute en montrant mon visage.

Elle lève les yeux au plafond, puis se recentre sur mon bras droit meurtri.

Je commence à partir vers ma chambre pour me laver.

— Jules, reste là. Je vais m’occuper de toi.

— Inutile, avec de l’eau ça ira.

Elle sprinte jusqu’à moi afin de me bloquer le passage, pleine d’assurance malgré son mètre soixante-cinq à tout péter. Un sourire malicieux apparaît sur ma gueule, pendant que je la contourne et file à l’endroit souhaité.

— Tu as peut-être besoin de points de sutures ! elle s’exclame alors que je claque la porte derrière moi.

Des points de sutures, et puis quoi encore ?

Je vais dans la salle de bains privée de ma chambre et constate les dégâts en me penchant devant le miroir.

— Hm, finalement… peut-être bien que si.

Je désinfecte avec de l'alcool, ressentant une légère sensation de picotement. J'utilise une boîte de sutures adhésives pour refermer la plaie de mon arcade droite.

— Voilà ! C’est guéri !

Ensuite, je me déshabille et me glisse sous le jet d’eau, réglant la température au plus froid. Immédiatement, ma respiration s’accélère et des frissons parcourent mon corps. C’est extra, ça libère et renforce.

Les zones les plus sensibles, comme mon visage, mon cou et mes épaules, me piquent : c'est l’effet recherché.

Après avoir enfilé un bas de jogging et m’être revigoré, je m'isole dans mon bureau car j’ai du travail qui m'attend.

À peine quelques secondes écoulées que ça frappe à la porte. Je souffle, on peut pas être cinq minutes tranquille dans cette baraque.

Rita entre après mon autorisation. Elle se dirige droit vers moi, bien que je la regarde pas. Elle se racle la gorge pour certainement m'avertir qu'elle est présente. Je lève les yeux vers elle, esquissant un sourire, fier de ma connerie.

— Mon petit, sache que la surconsommation de médicaments et les gestes violents envers ton seul ami ne pourront pas combler le vide de ton cœur, elle me résonne en posant délicatement sa main sur la mienne.

Son contact m'est désagréable, alors d'un geste lent et non agressif je retire la mienne.

En ce qui concerne Rita, je me sens pas légitime à hausser la voix, donc je m’en abstiens, même si c'est difficile. Je la respecte, c'est tout. Elle est la seule à qui je permets de me tenir tête - un peu. Lors de mon départ du Japon, c'est vers elle que je me suis tourné. Dès que j’ai frappé à sa porte, c’est à bras grands ouverts qu’elle m’a recueilli. Ayant été la femme de maison des Giovanni en Italie, du côté de ma mère, elle me connait depuis ma naissance.

Elle m’a jamais oublié, me considérant comme le fils qu'elle avait pas eu, et elle m'a comblé de tout ce qu'elle possédait.

La seule chose que j’ai refusée c’est son amour maternel. De ce que je sais, dans le passé elle aurait entretenu une relation amoureuse avec Charles. Honnêtement, j'ai pas hâte que vous le rencontriez, car cela signifierait que je suis blessé. En effet, il est le chirurgien de la famille, mais pour moi, il représente bien plus. Souvenez-vous, j’ai été diplômé d’un master, et seul ce vieux ronchon avait les fonds suffisants pour m'offrir cette opportunité, ce qu'il a fait sans hésiter. D'après Rita, mes parents et ces derniers étaient amis jusqu’au jour où tout a basculé. En tant qu’enfant, j’ai pas été inclus dans les querelles et j’ai été recueilli par eux deux, même s'ils sont plus ensemble, pour me procurer la vie qu'ils estimaient que je méritais.

— Jules, parle-moi de cette femme.

— C'est fou, mais depuis que je l'ai vue pour la première fois, je ressens une attirance quasi surnaturelle. Tout a basculé, comme si je me lançais dans quelque chose de colossal, de démesuré, et ça me plaît. Elle semble avoir le pouvoir d'aimanter tout autour d'elle. Je sais pas si c'est bon ou mauvais, mais je suis prêt à tout, même à perdre la raison, pour elle. C'est comme si rien que le fait qu’elle existe avait bouleversé mon univers de manière inimaginable.

