« Elle semble être tout aussi surprise que moi, de me trouver là, à ses pieds. » -13
Jules
— T’es vraiment fourbe, j’y crois pas, déclare Loïs lorsque je lui dit que j'avais fait exprès d'oublier ma veste sur ses épaules pour être certain de la revoir.
— C’est pas d’être fourbe, c’est d’être rusé ! Nuance !
— Non, alors, comment elle est ?
— Elle est magnifique, timide, mais elle a du cran, attends, elle est venue à ma société m’rapporter ma veste.
— Tu vois… c'était pas si compliqué que ça…
— Loïs, je sais pas c’que t'as branlé mais elle a dû t’voir, et plusieurs fois car elle se sentait suivie.
— Ouais, bon, OK, j’ai p’t’être eu quelques loupés…
— Hm
— Tu m’en dis pas plus ‽
— Ça va pas non !
— T’es vraiment pas drôle !
— Ahah, amuses-toi bien avec Judith.
— Non mais je m’en fou de Judith ! C’est pour toi que je fais ça ! Et maintenant que tu t’es rapproché d’elle, je ne peux même pas savoir la suite ? Alors que j’ai tout fait ?
Mais qu’est-ce qu’il raconte… à part se faire remarquer par Kira, c’est bien tout ce qu’il a fait.
— T’as fait quoi au juste ?
— Lui mettre le doute, sans lui faire peur.
— Parfait ! T’es un bon bras droit ! Allez ! Casse-toi maintenant !
Je tourne les talons, je n’assouvirais pas sa curiosité.
— Tu vois, c’est juste une nana comme les autres, gueule-t-il pour être certain que j’ai bien entendu.
Beaucoup trop entendu même. Il vient de dire la phrase de trop. Kira n’est pas qu’une nana, elle est ma joie, la seule petite douceur qui arrive à faire du bien à mon cœur.
Je me retourne et je lui fonce dessus, je le plaque au mur, je veux qu’il regrette ce qu’il vient de dire, qu’il s’excuse !
— Aïe ! Tu me fais mal ! Lâche-moi !
— Je t’interdis de parler mal d’elle, ou c’est de ta vie que tu le payeras ! je vocifère ma menace tout en coinçant son cou à l’aide de mon avant-bras.
— Jules… lâche-le… dit Rita qui vient en courant, sûrement avertie par le tapage de notre affront.
Je le lâche, même si ça me coûte beaucoup, j'ai envie de lui cracher à la gueule. Mais non, c'est un terrible affront, c'est ce que je fais à mes ennemis, une fois que j'ai posé la main dessus, ou mon flingue ou encore mon tranchant.
Dommage, je me serais bien vengé sur lui du manque que je ressens de Kira. Ça sera pour une autre fois.
Loïs remet son t-shirt en place en tirant dessus, mais je ne suis pas entièrement satisfait, au moment qu’il passe devant moi, je lui mets une frappe derrière la tête.
— Hé !
— Arrête de gémir pour rien ! J'tai pas touché !
Loïs s’en va et me laisse avec Rita.
— Rita, j’ai rencontré Kira, tout c'que j't’ai dit sur elle est faux, j'me suis planté, elle est mille fois mieux que tout c'que j’ai pu imaginer, je prononce à toute vitesse.
Je lui fais une description de A à Z, je lui confie tout ce que je sais sur elle, en partant de son physique à son esprit. Elle m’écoute en souriant et moi je débite.
— Jules, tu es tout simplement sous son charme.
Peut-être, j’en sais rien, c’est la première fois que ça m’arrive, j’ai pas de comparatif.
— Rita, si j'te dis que j’peux plus bander devant une femme, tu m'crois ?
Elle déglutit, je l’ai entendu d’ici, j’ai peut-être été un peu trop direct dans ma demande.
— Tu n’as plus d’érections ? elle reformule peut-être pour être sûre.
— Non ! Enfin si ! Mais plus pour une femme quelconque.
Elle éclate de rire, son visage s’illumine.
— Rita… j'insiste d’une voix rauque pour accentuer ma contrariété.
— Ahah, non mais ça c’est la meilleure, ben écoutes, plus de femmes à la pelle ?
— Hm, l’autre soir, impossible.
— Oui, j’ai compris, c’est pour cette raison que je suis contente, ton esprit et ton corps ne sont plus en harmonie, il va falloir que tu rectifies tout ça.
