Le trajet d’Iris, Samuel et Peter était similaire à celui de Sandra et Lilian à quelques détails près : celui du binôme durait plus longtemps que celui du trio. Les deux surdoués devaient traverser tout le pays à partir de la surface sud que les classes moyenne et pauvre occupaient puis ils traversait la partie nord, celle des riches jusqu’au littoral nord pour embarquer dans un bateau clandestin menant en Thuath. Les navigations n’étaient pas très bien surveillées dans les clans, à croire que les dirigeants demeuraient aveugles. Pour finir, ils devaient traverser l’océan du grand froid qui séparait avec l’océan des Traitres, Thuath de tous les autres clans. Le trio, quant à eux, restait dans la partie sud. Ils roulèrent jusqu’au littoral pour embarquer dans un bateau qui traverserait l’océan de la Passière, les menant jusqu’en Dheas. De là, chacun des groupes rejoindrait le QG de l’association qui s’était installé à l’étranger. Étrangement, cela ne leur faisait pas si peur que cela d’aller à l’étranger, en territoire ennemi pour Sandra et Lilian, dans un pays allié pour Iris, Samuel et Peter.

Les trois adolescents se retrouvèrent à l’arrière d’une voiture conduite par un agent de l’association prénommé Loan. Loan avait presque le même âge que Marin, il était plus vieux d’un an. Ses cheveux bruns se décoiffaient sans cesse et il semblait être quelqu’un de très calme et posé. La surdouée aux cheveux auburn regarda le paysage défiler, la tête appuyée sur la vitre, maussade. Pour elle, le paysage n’avait rien de très beau même s’il faisait légèrement exotique. Néanmoins, c’était Dheas le pays le plus tropical. Elle partait dans sa direction. Le visage de Marin apparaissait dès qu’elle fermait les yeux. La jeune fille ne pouvait pas s’empêcher de penser à son ami qui se retrouvait emprisonné, puis, elle sentait la colère monter à nouveau. Pourquoi Mme. Keys ne voulait pas le libérer immédiatement ? Iris soupira alors que la réponse venait d’ambler : ils ne savaient pas où était la prison, ni où se trouvaient les conseillers. Étaient-ils au moins en Opartisk ? Marin avait peut-être vu Kendra et Maryline. Peut-être même que Kilian et Cassandra étaient passés le voir. Non… Il ne fallait pas rêver, de toute manière, Iris ne le lui souhaitait pas. Ses anciens meilleurs amis demeuraient des traîtres et rien d’autre. Dans quel état étaient Maryline et Kendra ? Iris redoutait tellement la réponse qu’elle préférait ne pas y penser. La surdouée tourna la tête pour regarder ses deux camarades de missions. Peter était en train de dormir, la tête appuyée contre la fenêtre, et un filet de bave naissant au coin droit de sa bouche. Ensuite, elle fixa Samuel, assis au milieu. Elle contempla les beaux yeux bleus du garçon en train de lire. Samuel semblait happé par sa lecture, pourtant, il releva la tête et sourit à son amie. Iris lui sourit en rougissant, elle le savait car ses joues lui brûlaient soudainement le visage. Sa main allait s’abattre pour se mettre une gifle à elle-même, sauf qu’elle ne voulait pas paraître masochiste. Elle se contenta de s’appuyer sur la vitre avec son dos.

— Normalement… Tu dors en voiture ?

Samuel tourna la tête vers son meilleur ami et essuya le filet de bave qui coulait doucement vers le menton de Peter. Ce dernier était profondément endormi, il ne bougeait même pas, seulement sa cage thoracique se soulevait au rythme de sa respiration. Une mèche de cheveux lui tombait devant l’œil droit et ses poings restaient durement fermés sur la ceinture de sécurité.

— Non, pas moi. C’est juste que Peter a le mal des transports. Les longs trajets en voitures ou autres le font vomir. C’est pour cela qu’il dort en voiture. Mais le pauvre… Je pense qu’il ne sera pas assez fatigué pour roupiller lorsque l’on prendra le bateau. On devrait prévoir une bassine.

