Ils se retrouvèrent en Opartisk. Dans les bâtiments réservés pour eux, à l’écart, à côté des prisons. Kilian essayait d’obtenir une visite auprès de Marin et était à deux doigts de réussir. L’absence de Charles créait un vide, surtout pour Kilian et Fred qui se sentaient un peu seuls même s’ils restaient tous les deux car Liam et Cassandra étaient très fusionnels. Sauf que cela marquait chacun d’entre eux, y compris l’autre couple : Liam connaissait Charles depuis aussi longtemps que Kilian. Les conseillers avaient proposé un poste de conseiller à l’orphelin mais il tergiversait. Le groupe s’éparpillait donc en deux duos qui communiquaient quelques fois. Cassandra prenait plaisir à discuter avec son meilleur ami mais il lui semblait changer. Et elle avait raison car Kilian se sentait plus libérer que jamais même s’il préférait rester fermé et discret, ne voulant pas exposer son nouvel état d’esprit tout juste après une sorte de déprime aggravée suite à des choix qu’il avait lui-même des incertitudes. Désormais, il ne doutait plus et assumait totalement ceux qu’il pouvait choisir même si cela demandait un peu de persévérance. Il souhaitait vraiment faire bouger les conseillers et aider contre la maladie et les plus pauvres pour qu’il n’y ait plus trop d’inégalités entre les classes sociales. Sauf que cela s’annonçait compliquer. Kilian décida enfin de sortir de sa chambre. Aujourd’hui, c’était les visites des parents, et il n’aimait pas particulièrement y assister même si à chaque fois il était certain de ne pas voir ses parents, et c’était tant mieux d’ailleurs. Il fut surpris de voir Fred appuyer contre le mur, à l’attendre.

— Tu aurais pu rentrer tu sais, s’il y a bien une personne qui a le droit de rentrer dans ma chambre n’importe quand et sans mon autorisation, c’est bien toi, déclara le blond en souriant malicieusement. J’allais te rejoindre en bas.

— Je flippe un peu, confessa Fred en tripotant le bout de son t-shirt. J’ai peur… de ma réaction. Je redoute d’être violent, ou de m’écraser. De faire mauvaise impression à tout le monde et de ressortir le côté que j’avais lorsque j’étais dans mon groupe. Je n’ai pas envie que tu vois comme je peux être face à eux car je serais tellement moche et pitoyable.

— C’est faux, protesta Kilian plaçant doucement sa main contre la joue de Fred pour qu’il relève la tête. Tu n’es pas pitoyable et tu es beau. Cela arrive d’être violent, et après ce qu’il t’a fait vivre… le voir tabasser, que cela soit par toi ou quelqu’un d’autre, je crois que je m’en fiche. Il n’aura ce qu’il mériterait.

— Tu dis ça parce que c’est moi et tu ne sais pas de quoi il est capable. C’est…

— S’il est là, il faut que tu l’affrontes pour que tu te sentes mieux. Si tu n’y arrives pas, je m’en chargerais à ta place.

— Je crois que j’ai vu tes parents, souffla Fred déjà troublé par l’attachement de Kilian.

— Je… ne change pas de sujet. Enfin… j’avoue que tu viens de me perturber pas mal. Si mes parents sont là, eh bien, je les fuirais. Mais je campe sur ma position, si tu ne fais rien à ton père je réagirais à ta place.

— Alors je ferais inversement pour toi.

— Fred, tu ne sais pas de quoi ils sont capables. Ce sont limites des psychopathes !

— Mon père m’a foutu une arme à feu dans la main pour m’embarquer dans un trafic de drogue, à risque de se faire tuer.

— Peut-être, mais tu connais rien à la torture.

Il y eut un silence pesant, et Kilian regretta très vite d’avoir échappé cette phrase qui confirmait si bien son passé qu’il réussissait à se blesser lui-même. Il n’arrivait plus à parler maintenant. Fred le regarda tout triste et tira Kilian par la main pour le prendre dans ses bras.

— Je suis désolé. Je ne veux juste pas qu’il te fasse de mal comme ils me l’ont fait.

— Ne t’inquiète pas, je sais. Mais il est hors de question dans ce cas-là que tu fasses face à mon père. Tu peux ne pas m’accompagner, si tu tiens tant à fuir tes parents. Je sais que tu me soutiens.

— Je veux être avec toi.

