Chapitre 12 :
La petite surdouée commença à angoisser. Gabriel ne pouvait pas l’avoir abandonnée, pas comme cela. Elle entendit des bruits derrière elle, elle se retourna et son sang se glaça dans ses veines.
— Ne reste pas ici ! Va prévenir la tribu ! s’écria Gabriel.
Mais Kendra n’arrivait pas à bouger, prise de court pas le spectacle effroyable qui s’offrait devant elle. Elle réprima un cri d’horreur qui ne se débattit pas et mourut dans sa gorge. La petite fille sentit ses jambes flageoler et tenta de garder son calme. Un homme, ce n’était pas n’importe qui, c’était Nicolas Past. Nicolas Past, l’horrible surveillant des surdoués qui avait été convié à se joindre à la guerre, dans les troupes d’Opartisk. Il se tenait devant elle, alors que tous les surdoués pensaient qu’il était en train de combattre. On l’avait désigné pour une mission bien particulière : retrouver les surdoués. Kendra savait très bien, que ce n’était pas ce qu’il avait souhaité, et qu’avoir encore un rapport avec eux l’agaçait toujours. Pourtant, il était là, à la menacer. Il paraissait moins fatigué mais encore plus menaçant que dans les bâtiments. Déjà qu’il pouvait atteindre un niveau impressionnant dans les menaces et l'intimidation, Kendra se demandait comment il pouvait faire encore plus peur. Il tenait fermement Gabriel par son épaule, et pointait sur la tempe du garçon un fusil. Au moment où Kendra commençait à partir, la voix de l’homme terrible ne la quitta pas.
— Oh que non. Kendra… Tu sais très bien ce que je pourrais faire si tu t’enfuis à nouveau.
Le tuer. Kendra déglutit péniblement et contrôla ses tremblements. Elle ne voulait pas détruire la tribu qui l’avait si gentiment recueillie. Même si elle devait se faire attraper une nouvelle fois. La petite blonde fixa le fusil pointé sur la tempe de Gabriel. Il était… Si innocent. Il ne devait pas mourir. Il ne méritait pas de mourir. Kendra fit quelques pas, retenant ses larmes.
— C’est bien… Tu vois ? Tu peux être obéissante quand tu veux.
— Ne le suis pas Kendra. Si on t’a recueilli, ce n’est pas pour que tu sois emprisonnée une nouvelle fois. Retourne dans la tribu, compris ?
M. Past allait répliquer, mais il n’eut pas assez de temps pour cela. Un bruit assourdissant fit tressaillir Kendra alors que le visage du soldat ne donnait plus aucune expression. Il s’effondra et convulsa par terre avant de perdre connaissance. Était-il mort ? Étrangement, Kendra ne le voulait pas. Pourtant, cet homme était horrible. Gabriel resta à terre. Il n’avait pas été touché, mais il restait juste sous le choc. Kendra vint le prendre par les épaules.
— Ça va aller, tu n’es pas mort.
Une bande d’hommes entoura Past pour le fouiller. Angelo arriva en trombe et s’agenouilla avec Gabriel et Kendra.
— Je t’ai déjà dit de ne pas trop t’éloigner du camp ! Tu es peut-être un futur chasseur, mais tu n’avais rien pour te défendre.
— N’en fais pas tout une histoire. Je n’allais quand même pas rester la regarder se laver. Et puis, si on ne peut plus marcher pour se dégourdir les jambes, marmonna le garçon.
Kendra se sentit rougir alors que Gabriel levait les yeux aux ciels.
— C’est un homme de l’État. Il voulait me ramener. C’était lui qui me gardait les surdoués dans les bâtiments. Maintenant, il est chargé de nous rattraper. Est-il mort ?
Un autre coup de pistolet et tout le monde se regardait.
— J’ai explosé le talkie-walkie. Je ne sais pas s’il a passé un message avant d’attraper Gab, mais on le saura tôt au tard, déclara un homme imposant par ses muscles.
— Qu’est-ce que vous allez faire de lui ? se renseigna Gabriel.
— Eh bien… Habituellement on l’aurait soigné, mais il a attaqué un des nôtres. Ce n’est pas dans nos principes de tuer les gens, même s’il tente de tuer un membre de la tribu. On va donc le laisser là. Sa vie dépend de ses amis Opartiskains maintenant. S’ils ne viennent pas, il sera mort d’ici demain matin, déclara le chef des chasseurs.
