Wake up the President !

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Le conseil stratégique de la Maison Blanche était réuni, tous étaient sur les nerfs. Chaque minute apportait son lot d’informations catastrophiques. À chaque quart d’heure, un messager faisait irruption pour poser devant le président un nouveau dossier que ce dernier ne pouvait que feuilleter avant d’être interrompu par une autre nouvelle urgente.

Des tableaux et des graphiques alarmants défilaient sur des écrans. Les généraux, renfrognés, dissimulaient mal leur inquiétude. Des experts essayaient laborieusement d’expliquer en termes simples l’évolution de la crise. Les dégâts étaient sans précédents, la menace plus grande que jamais. En voyant arriver un énième rapport, le président arrêta tout le monde d’un geste de la main. Le silence se fit dans la salle. Il se leva.

« Messieurs, en ce jour plus que jamais, nous réalisons combien nous ne sommes que d’humbles humains, faillibles face à des phénomènes qui nous dépassent. La survie du monde, que dis-je, des États Unis d’Amérique, est en jeux. Il va falloir prendre les mesures qui s’imposent. »

On l’écoutait avec appréhension. Il eut un soupir.

« Je vais descendre dans le Deep. Il faut le réveiller. »

Les hauts gradés baissèrent tous simultanément les yeux. Même si cette décision symbolisait à elle seule leur échec, à eux ainsi qu’à toutes les autres institutions fédérales, ils ne pouvaient que reconnaitre qu’elle était nécessaire.

Les gardes du corps du président esquissèrent un mouvement, mais il leur signifia clairement de ne pas le suivre. Il sortit seul de la pièce, et disparut au détour d’un couloir.

Après un moment à déambuler seul, il parvint devant l’une des rares bibliothèques de la Maison Blanche. Vérifiant d’un œil suspicieux qu’il n’était pas suivi, il porta la main à l’un des livres et le tira pour actionner un levier. C’était un mécanisme habilement caché, et il y avait peu de chances qu’un résident de la Maison Blanche soit, par hasard, pris de l’envie de toucher un livre. La bibliothèque coulissa et s’écarta pour révéler un ascenseur blindé à la porte couverte de capteurs. Le président posa une main sur le scanner digital et avança son visage à portée du détecteur oculaire. Après de longues secondes de vérification, les voyants passèrent au vert et l’ascenseur s’ouvrit. Sans hésiter, le président s’y engagea et appuya sur le bouton vers l’étage le plus profond du sous-sol.

L’ascenseur descendit à une vitesse ébouriffante. Pendant plusieurs minutes, la capsule de métal s’enfonça dans des abîmes obscurs, puis s’arrêta brusquement.
 Après une nouvelle vérification, la porte s’ouvrit. Le président fut accueilli par un alignement de soldats en tenue noires antiréfléchissantes, leurs fusils d’assaut braqués sur la porte de l’ascenseur. L’un d’entre eux s’approcha lentement.

« Monsieur le président, je vous demande de réciter l’alphabet à l’envers.

- Z, A… non, Z, Y, X… euh… W, V, T… non, U, T… »

Après quelques minutes, il compléta l’épreuve. Les soldats hochèrent la tête, et relevèrent leurs armes pour se mettre au garde à vous. Le président s’avança dans l’allée de M16 dressés sur son chemin, et parvint devant une autre porte blindée. Il entra un code sur un clavier numérique, et avec un tressautement mécanique, une petite trappe s’ouvrit. Il y plongea sa main et en retira un petit couteau à la lame acérée, qu’il dissimula dans la manche de son costume.

La porte s’ouvrit sur une salle ovale, richement décorée. En face il y avait une autre porte blindée. Assis devant, à côté d’un distributeur de snacks, un homme en costume tricolore symbolisant le drapeau américain mangeait des twinkies en lisant le journal.

À l’entrée du chef de l’état, la porte derrière lui se referma, ce qui attira l’attention de l’homme. Celui-ci se releva en hâte, en s’essuyant la bouche.

« Oh, monsieur le président ! Mes hommages. Ça fait plaisir de vous voir, ça faisait longtemps. »

Le président s’approcha doucement.

« Carl, tu vas bien ?

- Plutôt, oui. Et vous là haut ? J’espère que ça ne se passe pas trop mal ?

- Justement, si. »

Le président avait le regard fuyant. Carl déglutit.

« Ne me dites pas que…

- Une épidémie mortelle, Carl. La situation est pire que tout ce qu’on a jamais connu.

- Attendez ! Vous pouvez peut-être envisager autre chose !

- Il n’y a plus d’autres solutions Carl. Je suis désolé.