— Avec Kira…elle monte.
— Ne me dis pas que tu as déjà posé tes pattes sur elle !
— Bien sûr que non ! Mais quand elle a enlevé ma veste à la pizzeria, mon esprit m’a donné la suite et ça s’est durci dans mon boxer, j'ajoute rien que pour me rassurer moi-même.
— Ton corps en appelle à elle, pour moi, ça n’a rien d’anormal.
— Conclusion, si j’peux pas l’avoir, j’peux plus baiser.
Me voilà bien… moi qui ai pour habitude de les collectionner.
— Tu t’en remettras, ce n’est pas si tragique.
Pas si, pas si… quand même…
Elle décide de me rapporter un café et de quoi me restaurer. Notre conversation s’éternise dans la matinée autour de Kira, et plusieurs fois, elle m’a surpris en train de rêver éveillé à propos d’elle.
C'est l'après-midi, je suis au boulot, les nouvelles idées ne cessent de naître et il est dans mon devoir de les approuver ou non.
Étrange, mes deux collègues parlent un peu plus loin, et moi je fixe le siège d'en face, là où était assise Kira, son corps n'y est plus, mais c'est comme si elle y avait laissé son aura. Je ressens encore sa présence.
Je suis un poil plus concentré au travail maintenant que je la connais, enfin, je dissocie un peu moins.
Je me demande comment elle a comblé son après-midi, ce qu’elle avait pu faire, tout en espérant qu’elle revienne. Déçu, car ce ne fut le cas.
« T'es pas le centre de sa vie… »
Ça fait mal, car elle est le mien et c'est ce que je désire le plus.
Je ravale mes souffrances, la réalité fait toujours mal, toujours… et ça, je sais le faire et en silence.
Loïs vient de me rejoindre, on vient de recevoir le même message, c'est pour un nouveau contrat. J'arrête la tâche de l'entreprise, sortir d'ici va me faire du bien.
On a une semaine, mais une nouvelle tête doit tomber.
Alors qu'on est en bagnole pour commencer à enquêter sur la prochaine victime, je laisse mon esprit se divertir.
Je regrette déjà de pas avoir suivi mon intuition lorsqu’elle m’a dit de mettre mon numéro de portable personnel dans ma veste afin qu’elle l’ait envers elle. Mais la conscience est venue se mêler de cette affaire, me dictant que ça se faisait pas, que les femmes aiment pas les mecs harceleurs. Même si j'ai essayé de la convaincre que je harcelais personne, elle a fini par me vaincre en me disant : et si elle t'appelle jamais ? Cette putain de vérité, t'as les capacités de l'accepter?
J'ai cédé.
— Sinon je peux fouiller le téléphone de Judith pour obtenir celui de Kira.
— J'te l'interdit.
Je veux qu'on échange nos coordonnés par consentement, j'en ai assez fait derrière son dos, je le veux plus.
OK, ça m'a permis de tenir trois mois, mais aujourd'hui c'est insuffisant, et dorénavant, je suis bien décidé à la courtiser.
Je dois déjà comprendre pourquoi mon corps ne veut qu'elle, pourquoi elle me fascine tant, pourquoi mes doigts se mettent à briller lorsqu'elle est proche de moi au début et qu'ensuite ça s'arrête.
Et toutes ses réponses, il n'y a qu'elle qui peut m'aider à les obtenir.
Après quelques heures de vadrouille qui n’ont conduit à aucune piste par mon absence totale d’intérêt pour cette affaire. Loïs a décidé de rentrer. De mon côté, je me rends en bas de chez Kira. Je ne suis pas là pour la surveiller mais pour assouvir un besoin de proximité. C'est comme une jauge de satisfaction, proche, elle augmente, mais après plusieurs heures loin d'elle, elle se vide. Et bien évidemment, j'en ressens les symptômes, j'ai plus d'énergie, je réfléchis moins vite et moins bien.
Le rideau de sa fenêtre s’écarte, pour la première fois elle se montre, et regarde dans ma direction, ma voiture est en plein dans son champ de vision, elle sourit. C'est pour moi ?
Pas rassuré, je regarde dans les rétroviseurs de ma bagnole, mon cœur saute dans ma poitrine lorsque je remarque qu'il n'y a personne et que sa joie m'est destinée. Elle lève la tête vers le ciel, je me penche et je suis son regard, la Lune étincelle. Elle reste là, fixée à la contempler alors j'en fais de même en me demandant ce qu'elle lui trouve, pourquoi elle la fascine tant.
