Chapitre 18 :
Le quatuor finit par atteindre le port. Iris se sentait légère de partir sans aucun bagage, déjà qu’elle n’avait pas l’habitude de changer d’endroit hormis ces derniers temps, l’idée de changer de pays sans valises la perturbait quelque peu. Mais elle ne devait pas s’en faire pour cela. Il y aurait tout ce qu’il fallait dans le QG de l’association en Dheas. Arrivé sur le bateau, un homme dans la cinquantaine assez corpulent à la barbe blanche lui arrivant à la poitrine et aux cheveux noirs les accueillit. Un autre homme aux cheveux blonds courts et foncés, beaucoup plus jeune que le capitaine, environ la vingtaine, l’accompagnait, une carte du monde entre les mains, la fixant s’en lever sa tête lorsque la petite bande arriva. Loan serra la main du capitaine avant de s’appuyer contre la rambarde. Ce dernier adressa un signe de la main comme salutation aux trois adolescents. Le blondinet replia la carte et souffla un rapide bonjour avant de se tourner vers l’océan en plissant les yeux.
— J’ose espérer que le trajet ne sera pas trop compliqué, l’océan semble très agité en ce moment. On est de retour pour la Dheas, n’est-ce pas ? s’esclaffa le vingtenaire en pivotant à nouveau.
— Je sais David. Ne t’inquiète pas, je te promets qu’un jour on arrive à faire une halte en Siar, et dans ce cas-là, on fera le tour du monde mon grand ! s’encouragea le matelot.
Rien que d’en parler, le capitaine en avait les yeux qui pétillaient. Le jeune partageait le rêve du plus vieux, il avait le goût du voyage dans son regard. Il esquissa un sourire. Malgré son caractère aventureux et voyageur, il n’avait pas vraiment l’air convaincu par les propos de son supérieur. Une chose était certaine, ils aimaient naviguer.
— Tu dis cela à chaque fois. Pour le moment, ce n’est jamais arrivé. On n’a jamais eu de permission pour faire croire à une pause de plusieurs mois en Dheas pour pouvoir le faire notre tour du monde sur l’océan. Sauf que j’avoue… J’aimerais bien que cela se réalise un jour. Papa m’avait habitué à ses voyages en bateau. Il paraît qu’il y a des petites îles dans l’océan des Traîtres. Je rêverai de les découvrir et d’y mettre les pieds un jour !
— Je sais David, soupira le capitaine alors que sa bonne humeur commença à retomber. Je suis intimement persuadé qu’un jour on y arrivera. Ton père aurait aimé être là pour le voir si cela arrivait. On le fera pour lui, et il sera avec nous à ce moment-là. Dans nos cœurs.
Ainsi, le père du jeune David était mort. Iris, assez gênée, ne put s’empêcher de lancer un regard à la dérobée vers Samuel. Ce dernier affichait un sourire éclatant. Loan se racla la gorge pour rappeler aux deux rêveurs que la petite troupe était à bord elle aussi. Le capitaine arracha la carte des mains de son apprenti pour la ranger dans la poche de son pantalon, puis, il se concentra sur les nouveaux venus.
— Cela faisait un moment que l’on ne t’avait pas vu Loan… Combien de fois as-tu fait l’aller-retour de l’Opartisk à la Dheas ? Bien trois ou quatre fois si ma mémoire est fiable. Nous allons bientôt partir, mes hommes ont déjà mis la cargaison en soute. Tu expliqueras à tes jeunes comment cela va se passe vers la fin du voyage, je te fais confiance. Qu’est-ce qui t’amène de nouveau ? Encore une mission donnée par la vieille de l’association ?
Iris faillit perdre son sang-froid. Certes Mme. Keys n’était plus très jeune, mais elle n’était pas si âgée non plus. Peut-être que c’était juste parce qu’elle avait trop de respect envers sa voisine. Samuel et Peter n’avaient pas l’air d’être énervés, sûrement car ils accordaient moins d’importance à Mme. Keys. Elle ne représentait rien pour les jeunes hommes, pour Iris, si. La vieille dame faisait certainement partie des personnes en qui elle avait le plus confiance. Elle avait toujours été dans sa vie depuis sa naissance. Elle ne cessait jamais de lui parler. Le capitaine partit vers l’avant du bateau, suivi de tout le monde.