Fred se pencha pour l’embrasser puis reprit un masque impassible. C’était tout de même son père qu’il allait rencontrer aujourd’hui, et cet entrevu ne s’avérerait pas plaisant. Le jeune homme ne comptait pas montrer sa fragilité à l’homme qui avait pourri sa vie pendant de longues années. Et montrer Kilian le dérangeait assez car il redoutait ce que son père pouvait avoir l’idée de faire. Il lui prit la main sans oser trop la serrer mais Kilian s’en chargea et Fred soupira avant de l’entraîner avec lui.

Le hall du bâtiment des rencontres résonnait de tellement de voix que Kilian savait d’avance qu’il allait y ressortir avec un mal de tête. La salle haute se retrouvait bondée de personnes, si bien, que Fred dû s’imposer pour se frayer un chemin dans un milieu un peu plus calme de l’espace. Kilian salua les parents de Cassandra d’un geste de la main qui présentait Liam aux deux adultes. Fred lâcha la main de Kilian pour se reposer contre le mur. Ce dernier se sentait fébrile et abandonna d’essuyer ses mains moites qui le restaient toujours même lorsqu’il tentait de les passer contre son jean. Il papillonna des paupières et fixa Cassandra qui laissait discuter ses parents avec Liam pour s’approcher de lui. Il garda un œil sur Fred et se décala pour offrir une petite place à son amie. Le jeune homme ne savait pas ce que ses deux amis avaient fabriqué à Kuyinto, mais il n’avait posé aucune question. Il devinait qu’en plus de la mort de Charles, cela avait été quelque peu éprouvant. Cassandra et Liam ne les avaient pas informés de ce qu’il s’était passé là-bas. Elle fit la bise à Fred, toute souriante mais trahit par ses cernes.

— Je peux te l’emprunter un instant ? demanda Cassandra.

— Tant que tu ne me le piques pas, cela me va ! blagua Fred.

Kilian s’approcha pour poser sa bouche sur la sienne avant de se faire éloigner par Cassandra. Elle l’entraîna juste à l’ouverture de la salle, comprenant qu’il voulait surveiller Fred, et elle-même souhaitait tenir à l’œil ses parents et Liam. Kilian se demandait s’il s’en sortait, connaissant Liam, il devait sûrement être embarrassé. En plus de cela, c’était aujourd’hui son dernier délai pour accepter le poste de conseiller qui lui avait été offert. Il hésitait sûrement encore, Kilian devait lui parler. Au début, le blond ne se sentait pas apte à l’être, pourtant, il l’était devenu et cela le rendait plus fort. Finalement, il ne regrettait pas d’avoir accepté, de toute manière, c’était un peu un choix imposé. Il irait voir Victoria dès qu’il pourrait en espérant ne pas se retrouver vite surchargé dans son emploi du temps.

— Tes parents sont ici et te cherchent, avertit Cassandra d’un ton grave.

Pour le jeune homme, c’était dramatique.

— Sauf que je ne veux pas les voir, tu le sais très bien.

— Je ne les connais pas donc je ne sais pas tes raisons non plus.

— Ce sont des psychopathes, laissa échapper Kilian avant de se mordre la lèvre. Je ne sais pas comment je réagirai s’ils arrivent à me trouver. Je vais hurler sur les autres conseillers d’avoir accepté qu’ils viennent alors que j’avais refusé catégoriquement. Ils ont dû bien les manipuler.

— Bon… J’imagine que tu ne voulais pas me parler juste pour me prévenir que mes parents sont ici, souffla Kilian.

— Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai une mauvaise impression, et, on a découvert certain truc sur la Kuyinto. C’est, assez grave. Par rapport à la maladie, il n’y a rien, mais je n’ai pas encore fait mon compte-rendu, et comme tu es un conseiller désormais, je pense que je peux te dire ce que l’on a découvert…

— Dis-moi.

— Je… je ne sais pas si c’est bien de le dire ou non, je pensais que je devais te demander ton avis. Kilian, je ne comprends juste pas comment ils peuvent faire ça ! C’est… inimaginable, une catastrophe. Je, on est dans le mal.