— C’est terrible le mal du transport. C’est tous les longs trajets dans n’importe quel moyen de transport ?

— À pied, à vélo et tout truc comme cela, ça va. Le train aussi. Mais bateau, avion, voiture, bus. C’est une véritable catastrophe. Je me rappelle qu’une fois, on partait en voyage scolaire, et il avait vomi sur moi. Il avait vomi partout en sortant du bus. Tout le monde se moquait de lui. On n’avait pas vraiment d’amis à part nous deux avant.

— Oui, je vois… À part Marin, Kilian et Cassandra, je n’avais pas vraiment beaucoup d’amis avant. Il y avait Fred aussi, mais c’est une histoire très ancienne. De plus, on n’était pas vraiment très proche. C’était plus l’ami de Cassandra et Kilian. Au fil du temps, surtout de Kilian. Ils étaient toujours fourrés ensemble, quand Fred était présent dans le groupe, ni moi ni Cassandra n’avons été seules avec chacun d’entre eux. Quand on s’est éloigné de lui, tout a changé.

— Arrête de te tuer à penser à Kilian. Tu sais parfaitement que cela te rendra malheureuse. Alors pourquoi continuer ? Qu’est-ce qu’il s’est passé pour que vous ne traîniez plus avec ce fameux Fred ?

— Il a pris le mauvais chemin. Cette fois-là, Kilian ne l’a pas suivi. Mais j’ai toujours remarqué qu’il avait regretté son choix. Fred comptait vraiment beaucoup pour lui. Et avant… Je n’arrivais pas à le comprendre. Cela me fait mal, de me dire que je n’ai rien pu tenter pour sauver mon amitié avec Kilian et Cassandra. Et, même si c’est peu probable, j’ai l’impression que Fred me remplace en ce moment.

Samuel soupira, et dévoila, un petit sourire en coin qui aurait fait craquer n’importe quelle fille. Il ferma son livre et lui prit la main et la regarda dans les yeux.

— Iris, écoute-moi bien. Quand tu auras vraiment compris ce que je vais te dire, je t’assure que tout ira mieux pour toi. Bon, d’accord pas tout… Mais cela pourrait t’aider à avancer sur certaines choses. Personne ne remplace personne dans le cœur des gens. Une nouvelle personne peut prendre une place dans ton cœur comme certains en ont une bien particulière, mais la personne que tu as perdue à toujours cette place dans ton cœur. Une personne ne prend pas la place de quelqu’un, elle en a une propre et le quelqu’un, qu’il soit éloigné ou mort aura toujours sa place dans ton cœur même si les sentiments envers lui peuvent changer. Bien évidement, au fil du temps, la place rétrécit jusqu’à se dissoudre. C’est une partie des sentiments humains, tu ne peux rien y faire, moi non plus, nous sommes tous pareils.

— Je… Comment fais-tu pour toujours penser et agir bien ? sonda Iris en évitant son regard.

Il lui serra un peu plus la main et la jeune fille en déduit qu’il venait de sourire tout en baissant la tête et les yeux.

— Je ne pense pas faire toujours les bons choix. On ne sait que lorsque l’on voit les conséquences de nos choix. Le truc, c’est que j’essaye juste d’être honnête avec moi-même, et de penser aux personnes que j’aime. De toute façon, peu de personnes se questionnent sur leur choix, on prend tous en compte des choses différentes à des degrés différents. C’est la vie, c’est humain. C’est comme cela.