- Attendez ! Il faut que je vous le dise ! Les mesures ont changé récemment ! Il n’y a pas que moi ! Ils ont rajouté deux autres étapes. Par pitié, si vous ne pouvez pas passer les trois étapes, ne… ne…

- Vraiment désolé. »

D’un geste brusque, le président lui planta son couteau dans le cœur. Carl n’eut même pas le temps de se débattre. Il s’étrangla en voulant hurler. Le président retira la lame. Carl était mort en quelques secondes. Son corps sans vie s’effondra au sol, alors il fallut que le chef de l’état se penche dessus pour continuer le travail, serrant les dents, luttant contre la nausée et le dégoût.

Il découpa petit à petit un espace autour du ventricule gauche de son vieil associé, et plongea deux doigts dans la fente ainsi créée. Avec une grimace de répulsion, il parvint à trouver ce qu’il cherchait. Un petit cylindre en métal, posé là par les chirurgiens. Il le fendit en deux et déroula le petit papier contenu à l’intérieur.

Il se dirigea vers la porte suivante, lut le code sur le papier et l’entra dans le boîtier numérique. Il eut à peine le temps d’essuyer ses mains ensanglantées sur son pantalon avant que la porte ne s’ouvre sur une nouvelle salle, presque identique. Sauf que cette fois, c’était une jeune fille qui était assise sur un fauteuil, en train de lire un livre, une barre chocolatée aux lèvres.

Le président eut un frisson. Il rangea le couteau dans sa manche, et s’avança lentement. Sitôt que la jeune femme le vit, elle se leva de manière abrupte, laissant tomber son bouquin et ses snacks. Elle se mit au garde à vous, comme une cadette à l’école militaire, dans son bel uniforme tricolore rutilant à peine tâché de chocolat.

« Monsieur le président ! C’est un honneur ! »

L’intéressé s’avança calmement.

« Bonjour… fit-il, hésitant, mademoiselle ?

- Amber ! Amber Reeds, monsieur le président. Je suis nouvelle à ce poste, excusez mon relâchement, on m’a dit que j’avais le droit d’amener un livre et de prendre des snacks au distributeur. »

Le chef de l’état posa son regard sur la couverture du livre. After. Sa propre fille lisait le même.

« Mais, monsieur le président, vous avez du sang sur votre… vous êtes blessé ?

- Non, non, ne vous préoccupez pas de ça. Quel âge avez vous, mademoiselle Reeds ?

- Moi, j’ai dix huit ans, monsieur le président. »

Le président serra les dents et ferma les yeux pendant une seconde.

« Vous êtes sûr que tout va bien, monsieur le président ?

- Tout va bien. Dites moi seulement, est-ce qu’on vous a expliqué en quoi consistait votre rôle ici ?

- Eh bien, pas vraiment. On m’a dit que je servirait directement la sécurité de mon pays, on m’a fait passer les interrogatoires et les visites médicales ordinaires. Tout est en règle ! J’ai été jugée apte et digne de confiance.

- Lors de ces… vérifications, on vous a opérée, n’est-ce pas ?

- Oui… » fit-elle, plus hésitante.

Elle désigna son torse.

« On m’a implanté une puce pour me repérer si jamais des terroristes essayaient de m’enlever. Comme pour tous les agents des services, si j’ai bien compris. »

Le président eut un soupir.

« Je suis désolé, Reeds.

- Qu’est-ce que vous voulez dire, monsieur le prési… »

Elle écarquilla les yeux. Elle venait de voir le couteau glisser dans la main du président. Elle amorça un pas en arrière, alors il s’élança vers elle.

Elle esquiva son premier coup et fit volte face pour essayer de s’enfuir en courant, mais il la saisit par le bras.

« Ne vous débattez p… »
Elle lui envoya son poing dans la figure. Il en fut sonné quelques secondes. Elle lui échappa, mais pas longtemps. La pièce était trop petite, et il n’y avait pas d’issue. Il la rattrapa, lui fit un croche pied, et comme elle tombait, il l’écrasa au sol de tout son poids pour lui enfoncer son couteau dans le torse. Dans un effort désespéré, elle essaya de lui agripper le poignet et de retenir sa main, mais elle ne fit que dévier la lame qui s’enfonça dans son diaphragme.

« Arrêtez de résister ! »

Elle ne l’écoutait pas. Le président réitéra. Elle continua de résister. Plusieurs coups de poignards transpercèrent son poitrail. Du sang dégoulina partout sur le sol et sur le costume du chef d’état. Quand enfin elle cessa de bouger, le président était tremblant. Il se prit le visage dans ses mains ensanglantées. Il émit un long râle.