Cassandra butait sur chaque mot, si bien que cela commençait fortement à inquiéter Kilian, bien plus que la venue du père de Fred, et la propre présence de ses parents qui le pétrifiaient rien que d’y penser. Il serra délicatement les bras de Cassandra en espérant la calmer un peu et lui répéta une nouvelle fois de tout lui raconter. La jolie brune expliqua donc qu’ils avaient dû s’immiscer un peu dans une partie de l’administration de l’État du pays allié, face à certains relevés, ils avaient enquêté et le binôme avait découvert que la Kuyinto c’était allié à la Thuath contre la Siar et projetait un retournement de camp pour s’attaquer à l’Opartisk, et après à son vieil allié la Dheas, mais aussi, plus tard, contre la Thuath. Kilian resta impassible et réfléchissait silencieusement alors qu’elle paraissait au bout de sa vie comme si elle allait mourir.

— Ce que j’en pense… il y a certain conseiller à qui je ne fais pas confiance, et, je ne m’y connais pas si bien que cela en guerre, en tout cas les stratagèmes. Je ne sais pas ce qui est judicieux, mais il faut en parler. On ne peut pas garder cela pour nous.

Cassandra hocha la tête mécaniquement et emporta une nouvelle fois Kilian près de Fred. Le premier eut les poils irisés lorsqu’il vit un grand adulte aux cheveux bruns mais aux yeux de Fred en face de son petit-ami : le père de Fred. Ce dernier était impressionnant et terrifiant à la fois. Surtout pour Fred. Le jeune homme avait du mal à ne pas se ratatiner, ni à baisser la tête, malgré tout, il lui faisait face comme un adulte, droit et fière, et Kilian se demandait comment il faisait. Il admirait vraiment Fred qui réussissait, ne serait-ce qu’une fraction de seconde à faire face à ce démon de son passé. Kilian serra les poings mais fit un pas en avant alors qu’on le retient par la main. C’était Ethan.

— Je croyais que tu étais reparti dans les bâtiments. On peut savoir ce que tu fous ici ?

Le ton qu’il avait employé était plus agressif qu’il ne l’aurait voulu réellement. Il n’appréciait pas Ethan, mais la rancune qu’il ressentait envers lui commençait largement à se dissiper. Cela le dérangeait d’ailleurs car il n’aurait jamais imaginé qu’il puisse bien s’entende avec Ethan. Finalement, peut-être qu’il pourrait discuter avec lui sans l’écharper à chaque fois qu’il parlait. Cette pensée lui fit un poids étrange dans le ventre. Ethan le lâcha.

— Ne va pas le voir. S’il doit affronter son père, il doit le faire sans aide sinon il ne le prendra pas au sérieux. Et il n’en sera jamais débarrassé. Observe de loin, et n’intervient que lorsqu’ils commenceront à se battre s’ils le font.

— Pourquoi j’écouterai ? et qu’est-ce que t’en sais de lui ? et de ce qu’il a avec sa famille ? tu n’as rien à faire ici je crois, qu’est-ce tu comptes fabriquer ici ?

— Eh bien, soupira Fred en fourrant ses mains dans ses poches. Je remplace Charles, je fais partie de votre équipe maintenant. Désolé pour toi, et pour les autres qui ne m’aimer pas, je ne suis pas plus ravi par cette décision mais on va devoir travailler un minimum ensemble. Pour Fred, disons que… J’obtiens tout ce que je veux grâce à mon père.

— Et donc ? cela n’explique pas que tu me conseilles quoi faire, alors que je pense que tu n’as jamais été dans cette situation.

Ethan rougit si violemment que Kilian éclata de rire contre son gré. Il s’excusa, il ne voulait pas se moquer du fils de Baptiste, mais le voir aussi gêné l’avait pris de court. Il redevint impassible et joua avec ses doigts, en attente d’une réponse. Il n’en revenait toujours pas : il venait d’avoir une discussion sans dérapage violent verbal avec un snob prétentieux.

— Pour avouer, je… C’est que, bredouilla Ethan. J’ai la même orientation que toi si tu vois ce que je veux dire…

— Tu aimes les garçons.

— Ouais… mais surtout t’avises pas de le dire à mon père sinon je suis un peu mort. Il n’est pas très ouvert donc si déjà il l’apprend alors que je n’ai pas de copain, je n’ai aucune chance qu’il m’accepte. Bon, et donc, comme tu le sais car toi aussi tu l’étais, j’étais dans le même bâtiment que Fred. Et heu… il me plaisait assez et j’ai convaincu mon père de me donner son dossier pour en apprendre un peu plus sur lui. C’est pour cela que je sais qu’il n’est pas en train bon terme avec son père même si je ne sais pas pourquoi.