Il lâcha sa main et se pencha en avant pour pouvoir regarder le paysage. Iris le fixa intensément en s’appuyant sur le dossier. La jeune fille se demandait si elle avait vraiment envie de découvrir la Dheas. Peu de gens partaient à l’étranger. Il s’agissait des clandestins qui cherchaient à ne pas trop se faire repérer. La plupart était des personnes ruinées essayant de se reconstruire une vie. Ils avaient de la chance, car l’avantage, était que tous les pays parlaient la même langue. Tout cela grâce à une seule chose : le passé il y a très longtemps de cela. Avant, les continents étaient tous reliés les uns aux autres avant que le continent de la Siar et de Dheas divergent ainsi que celui de la Thuath. Il y a fort longtemps, tous les pays se trouvaient sur un seul et même continent, être sur le même continent sans parler la même langue alors qu’à cette époque, tout le monde était mélangé aurait été très compliqué. Même lorsque des plaques se sont mises à diverger, le langage est resté le même. Les migrants devaient sûrement avoir plus de facilité pour se cacher. Prenaient-ils une nouvelle identité lorsqu’ils arrivaient dans le pays étranger ? Sans doute. Mais comment faisaient-ils pour ne pas se faire repérer ? Chaque individu était reconnu à la naissance dans chaque pays. La surdouée trouvait cela surprenant qu’aucun hors-la-loi ne fut découvert. La jeune fille supposait que même la population de pays alliés ne soit pas encore autorisée à se rendre dans l’autre. Sinon, leur embarcation pour la Dheas ne se déroulerait pas aussi discrètement et précautionneusement. Bon… Peut-être aussi que cela n’aurait pas été malin de prendre l’avion alors qu’elle et Samuel étaient recherchés dans l’Opartisk tout entier ainsi qu’en Kuyinto puisque c’était un pays allié mais surtout voisin. Le trajet dura un moment et Iris repartit dans ses réflexions.

Le freinage fut si violent qu’il projeta les trois adolescents en avant. Peter et Iris contre les sièges, réveillant par l’occasion le jeune homme, qui avait dormi à poings fermés pendant tout le long du voyage. Samuel eut un peu plus de chance et réussit à empoigner les sièges des deux côtés pour que sa tête ne heurte pas quelque chose de plus dur : le petit coffre séparant les deux sièges avant. Il souffla un bon coup avant de tourner la tête pour observer ses amis qui massaient leur tête.

— Vous n’avez pas trop mal ? s’enquit le beau brun en détachant sa ceinture de sécurité, prêt à sortir du véhicule.

— Ça peut aller, on va dire… répliqua Iris en ouvrant la portière, bien dormi Peter ?

Pour toute réponse, Iris reçut un grognement rauque qui fit rire Samuel. Loan prit un petit sac qui reposait dans le petit boîtier dans la voiture et le fourra dans une longue et large poche de manteau où il y avait un tas d’objets différents. Pendant ce temps-là, les trois adolescents en mission, sortirent de la voiture. Peter resta un moment sur la banquette arrière, encore endormi, mais sortit par Samuel qui le tira par une de ses jambes, hors de la voiture, le forçant à rencontre le froid qui l’aida à ouvrir les yeux. Une bourrasque se leva et souffla très fort. Iris fixa l’océan au loin. Les vagues bleues, agitées, reflétaient les quelques rayons de soleil. Iris n’avait jamais vu l’océan auparavant. Elle savait qu’il en existait plusieurs, mais elle ne partait jamais en vacances. Kilian non plus d’ailleurs, lors des vacances d’été, ils restaient souvent tous les deux alors que Cassandra et Marin partaient loin de leur ville. Iris ferma les yeux et respira à fond pour capter les caresses du vent contre son visage pour ne pas penser aux souvenirs de vacances d’elle et Kilian. Peut-être devait-elle se concentrer et écouter ce que lui avait dit Samuel ? La jeune fille à la chevelure auburn y repensait sans arrêt. Lorsqu’elle rouvrit les yeux, son regard se posa sur le bateau tout près, qui semblait sur le point d’embarquer. Elle les referma lorsqu’elle reçut des grains de sable en pleine tête, cela lui rappela irrémédiablement le désert.

— C’est quoi ce regard ? questionna Peter en enfilant le manteau que son meilleur ami lui tendait. Tu n’as jamais vu la mer de ta vie, ou quoi ?

— Ma famille n’a pas vraiment les moyens de partir en vacances. Du coup, je ne suis jamais partie de ma ville, je n’ai jamais vu la mer ni l’Opartisk tout entier.