— Tu as raison Gaspard. Je suis encore en mission pour l’association avec ses trois jeunes. Nous devons rejoindre le quartier général en Dheas pour la suite de la mission. Ouh que oui, j’en ai tellement l’habitude que je connais ce trajet comme si je passais d’une pièce à une autre de ma maison. C’est fou cela ! Je ne me déplaçais jamais autant avant de rendre service à l’association. Cela me plaît de plus en plus. De découvrir le monde qui nous entoure, pas seulement l’Opartisk, mais les autres pays. Ils ont leur propre singularité. Cette guerre et cette maladie gâchent vraiment tout ce qu’on pourrait vivre si les peuples et surtout ses dirigeants faisaient un effort pour s’entendre.
— À force tu ne dois plus trop être chez toi, non ? C’est quand la dernière fois que tu as pioncé dans ton lit ? Le vrai, celui de ton appartement, pas ceux de tes chambres dans les différents QG de l’association. Oui, chaque pays à ses propres traditions, son propre système. C’est la diversité.
— Non c’est vrai. Mais bientôt je vais revoir ma famille. Mes parents n’attendent que cela, ils n’aiment pas me voir absent de la maison pendant ces longues périodes. Ils ont peur pour ma vie.
— Ce sont des parents Loan. Les parents s’en font toujours pour leur enfant à n’importe quel âge, c’est normal, tu ne peux pas leur reprocher cela. Tu verras, cela te fera du bien de te reposer un peu. Si j’ai bien compris, tu n’as pas eu beaucoup de repos depuis quelques mois, surtout que tout cela s’est intensifié il y a quelques semaines.
— Oui. Je vais profiter du voyage pour dormir un peu, beaucoup même. Une semaine, cela va bien réussir à me requinquer. Du moins je l’espère. Quand mes parents vont me voir, tout cerné, tout fatigué ne faisant qu’une seule chose : dormir… Ils vont me séquestrer pour que je ne reparte plus en mission de toute ma vie.
— Tu devrais demander à l’autre vieille chouette de te laisser plus de temps pour te reposer.
— Ce n’est pas une vieille chouette Gas… Elle veut le bien de l’humanité, c’est honorable. De plus, à son âge, elle a réussi à créer un organisme qui en est peut-être capable. Moi, cela me bluffe. Je ne peux pas les laisser tomber, pas maintenant que des choses concrètes sont vraiment en train de se passer. Ce qu’on est en train d’essayer de découvrir peut faire changer plein de choses. Ce ne sera pas sans conséquence. Je fais partie de leur meilleure chance avec ces gamins et le reste, d’après les chefs.
Iris se sentit chagrinée. Elle n’avait pas pensé que cela demandait autant de sacrifice de faire partie de l’association. La jeune fille avait la désagréable impression d’être avantagée par rapport aux autres. Elle avait pu revoir ses parents, elle connaissait très bien la cheffe… On prenait soin d’elle. Alors que les autres n’avaient pas encore revu leur famille, et le sauvetage de Maryline, Marin et Kendra n’avait toujours pas été organisé. Iris avait mauvaise conscience et se sentit subitement mal, prise d’un doute. Et si Kilian avait fait le bon choix ? Enfin, un des bons, car Iris n’accepterait jamais de coopérer avec les conseillers. C’était bien trop demander pour elle. Les dirigeants ne méritaient aucune aide et aucune pitié, c’était des ordures. Malgré tout, le doute commençait à se frayer un chemin dans son esprit, et cela ne lui plaisait pas de tout. Ce n’était absolument pas le moment de remettre tous ses choix en question. Justement, elle était dans une époque où elle ne devait impérativement pas laisser le doute lui faire perdre pied. Elle porta son regard vers David qui le regardait, incrédule.