— Gabriel. Kendra. Venez avec moi, je vais aller vous chercher quelque chose à manger, après je t’emmènerai voir l’homme que l’on a recueilli, Kendra.
Les deux enfants acquiescèrent en silence puis se levèrent et suivirent Angelo. Passant dans la rue des tentes, ils entrèrent dans une tente rose qui était encore plus grande que la boutique de vêtements d’Alma. Une dame blonde, assez potelée âgée d’environ cinquante ans tournait une grande cuillère en bois dans une grosse marmite. Jusqu’alors, concentrée sur le plat qu’elle cuisinait, elle releva la tête quand Angelo l’appelait pour la énième fois d’affilée.
— Oh. Excuse-moi Ange, je ne t’ai pas entendu. C’est moi ou tu as encore grandi ?
— Rosa… Je ne suis plus un gamin, j’ai trente ans, co-leader et peut-être bien leader officiellement en essai d’ici quelques semaines.
— Excuse-moi. Je vous ai connus bébés toi et ta sœur. Et vous voir si grands. Vous avez tellement grandi, je n’ai pas vu le temps passer. Vous avez tracé votre chemin, je suis tellement fière de vous, de votre réussite.
— C’était notre maman par procuration quand nos parents sont morts, chuchota Gabriel à l’oreille de Kendra. Elle est toujours là pour nous et elle a du mal à nous voir grandir.
— Qui vois-je ! Tu es venu avec mon petit Gabriel, toujours aussi mignon celui-là ! Tiens, je n’ai jamais vu cette petite fille avant, pourtant je connais tout le monde ici, absolument tout le monde ! Qui es-tu ?
— Voici Kendra ! Tu as dû entendre parler d’elle, c’est la petite que j’ai trouvée dans le désert.
C’était donc Angelo qui l’avait retrouvé et recueilli. Cela ne l’étonnait même pas, c’était même évident. Cette tribu était vraiment fraternelle, joviale et chaleureuse. Cela devait sûrement être agréable de vivre dans cette tribu. Ils ne se prenaient pas la tête, ils étaient bons. Le trentenaire demanda à Rosa, la cuisinière de la tribu de remplir deux assiettes pour les deux enfants. La cinquantenaire leur donna un bol à chacun avant de partir vers la réserve. Angelo partit rendre visite à l’Opartiskain recueilli pendant que Kendra et Gabriel s’installèrent à une table pour manger.
— C’est une spécialité de Rosa ! Il y a de la viande et du ragoût tu vas voir, c’est super bon !
Kendra l’observa manger d'abord avant de l’imiter. Le plat cuisiné par Rosa était succulent. Cela remonta le moral de Kendra, qui même entourée de gens bien, se savait perdue dans l’immensité du désert. Loin de sa famille, de l’Opartisk et de l’association secrète. La petite blonde était tout de même très dépaysée. Puis elle repensa à Rosa, qui prenait la fratrie au tatouage de tiges comme ses enfants. Qu’était-il arrivé à leur parent ?
— Ils étaient malades, répondit Gabriel comme s’il avait lu dans les pensées de la surdouée. Enfin… Ma mère était malade. On ne savait pas quelle maladie elle avait, mais elle a fini ses jours sur un lit, à respirer difficilement, dans les bras de mon père. Lorsqu’elle est morte, mon père était désespéré, et il semblait avoir quelques symptômes. On était proche des bombes lancées par je ne sais quel clan, donc on a bougé, et il allait mieux. Il s’est fait tuer par un chasseur inexpérimenté qui voulait tirer sur un animal mais qui a touché mortellement mon père. Cet imbécile fut abandonné par le clan, il est sûrement mort à bout de fatigue et de force. Mon père était un membre reconnu pour son courage et sa détermination, puis on a une valeur qui dit « on est tous des frères et sœurs, si l’un de nous est tué par l’un des nôtres, ce dernier sera exécuté ».
— C’est quand même assez radical puis, c’était par accident tu m’as dit, remarqua Kendra en frissonnant.