Kilian plaqua sa main droite sur sa bouche pour dissimuler un sourire servant un réprimer un petit rire. Ethan, gay comme lui ? il n’en revenait pas. Il se renfrogna un peu en imaginant Fred qui aurait pu être en couple avec cet arrogant. Il la chassa directement de son esprit, beaucoup trop insupportable pour le garder plus longtemps. Fred ne lui appartenait pas car personne n’était la possession de personne, mais la jalousie lui tordait tellement le ventre que Kilian ressentait cela. Le blond toisa Ethan qui préféra s’éclipser et le laisser seul, ce qui ne le dérangea pas des moindres. Il se retourna et remarqua que le père de Fred faisait des grands gestes pendant qu’il parlait, Fred, ne bougeait pas d’un millimètre. Kilian s’inquiétait vraiment, mais alors qu’il allait s’approcher de lui pour s’assurer de son état, cela partit d’un coup. Fred venait d’exploser. Cela commença par sa main qui vint claquer très fort la joue de son père, ainsi que l’autre qui répéta le mouvement mais avec le poing refermé. L’adulte allait sortir un objet de sa veste mais il n’en eut pas le temps car Fred faisait déjà tomber l’arme par terre et le poussa du pied dans le ventre. L’adulte s’écroula par terre en se recroquevillant avec les mains sur son ventre alors qu’il faisait une grimace. Kilian s’immobilisa, n’ayant pas assez d’envie ou de force pour retenir son petit-ami de frapper son père. Fred enjamba son père et se baissa près de son visage.

— Je ne t’aiderai pas une nouvelle fois, chuchota-t-il. Et je te préviens, sort de ma vie. Ne reviens plus jamais, si tu reviens, je te ferais vraiment comprendre que tu n’as rien à faire avec moi.

Il ne l’aida pas à se relever et le laissa à terre. Mais personne ne semblait remarquer qu’un homme avait été frappé et se retrouvait à terre. Fred se frotta la main droite qui lui faisait un peu mal. Malheureusement, tout avait un prix, même pour une petite vengeance qui ne s’avérait pas sans conséquence. Fred ne savait pas vraiment s’il regrettait son geste, il déplorait de devoir se montrer assez violent pour faire sortir une telle personnalité de sa vie. Sauf que c’était nécessaire, et il n’avait pas d’autre moyen. Pourtant, la violence ne résolvait pas grand-chose dans la vie. Il se retourna et se décomposa lorsqu’il vit Kilian le fixer. Soudainement mal à l’aise et peureux. Kilian secoua la tête.

— Ce n’est pas grave, je ne t’en veux pas, répondit muettement Kilian alors que Fred s’approchait pour mieux entendre même s’il lisait sur les lèvres.

Kilian allait le serrer dans ses bras mais il sentit une main sur son épaule et l’expression pétrifié de Fred et il se retourna avant de tressaillir et de perdre l’usage de la parole. Il fut si interloqué que se fut donc une baffe qui le ramena à la réalité, de la main de sa mère. Il se porta la main à la joue en retard et il se rembrunit avant de reculer d’un pas pour essayer de maintenir une distance. Une femme blonde et grande essayait de le dominer de toute sa puissance. Son visage paraissait adouci mais Kilian ne s’y trompa pas.

— Pourquoi n’a-t-on pas peut te voir avant ? demanda sa mère.

Elle prenait un air peiné, mais c’était hypocrite. Il n’osa pas repousser sa main de sa joue, mais lorsqu’il sentit ses longs ongles pointus s’enfoncer dans sa joue, il la repoussa sans ménagement et sa mère se fit outrer et son père sévère. Le jeune homme voulut reculer un peu plus mais il faillit faire tomber Fred qui se postait juste derrière lui. Il regarda ses parents froidement et se demanda s’il devait fuir ou les confronter.

— Vous jouez encore les hypocrites et les manipulateurs en révélant votre bonne façade, mais quand y a du monde vous n’osez pas vous mettre comme vous le faisiez à la maison.

— Pardon ?

Le visage de sa mère s’était mué en un visage si dur et méchant qu’elle venait de perdre toute sa crédibilité de la maman inquiète et une humanité que Kilian savait inexistante. Fred intercepta une main partie si rapidement que Kilian ne l’avait pas vu.

— Vous me hanterez quoi qu’il arrive pour le reste de ma vie. Mais vous ne me reverrez jamais.