— Fais attention un peu Loan. Fais attention à ce qu’ils ne profitent pas trop de toi. Tu travailles corps et âme pour eux, et pour le moment, tu n’as eu aucun remerciement, aucune aide, aucun truc pour ton activité. Fais attention à ne pas te faire berner. Cela m’énerverait vraiment que tu te fasses duper, t’es essentiellement quelqu’un de bien. Puis, je te rappelle que tu es toujours dans une situation compliquée financièrement. Sans vouloir t’offenser, je ne suis pas certain que cette petite association soit foncièrement bonne. On ne peut pas être bon ou mauvais. Quelqu’un de mauvais aura toujours une part de bien en soi, à l’inverse, une personne bien aura tout de même un côté mauvais en elle. Enfin bref. On veut ton bien c’est tout.
L’envoyé de l’association sourit en regardant l’horizon au loin alors que Gaspard s’en allait pour faire passer quelques messages à ses hommes qui ne partaient pas avec lui, avant de démarrer le bateau. David soupira et sortit une cigarette puis la mit dans sa bouche après l’avoir allumée. Il la retira et souffla de la fumée avant de la replacer où elle était.
— C’est sympa de s’inquiéter, David. Ne t’en fais pas pour moi, je suis un grand garçon. Si je fais des erreurs, j’en subis les conséquences comme tout le monde, c’est la vie. Tu es encore jeune, mais bientôt tu comprendras pourquoi je suis aussi attaché à cette petite organisation qui grandit de jour en jour. Peut-être qu’il y a des non-dits, ou des trucs parfois louches, mais moi, je crois en elle, et je ne suis pas le seul. Loin de là.
— Tu n’es pas si vieux que ça, s’esclaffa le blondinet, laissant découvrir ses fossettes qui rendaient son visage plus enfantin. Tu as quoi… Quatre ou cinq ans de plus que moi ? En soi, tu es peut-être mon aîné, mais ce n’est pas un si grand écart que cela. Enfin, moi je ne trouve pas cela énorme. Bon. Je te passe les clés de vos lits. Tu n’oublieras pas de leur expliquer comment cela se passe. Sinon le capitaine finira de mauvaise humeur, et après cela retombera sur moi, et je n’ai aucune envie de subir une semaine entière de mauvaise humeur alors que ce ne sera pas de ma faute cette fois-ci. Je sais que des fois je ne suis pas un ange, même souvent, mais je ne suis pas un diable non plus.
— Tu as fait autant de bêtise que cela ? rigola Loan.
— J’épuise ma mère depuis que je suis tout petit. Puis, j’ai quand même réussi à faire couler un des grands bateaux de mon oncle. Heureusement qu’on était proche du littoral, sinon tout l’équipage serait mort par ma faute. Je suis, et inattentif, boulet. Des fois, je me demande s’ils ne regrettent pas de m’avoir pris avec eux !
Le jeune homme se déplaça à l’intérieur, vers le gouvernail et prit un trousseau de clés. Il compta le nombre de clé et en retira une sur les trois avant de les tendre à Loan qui les prit et les examina.
— Je suppose que Samuel et Peter dorment avec moi et qu’Iris est dans une autre chambre ?
— Je ne suis pas sadique. Je te laisse te reposer. C’est toi qui es tout seul.
Loan le remercia et partit avec les clefs, suivi des trois adolescents qui essayaient de suivre son rythme rapide. Ils descendirent par un escalier, dans un endroit froid, où plusieurs boîtes en métal énormes étaient entreposées. Apparemment, les chambres étaient dans le même endroit que les cargaisons. Le voyage s’annonçait horriblement long aux yeux d’Iris. Comment Loan avait-il pu faire cinq fois deux semaines de traversée ? Loan ouvrit deux portes.
— Alors le truc, c’est simple : pendant la traversée vous pourrez sortir dehors, il y a aucun problème, il y a encore peu de bateau, donc on ne risque pas de nous voir. Sauf le dernier jour, vous ne sortirez pas, David viendra nous donner un petit-déjeuner, et ils nous diront quand on pourra sortir. C’est une mesure de sécurité, car ce sont des personnes de Dheas qui déchargent et faire passer des gamins comme membres de l’équipage, ce n’est pas vraiment crédible. Ne vous inquiétez pas, tout va bien se passer. Les transports clandestins ne se passent jamais mal.