Un certain temps passe, sans que j'arrive à le définir car lorsque je la vois, il ne s'écoule pas de la même manière. Elle me fait un petit signe de la main pour me dire au revoir. Je lève la mienne en retour et elle me sourit de toute sa bouche. Son rideau retombe devant sa fenêtre et laisse apparaître sa silhouette jusqu'à disparaître.
Je rentre chez moi à la fois le cœur lourd et plus léger. Elle me manque déjà, mais la fatigue m’empêche d’opérer un demi-tour. Elle pense à moi, j’en suis convaincu, ses gestes m’étaient adressés, dans ce cas, pourquoi n’est-elle pas descendue ? A-t-elle peur ? Mais de quoi ? Qu’est-ce qu’elle ne me dit pas ?
J’ai mis du temps à trouver le sommeil à cause de repenser à tout ce qui se passe. Seul, dans ma chambre, vide de sens, et Elle.
Alors qu’hier soir lorsque je suis rentré j’ai oublié de fermer les volets de la baie vitrée. Le soleil frappe dessus et me réveille.
Je grogne d’amertume, pour une fois que je pouvais profiter d’une matinée, encore quelque chose pour me faire chier. Inutile que je reste au lit, une fois les yeux ouverts je ne suis plus capable de me rendormir. Je vais dans la cuisine, Rita sait que je ne suis pas bavard avant mon troisième café, elle m’ignore, ce qui est parfait. Elle pose deux donuts dans une assiette devant moi, je la regarde et je la pousse.
— Trop gras, trop sucré.
— Jules, tu dois manger, tu as besoin d’énergie.
— J’ai bu mon café, je réplique en souriant.
— Ce n’est pas consistant, allez, mange.
Je me lève, j'en veux pas de ses trucs, j'ai pas faim.
Elle soupire, ne supporte pas que je refuse sa bouffe.
J’enfile un short de sport et je descends dans ma salle privée pour m’entraîner. C’est ici que je relâche toute la pression, sur mes machines de musculation. Forcer, transpirer et essayer d’oublier. Dès que j’ai un moment, je me rends dans mon refuge, parfois, Loïs m’accompagne ou je l’entraîne au karaté, l’art martial ou j’ai été formé de mes trois ans à mes seize ans. Mais je n’ai jamais arrêté, sauf que je refuse d’avoir un maître de combat, je le fais seul, avec mes compétences. J’ai besoin de personne pour évoluer, les bases que l’on m’a données, même de force sont toujours là.
Je ne vois pas le temps passer, c’est Loïs qui descend m’informer que l’on va être à la bourre. Je cours à la douche qui se trouve derrière une cloison séparant ma salle de sport et mon tatami. Elle sera rapide, même pas le temps de me sécher les cheveux, je les secoue dans tous les sens pour faire tomber l’eau. Je remercie mes origines japonaises qui font que j’ai les cheveux raides. À l’arrière, ils sont rasés, à l’avant une mèche traverse une partie de mon front. Je passe devant Loïs en courant en boxer pour aller sauter rapidement dans un costume, ton bleu marine.
On monte dans ma voiture pour rejoindre mon quartier général.
— Putain ! Mais je crève de chaud ! il râle en ouvrant la fenêtre que je referme aussitôt en démarrant la climatisation.
— Non mais tu remarqueras qu’il se passe de plus en plus de phénomènes étranges…
Il faut savoir que les choses qui me paraissent évidentes ont besoin d’être exprimées et encore moins polémiquées, dès lors, j’hésite entre ouvrir sa portière et l’éjecter où lui couper définitivement la langue pour en être débarrassé.
— J'ai pas l'temps de devenir climatologue, ni astrophysicien, je lui soutire avant qu'il ne sorte d'autres absurdités.
Je me gare dans le parking souterrain, il monte avec moi dans mon bureau, je m’attèle à mes différentes élaborations en matières environnementales. Dans ma boîte mail, j’ai reçu un document pour améliorer la précision des relevés météorologiques.
— Tu penses qu’il sera prêt pour la semaine prochaine ? demande Loïs.
Je prends pas le temps de lui répondre, comment peut-il encore après tant d’années poser des questions aussi cons ! Évidemment que non !