Kilian n’eut pas assez de courage pour rajouter quoi que ce soit ou pour les regarder encore plus longtemps. Il effleura la main de Fred et s’enfuit dans le couloir, sachant pertinemment qui ses parents ne le rattraperaient pas. Il se posa contre le mur et souffla. De l’eau coulait sur ses joues et il les laissa dévaler car il n’avait pas envie de le faire lui-même. Fred le fit à sa place et le regarda dans les yeux comme s’il pouvait savoir si cela allait bien.

— En faites, pour ceux qu’on sait du dossier, que la Siar à un semblant de remède… tu crois que je dois le dire ? souffla Fred qui ne voulait pas étaler le sujet de ses retrouvailles familiales que ce soit de son côté, ou de celui de Kilian.

— Je pense qu’on doit être transparent. Kuyinto joue un jeu dangereux, confessa son petit-ami.

Le jeune homme expliqua à Fred ce que Cassandra lui avait rapporté. Fred fut impassible, sûrement car cela ne l’affectait pas particulièrement. Certes, l’avenir de l’Opartisk en dépendait, mais cela concernait surtout la Kuyinto qui pouvait soit gagner avec triomphe, soit perdre sombrement et couler tout son pays et ses habitants. Leur audace pouvait les amener à leur perte. Car la probabilité que leur coup marche se présentait très restreinte pour les deux adolescents. Fred et Kilian s’étaient assis et discutèrent pendant un moment, oubliant la visite des familles et la leur qui leur pourrissait la vie. Cassandra passa devant eux et signa à Kilian que c’était le moment pour sa visite auprès de Marin et qu’elle ne pouvait pas l’accompagner car elle voulait encore rester un peu avec ses parents. Fred décida de venir avec lui-même s’il ne connaissait pas vraiment l’étudiant en médecine. Kilian attrapa la main que Fred lui tendait et il ne la lâcha pas et ils se mirent en marche.

— Généralement, vous parlez de quoi avec Marin ? questionna Fred.

— Cela dépend, concéda Kilian. La dernière fois, nous avions parlé d’Iris. Oh ! Ne te crispe pas comme cela c’est stressant.

— Ouais, mais, c’est Iris quoi…

— Et donc ? soupira Kilian. Que cela soit Iris ou quelqu’un d’autre cela ne change rien du tout. C’est toi dans mon cœur, rentre-toi cela dans ton crâne !

— eh bien rentre toi aussi dans la tête, que même si tu es là, à un moment ou un autre, il y aura confrontation.

— Je sais, grommela Kilian. Sauf que vois-tu, là, je me sens prêt. Je ne saurais même pas dire pour quelle raison. Mais si je viens à lui faire face, je saurais quoi dire, quoi faire tout en étant déterminé.

Ce fut Théo qui les mena jusqu’à la cellule de Marin dans la prison souterraine et sombre. Kilian ne détestait pas cet endroit, sûrement car il n’avait pas passé un séjour dedans comme son ancien ami et Maryline. Sauf que cela lui rappelait le temps où ses parents le poussaient pour l’enfermer dans la cave sombre pendant un week-end entier et qu’ils l’obligeaient à dormir dedans pendant des mois car ils disaient avoir besoin de réquisitionner sa chambre. Le noir, le froid, aucun bruit, Kilian connaissait bien. Fred releva que Théo semblait tendu ces derniers temps mais il mit cela sur le compte de la fatigue et de ce boulot qui ne devait pas être très plaisant à exercer. Théo son badge sur la première porte qui servait à garder l’escalier qui descendait et sortit un trousseau de clés pour ouvrir la cellule de l’étudiant en médecine.

— Je rouvrirai lorsque cela sera l’heure de partir, indiqua Théo avec un sourire fatigué.

Il essayait en vain de retenir un bâillement. Il fit un signe de la main au couple avant de s’éloigner vers une autre cellule. Il faisait confiance aux adolescents quant à la surveillance du prisonnier puisqu’il n’avait pas tenu à refermer la porte avec la clé. Cela n’étonna guère Kilian de Théo. Il pénétra dans la cellule fraîche alors qu’un frisson se propageait dans tout son corps. Fred voulait se tapir dans l’ombre, regrettant déjà d’être présent. Kilian appuya sur l’interrupteur pour éclairer la petite pièce. Pourquoi Marin ne l’allumait-il pas ? Le jeune homme était affalé sur le lit et releva la tête, les yeux froncés avec la main en visière. Ses cheveux blonds en bataille et ses lunettes de travers. Il avait beaucoup maigri depuis la dernière fois que Kilian l’avait vu.