— Ouais, mais mon père était un membre indispensable à notre tribu. Accident ou non, c’est un crime quand même et cela n’enlève pas la peine des proches. Il y a une trentaine d’années, l’exécution était publique. Maintenant, on le laisse à sa solitude pour qu’il meure à bout de force dans le désert. C’est peut-être pire, mais nous n’avons ni du sang sur les mains, ni un mort sur la conscience.
Angelo revint et attendit que Kendra eut fini son plat pour l’emmener avec lui. Il l’emmena dans une tente grise, tout au bout de la rue des tentes à gauche. Une bonne dizaine de lits roulants était disposée dans cette tente. Le co-leader de la tribu expliqua à Kendra qu’ils se trouvaient à l’infirmerie et que l’on y trouvait les malades et des blessés. La jeune surdouée, qui n’était pas blessée avait dormi dans la tente d’Angelo et le reste de sa fratrie. Un lit était caché par des voiles violets de la boutique d’Alma, sûrement pour laisser de l’intimité au blessé. Angelo la laissa aller seule, il avait informé l’homme de sa visite. Kendra se faufila près des voiles et passa au-dessus. Un homme à la peau pâle était posé sur le lit. Il avait un bras cassé et le visage en charpie. Plusieurs cicatrices lui barraient les joues, le front et le menton, son œil gauche était blessé et son nez avait été cassé. La petite fille se fit violence pour ne pas détourner la tête. Cet homme était sérieusement blessé à en être handicapé à vie.
— Qui vous a fait ça ?
— Un soldat de l’état. Ils n’ont pas trouvé notre planque, mais quand on est venu inspecter les alentours de votre bâtiment de surdoués en ruine, ils ont bien deviné que l’on faisait partie de l’association qui vous avait libéré de leur griffe. Ils nous ont canardés. Très peu sont encore vivants. La plupart des survivants ont regagné le QG du désert, j’étais encore en vie, le seul, c’est pour cela qu’ils m’ont pris avec eux. Mais je ne serais plus d’aucune utilité pour personne, et la fin approche bientôt pour moi. Je le sais, je le ressens. Je sens la mort qui rode autour de moi. Plus personne ne peut rien y faire, même les médecins les plus compétents. Je suis trop grièvement blessé pour cela, je vais bientôt mourir.
Ce membre de l’association était assez étrange, et son discours était plutôt suicidaire, mais il pouvait l’aider à retrouver les autres. C’était peut-être son seul moyen de retrouver les autres. Kendra le fit continuer, elle n’avait pas de temps à perdre. Et si ses jours étaient comptés, elle devait savoir tous ce qu’il savait avant qu’il meure.
— Les personnes du QG peuvent t’aider à rejoindre l’Opartisk, ils ont des voitures tous-terrains et des hélicoptères. Si tu te présentes à eux, ils vont sûrement te ramener. Tiens. Ce talkie-walkie te permettra de communiquer avec eux. J’étais tellement mal au point que je ne voulais pas leur donner de faux espoir en leur disant que j’étais vivant alors que c’est bientôt terminé pour moi. Contacte-les, raconte leur tout.
Le voile fut arraché et Kendra se retourna tout en bondissant à reculons contre le lit du patient qui roula un peu. C’était Alma, elle avait l’air assez inquiète et semblait faire son possible pour garder son sang froid.
— Kendra, viens avec moi. Je vais cacher ce talkie-walkie avec moi pour le cacher aux yeux de tout le monde, ordonna-t-elle puis se tourna vers le blessé. Un groupe viendra vous déplacer pour vous cacher.
Alma sortit en trombe, de la tente suivie par Kendra qui dû courir pour tenir le rythme. Dans la tribu, les membres semblaient s’agiter, comme si quelque chose de grave ou d’important se préparait. En jetant un regard furtif derrière elle, la petite blonde eut le temps de voir un groupe d’hommes musclés à l’opposer d’eux s’engouffrer dans la tente de l’infirmerie. Alma rentra dans la tente de la fratrie. Gabriel échangea un regard d’incompréhension avec Kendra. Ce sentiment était aussi partagé par la petite Opartiskaine. Alma demanda à Gabriel de sortir et ce dernier s’exécuta sans faire d’histoire, conscient qu’un événement spécial se tramait. Lorsqu’il sortit, Alma ferma la tente et fouilla dans les tiroirs. La jeune femme semblait sous pression, comme si elle avait peur de tout rater.