— Personne ne peut voir l’Opartisk tout entière mise à part les conseillers, fit remarquer Samuel se tenant juste derrière son amie, si bien qu’elle sentait son souffle sur son cou, à moins que ce soit le vent. Les riches ne vont pas dans notre partie, et nous ne pouvons pas nous approcher de la zone des riches.

— Sam… Je n’ai jamais eu de super bon repère géographique, mais j’ai l’impression d’être de retour chez nous, confessa Peter en ouvrant ses bras.

— Je l’avais remarqué que la géographie n’était pas vraiment ton fort. Tu serais capable de placer l’Opartisk à la place de la Thuath. Mais oui, tu as raison. Je me souviens de ce port. On n’est pas très loin de notre village, déclara Samuel en avançant de quelque pas.

Le jeune homme se retourna. Iris voyait dans ses beaux yeux bleus son envie d’y retourner pour revoir ses parents qu’il n’avait pas vus depuis un moment déjà. Sauf que cela n’allait pas être possible. Samuel le savait pertinemment. Leur mission était déjà d’arriver en Dheas en un seul morceau. La suite de la mission leur sera expliquée ensuite, quand ils seront installés dans les locaux de l’association et qu’ils auront fait connaissance avec Marianne, que Peter semblait déjà très bien connaître.

— Vous habitez près de la mer ? s’étonna la surdouée.

— Ouais, fit Samuel avec un petit sourire. Dans un village au bord de la mer, avec une plage. C’est un peu un trou paumé je dois dire, et c’est assez petit. Mais c’est comme cela qu’on l’aime. Je ne suis pas venu souvent ici, personne n’y vient souvent, mais si je me rappelle bien, notre village est plus au nord.

Iris fut ravie d’en apprendre un peu plus sur Samuel. En vérité, il avait beau être son ami le plus proche, elle ne savait pas grand-chose de son passé, et vice-versa. Samuel restait tout de même assez pudique, Iris ne s’en vexait pas. Ce n’était pas comme s’ils se connaissaient depuis toujours ou un an. Si ses souvenirs restaient assez bons, cela devait faire plus de trois-quatre mois. En l’espace de quelques mois, Samuel avait réussi à se faire une place dans son cœur et était devenu un de ses confidents et de ses plus grands amis. Le jeune homme était digne de confiance, il fallait être aveugle pour ne pas le remarquer. Loan leur fit signe de les suivre.

— Nous allons embarquer dans ce bateau que vous voyez. Les bateaux ne servent que pour les échanges, mais le capitaine de celui-ci aide les clandestins à passer d’un pays à un autre, il fait partie des réseaux de passages secrets. C’est grâce à eux que l’on a pu construire nos quartiers généraux à l’étranger, expliqua Loan en s’éloignant vers le navire. C’est pour cela qu’en contrepartie, on leur dit tout, et on leur transmet des nouvelles informations que l’on pourrait découvrir entre-temps. Quelquefois, certains débarquent parce qu’ils veulent aider l’association dans leur mission, certaines personnes font les entremetteurs entre les chefs des réseaux de transports clandestins et l’association pour une meilleure entente. C’est un organisme à part entière.

Les trois adolescents se lancèrent des regards interrogateurs avant de rattraper leur guide.

— Mais… Les gens qui embarqueront ne risquent pas de lancer l’alerte ? Et en Dheas ? C’est un pays allié. Il n’y a vraiment aucun risque que les conseillers aient prévenu l’État Dheasiens ? se renseigna Samuel.

— L’avantage avec les conseillers, c’est qu’ils ferment les yeux sur tout ce qui les dérange le plus. Bien évidemment, certaines choses sont trop importantes ou dérangeantes pour pouvoir être mises aux oubliettes. Ils ne savent pas qu’il y a des transports clandestins, ou alors, s’ils en ont connaissance, ils n’ont encore rien fait pour leur nuire, rétorqua Loan en sortant une cigarette qu’il alluma avec un briquet.