— T’es dingue ou quoi ? depuis quand tu laisses la lumière fermée ? elle est comme cela depuis longtemps ? tu veux te bousiller la vue ou quoi ! s’écria Kilian en le fixant telle une maman avec les mains sur les hanches.

— Je dormais. Et ouais, j’aime pas la lumière et alors ?

— Marin, ne tombe pas dans la dépression, pas comme cela.

— Mes parents ont été tués sous l’ordre des conseillers. Alors plus rien ne sera comme avant dans ma vie.

— Les conseillers ne feront plus jamais cela, promit Kilian.

— Et comment peux-tu en être certain ?

— Parce que je suis conseillé désormais. Et je veillerai à ce que cela n’arrive plus à qui que ce soit.

La nouvelle surprit un peu Marin mais il se reprit et marmonna que cela ne l’étonnait pas tant que cela car il avait remarqué que les conseillers s’étaient intéressés à lui, en lui posant des questions sur Kilian. Ce dernier n’était pas au courant mais ne releva pas. Il força contre le mur et observa Marin qui faisait traîner un regard vague et usé partout dans la salle. Il examina Fred de la tête aux pieds et fronça les sourcils.

— Ce n’est pas lui la racaille qui était ami avec toi et Iris, et à qui vous ne parlez plus ? enfin, normalement.

— Si, répliqua Fred en baissant les yeux.

— Et tu lui parles maintenant ? s’adressa Marin à Kilian en réfléchissant. Oh ! je comprends mieux pourquoi tu ne te rendais pas compte qu’Iris t’aimait ! C’est parce que tu es homosexuel. Alors, cela, je ne m’en doutais pas.

— Bref, on ne va pas s’attarder sur mon orientation sexuelle ! s’exclama Kilian les joues rouges. Enfin, bref quoi. Tu… Marin tu dois te ressaisir !

— Même si je sors, je suis seul, et je n’ai plus rien Kilian.

— Tu as toute l’association. Je suis là, Cassandra ne t’oublie pas non plus. Des gens tiennent à toi Marin.

— Kilian, je n’ai plus vraiment grand monde. Il n’y a pas assez de personnes.

Kilian s’empourpra et bafouilla en cherchant les mots justes pour aider son ami sans y parvenir. Le jeune homme savait pertinemment que ce que disait son ami était faux, et qu’il le balançait à cause désespoir. Il avait connu cela, mais Kilian était incapable de savoir quoi lui dire exactement. Il devait faire un piètre ami. À son grand étonnement ce fut Fred qui trouva les bonnes paroles pour encourager Marin :

— Je comprends que ce soit dur de perdre sa famille, j’ai, moi-même perdu ma mère et ça a été très dur.

— Tu as ton père.

— C’est une ordure, rétorqua sèchement Fred qui revoyait passer dans sa tête la scène avec son père. Mec, je ne te connais pas, mais ce que tu dis c’est vraiment faux. Quand j’allais mal je n’avais plus personne, certes, je suis tombé dans un côté qui ne ressemble pas à la meilleure des issus, mais maintenant je suis dans le droit chemin. Kilian allait super mal aussi à un moment mais il savait que des personnes comptaient sur lui. Alors, toi aussi tu peux surmonter tout cela. Ne fais pas l’idiot car tu as eu de la chance d’avoir des parents qui t’aimaient. Et des parents qui aiment, ne voudraient pas voir leur enfant se laisser dépérir et mourir comme cela comme tu commences à faire. Alors, je pense que tu devrais un minimum te ressaisir.

L’effet que cela venait de faire à Marin restait incertain. Le jeune homme se redressa et baya la bouche très déployée. Il se fit craquer les phalanges et s’étira comme un chat avant de faire signe à Kilian de s’approcher. Ce dernier lança un coup d’œil à Fred qui s’installa contre le mur, d’un air désintéressé avant de s’approcher de son ancien ami et de s’asseoir à ses côtés. Marin tourna la tête.