— Alma. Je voudrais savoir ce qui se passe.
— Ils arrivent, il faut qu’on s’active et vite, répondit-elle précipitamment.
— Vous allez donc me cacher. Où allez-vous m’emmener ? Êtes-vous sûrs qu’ils ne me trouveront pas ?
— Non, on ne va pas te cacher, on ne peut pas, c’est trop compliqué pour le faire. On a déjà eu à faire aux soldats de ton clan, ils fouillent partout, les moindres recoins. On va avoir déjà du mal à justifier la présence du membre du groupe de rebelle qui s’opposent au dirigeant de ton pays. Ils te trouveront même si on te cache.
— Alors qu’allez-vous me faire ? Comment pouvez-vous m’éviter d’être renvoyée avec eux sans me cacher ?
— Tu es resté deux jours à dormir dans le désert, en plein soleil. Cela a considérablement noirci ta peau, vraiment excessivement. Si bien que cela doit vraiment te changer, mais il faut quand même te transformer.
Kendra faillit pousser un cri de surprise. Déjà car M. Past avait bel et bien eut le temps d’envoyer un message via son talkie-walkie, mais aussi car elle avait dormi pendant si longtemps seule dans le désert ! Elle avait de la chance d’être encore en vie. Quelle empotée elle avait été ! La petite fille regarda la peau de tout son corps. Alma avec raison, sa peau était pratiquement mâte à présent alors qu’elle était d’ordinaire pâle, mais cela ne suffirait pas à les tromper. Alma se retourna vers, un ciseau dans la main, une boite et ainsi qu’une aiguille.
— On a environ une heure pour faire tout cela. Nous ne devons pas perdre de temps. Je suis désolée, mais c’est le seul moyen de s’en sortir. Que ce soit pour toi, et éviter des ennuis à notre tribu.
Kendra hocha la tête sans être vraiment prête à cette idée. Ses cheveux d’un blond encore plus claire qu’avant lui arrivait au rein. Ils furent coupés au menton. Opération difficile, Alma réussit à rendre ses cheveux bruns tout en conservant les pointes et une petite partie blonde, comme sa chevelure à elle avant de faire des petites tresses africaines sur le haut du crâne sans les finir. Mais l’opération la plus compliquée était de la tatouer. Kendra avait un peu de mal avec cette idée, même si elle avait déjà laissé Alma changer sa chevelure pour laquelle, elle avait tant de fierté. C’était la douleur qui lui faisait peur. Sauf qu’elle le savait, sans ce tatouage, elle ne pourrait pas duper les soldats de l’armée d’Opartisk. Il remarquerait vite qu’elle serait la seule sans tatouage et ferait vite le rapprochement avec la surdouée du désert, en cavale. Alma hurla à Angelo devenir pour l’aider.
— Ne t’inquiète pas, cela va bien se passer, la rassura Angelo.
Celui qui l’avait recueilli lui sourit et il la tint fermement pendant qu’Alma commençait à la tatouer à la nuque. La petite fille ne put se retenir de hurler. La sensation était loin d’être agréable, mais elle était nécessaire. Mais, sous les avertissements d’Angelo elle se tut, s’ils arrivaient plus tôt, elle serait démasquée bêtement.
— Je comprends que cela fasse mal… On est tatoué bébé donc on ne se souvient plus vraiment de notre rite d’acceptation dans la tribu. Mais c’est logique que cela fasse mal. Sois courageuse, cela va bientôt cesser.
Donc c’était comme cela qu’il l’appelait, le rite d’acceptation. La petite fille imaginait déjà les bébés pleurer de douleur. Kendra s’en souviendra toute sa vie. La surdouée reconnut le signe de la famille du trio lorsque la jeune femme fit les spirales. Quand Alma eut tout juste terminé, Gabriel arriva en courant et ne reprit même pas son souffle pour parler.
— Ils sont pratiquement là ! Dépêchons-nous. Il faut que l’on se rassemble, déclara-t-il avant de repartir accompagner d’Angelo.
Alma, toujours aussi sérieuse et tendue, se baissa pour être à la hauteur de Kendra et la regarda, comme pour la prévenir qu’il ne faudrait faire aucune gaffe.
— À partir de maintenant, tu es Malia Sionava.
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