Tu devrais vraiment te livrer à la science comme un rat de laboratoire, tu les fascinerais…

— Et tu l’aimes ?

— Je sais pas. Mais quand je me trouve loin d’elle, comme maintenant, je ressens un malaise, une faiblesse, je réponds en écrasant ma clope dans le cendrier.

Un sourire sincère se dégage des lèvres âgées, mais aimantes de Rita.

— Tout ce que je sais, c’est que je suis prêt à tout pour elle. Même si cela doit me coûter ma carrière, ma vie, voire ma santé mentale. Hier, elle se trouvait derrière moi, j’ai ressenti un picotement au bout de mes doigts. Au début, j’y ai pas prêté attention, puis ça s’est intensifié et j’ai regardé mes mains. je me confesse en baissant légèrement les yeux et la tête à la fin de ma phrase.

Je patiente quelques secondes pour observer sa réaction. Elle reste impassible, m’invitant à continuer.

— Je disais, lorsque j’ai regardé mes mains, un phénomène étrange s’est produit, j’ajoute sans grande conviction à poursuivre.

— Jules, qu'avais-tu aux mains ?

— De la poussière brillante. j’avoue.

À ce moment-là, je savais qu’on me considérait déjà comme un malade. Cette fois, ce sera plus simplement une impression.

— Ah oui ?

Je relève les yeux vers elle, son regard est dénué d'accusation, elle attend la suite.

— Rita, les verres de whisky devaient pas contenir que de l’alcool.

Elle sourit et demande :

— Et donc, cette poussière, tu sais d’où elle venait ?

— Non, absolument pas, mais je sais que ça vient de Kira. C’est obligé, y a aucune autre explication.

— D’accord.

— D’accord ? je répète étonné.

Comment elle peut uniquement me répondre d’accord ? Ça a pas de sens, je lui dis qu’il se passe des choses inexplicables et impossibles, et elle est « d’accord ».

— Rita ! je râle, bien trop offusqué.

— Tu sais, Jules, j’ai toujours cru en l'existence de phénomènes mystiques, ça ne fait pas de moi une folle. Si ?

— Non ! Bien sûr que non ! Cette lueur était argentée. je révèle, car maintenant j’ai confiance vu sa confidence quelques paroles avant, elle me croit, j’en suis certain.

— Quand j’me suis écarté de Kira, bah … la poussière est partie. C’est pour cela que j’affirme que c’est lié à elle.

— Et… qu’est-ce qui t’empêche de t’approcher d’elle ?

— Tout, Rita. Je suis sur les traces de cette femme depuis plusieurs mois. Nous avons littéralement rien en commun. Elle est posée, intelligente, douce et pleine d’empathie, contrairement à moi qui…

— Je me demande quand tu vas enfin commencer à croire en toi ? elle m’interrompt dans un soupir d’exaspération

— T’as oublié qui j’suis ? Un criminel ? Un putain de mafieux ? je hurle, car pour moi c'est une évidence, et si tel est le cas, elle n'a pas besoin d'être stipulée.

— Tu exécutes simplement les ordres.

— Et je couvre qui j’suis en étant patron d’une entreprise de logiciels !

— Rencontre cette femme, Jules. Peu importe combien tu essaies de fuir, tout te ramène à elle. Et ce signe qui est né au bout de tes doigts, tu comptes aussi le mettre de côté ? Ton cœur souffre…

— Pour ça il faudrait déjà qu’il m’en reste un.

— Je suis sûre que oui.

— Non Rita, j’ai été détruit, j'habite un cœur brisé.

— Ton passé a façonné l'homme que tu es devenu. Si j'arrive à voir les bons côtés en toi, pourquoi Kira n’y arriverait pas ?

— Le jour où elle apprendra la vérité sur moi, je crains de la perdre à jamais.

Rita secoue la tête en signe de désaccord. Elle fait partie de mes proches qui, dans des moments spéciaux comme celui-ci, savent me faire repenser les choses, les remettre en perspective. Grâce à elle, j’arrive à me remettre en question et je réalise que je passe à côté de nombreux aspects de ma personnalité face à la situation actuelle.

Je ne me connais pas

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