— Écoute, murmura-t-il à l’oreille du jeune conseiller. Je ne comprends pas entièrement pourquoi tu as trahi Iris alors que vous étiez les meilleurs amis du monde, mais ce que j’ai entendu… je comprends que tu puisses avoir été inquiet de la maladie vu l’étendue qu’elle prend. Et, tu as beau être discret, y a un truc qui cloche avec tes parents, je ne sais pas ce que c’est, mais j’en déduis que c’est cela qui t’a aussi décidé à rester avec les conseillers. Tu te sentais protéger. Dis, à Iris si tu la recroises un jour, que même si j’ai été faible, je me suis battu.

— C’est psychologue que tu aurais dû faire, grommela Kilian en se levant. Je ne t’en dirai pas plus.

— Pas de problème.

— Sans vouloir presser, c’est l’heure, prévint Fred d’un ton lugubre alors qu’il consultait sa montre et que son visage s’assombrissait.

Le moment qu’ils s’apprêtaient à vivre ne ravissait pas non plus Kilian qui malgré tout hocha légèrement la tête et fit un signe de la main à Marin en ajoutant :

— Tu t’es battu Marin. Continue surtout. À plus.

— Kilian ! l’interpella Marin un instant.

— Oui ?

— Je ne t’en veux pas pour tout cela. Tu as le droit de prendre tes propres décisions, et tu l’as fait.

—Merci, souffla le conseiller, soulagé d’une part de savoir que son ami ne lui en voulait plus.

— Si tu vois Amanda, dit lui aussi qu’elle me manque.

Kilian ne chercha pas à comprendre pourquoi mais le lui promit avant de partir. Fred salua à son tour l’étudiant en médecine qui émit un remerciement dans un souffle avant de ressortir des livres écraser depuis pas mal de temps sur son matelas. Au moins, il reprenait goût à la lecture et à sa soif de connaissances. C’était un début, et Kilian espérait qu’il y aurait une continuation. Marin ne devait pas baisser les bras. L’adolescent appréciait toujours son ami, et cela lui brisait le cœur de le voir aussi démuni d’être emprisonné. Mais s’il l’aidait à s’évader, ce serait celui qui écoperait de la plus lourde punition. Les conseillers lui faisaient tout de même confiance, il ne fallait pas qu’il laisse tomber la perche immense qu’il lui tendait. S’il réussissait à être conseiller jusqu’à ce qu’il ne puisse plus réfléchir, il pourrait se libérer totalement de ses parents et de son passé qui l’empoisonnait. Cela, cela n’avait pas de prix à ses yeux. La plupart des gens estimaient qu’il avait le droit d’aller bien. Lui, le principal concerné suivrait quelques fois ce sens sans devenir égoïste. Théo sortait tout juste d’une cellule. Cette fois, il n’avait pas eu besoin de signaler lorsqu’il devait sortir.

Les deux adolescents sortirent et allèrent dans le jardin central, où se situait la fontaine forgée en l’emblème de l’Opartisk. Cassandra et Liam s’y trouvaient déjà et Kilian vit une dame et un homme habillé en noir : les parents de Charles. La mère de son amie sanglotait en regardant une urne bleu nuit reposait sur un guéridon rose pastel qui sonnait intrus dans la nature qui les entouraient. Fred grimaçait d’entendre ses pas sur les graviers qui formaient les chemins entre les espaces d’herbes. Ils empruntaient le sentier principal et s’arrêtaient juste devant la fontaine. La mère de Charles glissa et faillit tomber à genoux mais son mari la rattrapa juste à temps. Kilian et Fred épargneraient ce genre de réaction auprès de leurs géniteurs, mais pas de leurs amis qui se révélaient être leur véritable famille.

Kilian avait déjà échangé quelques mots avec les parents de Charles, mais pas grand-chose. Il s’avança tout de même et plaqua sa main chaude dans le dos de la mère de Charles. La femme de la classe riche se retourna et releva la tête car Kilian était plus grand qu’elle. La quarantenaire lui fit un sourire si triste que Kilian sentit son cœur lui faire mal. Pourquoi fallait-il que cela soit Charles qui meurt ? La mère de Charles lui broya l’autre main et il serra des dents alors que Fred traçait des cercles avec son pouce sur son autre main. La douceur et la violence d’un côté. Une personne qui comptait énormément pour lui et une submergée par le chagrin. La tendresse et le deuil. L’amour et la mort. Le conseiller Christian débarqua, il semblait tendu mais ses cernes se dissipaient peu à peu… peut-être utilisait-il de l’anticerne puisque la charge de travail pour les dirigeants ne faisait qu’augmenter. Cela ne dégouttait pas pour autant Kilian, persuadé qu’il obtenait la capacité pour faire bouger les choses. Ne serait-ce qu’un peu. Christian s’éclaircit la gorge et posa ses mains sur l’urne.