Je l’envoie me chercher un café, il marmonne dans sa barbe mal rasée, frustré que je le rabaisse au simple rôle de secrétaire comme il dit. Il peut déchanter, pour rien au monde je remplacerai Marie, c’est l’une de mes meilleurs employés, sans elle, toute la partie administrative tomberait en ruine. Elle gère les rendez-vous, les réceptions de commandes, les envois et le capital social de l’entreprise. Loïs, quant à lui, sert à me distraire. Ce qui est déjà pas mal, je suis pas facile à vivre.
Il revient avec deux cafés en main, les dépose près de moi, et s’assied.
Je lève la tête vers lui.
— Tu peux m'dire c’que t'attends ?
— Ce que je dois faire, c’est bien toi le chef après tout.
Je roule des yeux vers le plafond, il a des milliers de choses à faire comme s’occuper de contacter les clients et les fournisseurs, recevoir l’accord des autorités si le prototype du logiciel peut être lancé sur le marché. Je rêve.
— Magne-toi l’cul, Loïs ! je maugrée pour lui montrer que je commence à perdre patience.
Il décide enfin de se mettre au boulot.
— C’est quand même dingue que j'sois dans l’obligation de t’rappeler sans cesse les choses, que t’sois encore en vie aujourd’hui est vraiment un signe que même la mort n’veut pas d'toi !
Il sourit à ma réplique. Je replonge sur mon pc. Trois secondes après j’entends son siège rouler. Qu’est-ce qu’il a encore…
Il vient récupérer son café qu’il avait laissé près du mien. J’ai envie de lui envoyer en pleine gueule, mais j'en fais rien, la suite serait pire, ça salirait le sol et possiblement les vitres.
Après plusieurs heures de dur labeur, ça faisait longtemps que j’avais pas été si concentré.
J’interpelle Loïs.
— J'te préviens que si Kira vient, t’as quelques secondes pour dégager de mon bureau, est-ce clair ?
Il hoche la tête, avant de reprendre.
— Ah oui, j’avais oublié qu’elle est venue ici. C’est prévu qu’elle revienne ?
— C’est moi qui pose les questions ! je râle pour encore lui rappeler les bonnes conduites.
La faim se fait sentir, j'ai rien avalé de la journée. Je pourrais demander à mon coéquipier de m’accompagner, mais ce n'est pas avec lui que je veux partager ce temps de pause. Si seulement j’avais son numéro, un simple petit message pour lui demander si elle serait disponible. Je peux pas, ça m’attriste et mon regard se perd sur la photo d’elle sur mon écran.
— Au lieu de faire une mine d’enterrement, rends-toi au pied de son immeuble, attend qu’elle te voit, et demande-lui de descendre ? il formule fier de lui tout sourire.
Il a peut-être pas tort, il y a qu’elle qui puisse me dire si elle veut partager un peu de temps avec moi.
Je prends une feuille, et je lui écris quelques mots. Le plus simplement possible je lui demande si ce soir elle souhaiterait partager la soirée avec moi. Je quitte mon poste pour aller lui porter, boîte aux lettres ou sous sa porte ? J’en sais rien, j'ai jamais fait ça de ma vie.
J’arrive essoufflé en bas de son immeuble, coup de chance, la dame âgée de l’autre fois en sort. J’attrape la porte. Elle se retourne vers moi.
— Bonjour jeune homme.
— Bonjour madame.
Elle me contemple de haut en bas sans un mot le temps d’un instant.
— Vous venez rendre visite à quelqu’un ? demande l’intéressée.
Je sais à quel point les personnes d’un certain âge peuvent s’ennuyer et que la moindre petite chose peut tout de suite devenir attrayante.
— Tout à fait.
— Et qui est l’heureuse élue ? Je connais tout l’immeuble.
Bien décidé à rendre service à cette petite dame, je lui réponds.
— Kira.
— Melle Miller en a de la chance, mon Robert n’était pas si charmant, même en étant jeune.
J’affiche un sourire, mon ego flatté me remet d’aplomb, je monte les marches quatre par quatre pour rejoindre le troisième étage le plus vite possible.
Arrivé sur son palier, je m’accroupis et je fais glisser le petit mot plié sous sa porte. Soudain, elle s’ouvre. Je sursaute, puis je relève la tête lentement vers elle. Subjugué par sa beauté, la bouche m’en tombe et mes yeux la contemplent avec admiration. Elle semble être tout aussi surprise que moi, de me trouver là, à ses pieds.
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