Cela ne rassura tout de même pas Iris. S’il y avait bien une chose qui aurait dû être prise en compte, c’était que rien ne se passait exactement comme prévu avec elle et les surdoués. Il leur donna la clé de leur chambre, ensuite, il s’enferma dans sa chambre. Il devait sûrement s’être écroulé sur le lit et endormi instantanément. Les trois amis entrèrent dans leur chambre de fortune. Elle n’était pas très grande et quatre matelas étaient posés là à chaque coin de la pièce. Iris soupira et s’affala sur le matelas qu’elle venait de choisir. Samuel referma la porte derrière ses amis mais se tint debout.
— Bon, ce voyage, je le sens moyen, avoua Peter.
Pour une fois, Iris partageait l’avis du jeune homme. Ce trajet ne lui inspirait rien de bon. Puis, c’était nouveau pour elle, elle ne se sentait pas sereine, elle n’avait jamais quitté la terre ferme jusqu’à maintenant. Elle n’était jamais allée dans l’eau, pire encore : si le bateau coulait, elle mourait. La jeune femme savait beaucoup de chose, mais elle ne savait pas nager. Iris venait tout juste d’y repenser, et elle s’efforça d’enfouir son angoisse montante au fond d’elle. Pourquoi le bateau coulerait-il ?
— Tu ne le sens pas bien car c’est un voyage long ou parce que tu penses que cela va mal tourner ? jaugea Samuel, finissant par s’asseoir au côté d’Iris.
La jeune fille se déplaça sur le lit pour voir Samuel et Peter. Elle ramena ses jambes sur le matelas et fixa l’autre surdoué alors qu’il se mit à parler avec son meilleur ami. Par la suite, son regard dévia sur le sol.
— On va devoir demander des couvertures pour les nuits, je ne pense pas qu’il fasse très chaud, fit remarquer la seule fille en levant les yeux au plafond.
— Effectivement, renchérit Samuel en hochant la tête. Et s’informer comment cela fonctionne pour les repas. Je ne pense pas que l’on vienne nous l’apporter, puis de toute façon, nous n’allons pas rester enfermés ici pendant toutes ces journées comme Loan. Lui il a du sommeil à rattraper, on en a moins que lui, et respirer l’air marin nous fera du bien avant d’entamer notre mission.
— Merci de nous rappeler le pourquoi on part de notre pays, grogna Peter.
— Je croyais que t’étais content de revoir Marianne ! le taquina Samuel.
— Oh ça va te moque pas ! Je peux te charrier moi aussi ! Et tu sais parfaitement que je peux être lourd et d’un entêtement sans faille.
Le brun leva les mains en signe de capitulation.
— D’accord. Mais dis-moi. C’est qui cette fille ? On en entend parler depuis l’annonce de notre mission, mais on ne nous dit pas qui c’est !
— Marianne a vingt-cinq ans. Elle fait elle aussi partie de l’association. Et je t’assure, c’est une chouette femme. Elle est superbe et badasse. Vraiment ultra forte. Intelligence, combattante, rusée Elle fait partie des meilleurs agents avec Loan et Amanda. On a la chance qu’elle participe à notre mission, c’est un avantage énorme !
Les deux surdoués s’échangèrent un regard moqueur alors que Peter continuait de parler de l’agent de l’association qui figurait parmi les meilleurs. Ils apprirent donc que Marianne était une ancienne militaire, qui ne pouvait plus aller sur le front à cause d’une blessure trop grave pour qu’elle soit totalement en forme. Il lui avait fallu deux ans pour être totalement rétablie. Elle avait vu son frère se faire tuer sous ses yeux lorsqu’il avait refusé de faire la guerre lorsqu’elle avait été officiellement déclarée il y a quelques mois. C’était surtout cet événement qui l’avait poussé à rejoindre l’association. Samuel et Iris relevèrent la tête lorsque Peter s’arrêta soudainement de parler à cause d’une secousse.
Leur ami était en train de vomir comme s’il s’était retenu pendant un moment. Samuel se leva exaspéré.
— Je crois bien que cela va être comme cela pendant tout le voyage ! Je vais aller chercher une bassine et une serpillière.
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