— Nous sommes réunis ici, pour une très courte cérémonie en hommage à Charles Clarck. Ce fut, en notre connaissance, le premier Opartiskain mort de la maladie, et j’en suis profondément attristé. Ce qu’il nous reste maintenant de lui, sont nos souvenirs le contenant et cette urne dans laquelle sont placés ses cendres, donc son corps calciné. Je laisse soin à ses parents de choisir ce qu’il aurait voulu que l’on en fasse. Qu’il repose en paix.

Les adolescents répétèrent cette phrase d’un ton morne et déprimant et seul son père suivi la cadence alors que sa femme n’arrivait même pas à articuler un seul mot compréhensible tellement que les sanglots lui rongeaient sa voix et l’entassaient au fond de sa gorge comme une boule douloureuse y loger sans vouloir y ressortir pour le moment. Lorsque le conseiller lui remit l’urne, ce ne fut qu’une sorte de grognement enroué qui s’échappa de sa bouche sans qu’elle ne puisse le réprimer ou le transformer. Elle ne portait pas l’urne comme un trésor, mais comme un fardeau qui lui brûlait les mains. Comme elle tremblait, son mari s’en empara et la contempla le regard perdu et douloureux avant de se tourner vers les adolescents. Le choix leur revenait. Kilian détourna le regard vers Liam. Ils avaient été proches avant qu’il soit en couple avec Cassandra.

— Je crois… qu’il aurait voulu qu’on garde les cendres dans l’urne mais qu’elle se trouve dans un endroit vivant où il y a de la bonne humeur et des relations humaines fortes et sincères, souffla Liam.

Ce n’était pas chez eux qu’ils auraient ça. Les parents de Charles décidèrent de garder l’urne pendant quelques jours avant de séparer en deux moitiés. Une chez eux, une autre dans un endroit vivant avec des personnes respectables et appréciables. Cela allait leur coûté cher, mais c’était leur seul souhait. Christian leur accorda ce droit et les parents du jeune homme décédé firent des au revoir silencieux avant de s’éloigner avec la petite urne bleu nuit qui paraissait beaucoup trop magnifique pour symbolise un fait si sombre et triste. Les adolescents restèrent immobiles pendant un mot, ainsi que Christian, qui ne savait pas où en donner de la tête, à la limite de l’évanouissement alors qu’il apparaissait aller bien avant la petite cérémonie qui n’en était pas vraiment une.

— Kilian, la réunion aura lieu demain, informa Christian en se massant la tempe.

Kilian fut pris d’un frisson en pensant qu’il ne voulait pas avoir un état physique aussi déplorable que ses compatriotes. Et Fred, venait de lire dans ses pensées, et pour cause, il se pencha pour susurrer à son oreille :

— Je veillerai à ce que tu restes en bonne santé, et à ma manière.

Le sourire de Kilian redoubla lorsqu’il sentit Fred l’embrasser dans le creux du cou avant de se poster derrière lui pour l’enlacer. Kilian se sentait vraiment chanceux de l’avoir mais il ne peut s’empêcher d’être triste en se rappelant que Charles était mort. Sauf que ce n’était pas pour cela qu’il n’avait pas le droit de sourire, d’être heureux, de vivre. Il remarqua que Liam s’approchait après avoir lâché la main de Cassandra qui le regardait avec des yeux brillants.

— Monsieur… À propos de ce que vous m’avez proposé.

— Je comprendrais si vous refusiez, ce n’est pas grave Liam.

— Eh bien, je voulais savoir si c’était possible de faire un essai et après de vous affirmer totalement ma position.

Le visage de Christian s’éclaira soudainement.

— Bien entendu ! Je note donc que vous serez présent au côté de votre ami Kilian, demain, lors de la réunion. Parfait ! À demain vous quatre ! Oui, Cassandra et Fred, je vous rappelle que vous devez être présent exceptionnellement pour faire votre rapport sur vos missions.

Le conseiller, radieux, s’empresserait d’annoncer tout cela à ses camarades. Son sourire faisait presque enfantin et rajeunissait son visage souvent fatigué. C’était tout de même bon de voir les conseillers soulager par des petits détails.