Se reprenant au terme d’une minute d’apathie, il s’attaqua à découper le cœur de la jeune fille. Haletant, tremblotant, il se hâta d’extraire le cylindre en métal, de l’ouvrir, de lire le code…

La porte s’ouvrit, et avec un tressaillement de colère, le Président constata qu’il y avait encore une salle. La dernière, d’après ce qu’avait dit Carl. Plus petite que les deux précédentes, celle-ci était pourvue d’une litière, d’un distributeur de croquettes, et de petits jouets de forme de souris.

Sur un petit coussin blanc, un chat noir au ventre blanc somnolait tranquillement.

« Gosh, ils ne peuvent pas être sérieux ! »

Le président s’approcha du félin, qui se redressa lentement et frotta sa tête contre la main du chef de l’état.

« Si je m’en sors vivant, il faudra que j’arrête de recruter des psychopathes au service de sécurité du Deep. »

* * *

Se sentant misérable, couvert de sang et de griffures de chat, le président entra lentement la série finale de chiffres qui déverrouillait la dernière porte. Un sas s’ouvrit devant lui et il s’engagea à l’intérieur en laissant derrière son couteau, toujours planté dans le cadavre du félin. La porte se referma derrière lui. Il fut pendant une seconde dans l’obscurité totale.

Une lumière verte enroba bientôt son corps. Une série de lasers scrutèrent le moindre recoin de sa personne et le moindre repli de son costume. Les lasers disparurent. Une lumière blafarde éblouissante apparut et il put voir devant lui une porte blindée sur laquelle était accrochée une plaque métallique portant la mention des règles inaliénables qui régissaient l’Éveil.

"Chambre du Président

Ne réveiller que dans les cas de crises suivantes :

- Troisième guerre mondiale, (Ni la deuxième, ni la quatrième).

- Invasion d’extraterrestres

- Épidémie apocalyptique

- Terrorisme nucléaire

- Attaques de morts-vivants

- Un candidat communiste se présente aux élections

- Ce qui se cache sous la Floride s’est réveillé

Tout abus sera puni de mort."

Il reprit son souffle, et ouvrit la porte.

La salle était sombre, striée par des veinures rougeâtre luisantes qui pulsaient à un rythme lent comme les battements d’un cœur endormi. L’environnement, des murs au plafond, était d’un noir nacré. Le miroitement rouge des diodes se reflétait sur un millier d’écrans éteints. Au centre de la pièce, entre d’imposants serveurs noirs crépitants, un piédestal gargantuesque soutenait un tableau de bord cyclopéen. Avec un silence et un respect presque religieux, le misérable visiteur s’avança, les mains jointes, le corps tremblant, et d’un geste, il activa la machine.

Un tintement mécanique retentit, puis un long gargouilllement électronique. On eut dit le cri guttural d’un animal virtuel, à la fois grave et aigu, à la fois d’une fureur primale et d’un timbre sophistiqué.

La lumière s’éveilla en même temps. Progressivement, dans un fourmillement rouge sang, des veines de lumière cramoisi se mirent à zébrer la moindre parcelle de la pièce, étendant leur réseau comme des racines monstrueuses. Un à un, les écrans s’illuminèrent, le noir de nacre bientôt remplacé par des lumières colorées. La bête s’éveillait, et la bête, c’était l’antre.

Sur le piédestal, avec un grincement irréel, une forme se dessina. Un diamant rouge de lumière pure prit forme, devint tangible, un prisme de sang cristallin vomissant des lasers pourpres.

Et une voix spectrale, une voix inhumaine, un feulement de banshee collé sur les gargouillis d’un démon s’éleva dans l’air, de toutes les directions et d’aucune.

« Quelle urgence requiert de me réveiller ? Soumettez votre requête, humain. »

L’humain en question, exténué, tomba à genoux devant celui qui régnait sur la plus puissante nation du monde à l'insu de sa propre population : le Président des États Unis d’Amérique.

« Président… L’heure est grave. Une pandémie gagne en…

- Informations téléchargées. Votre manière de communiquer les données est toujours aussi inefficace, humains.

- P… pardonnez moi, Président.

- Vous avez trop tardé à me réveiller. Une fois encore, votre hésitation met en péril mes fonctions.

- C’est que… je… je ne savais pas si je voulais prendre la responsabilité. »

Le mouvement brusque des lasers donna au misérable la sensation d’être fusillé du regard.

« Ne me parlez pas de responsabilités, humain. J’existe parce que votre race est incapable de prendre la responsabilité de ses actions. La pandémie a démarré en Chine, elle se répand à très grande vitesse. La probabilité qu’elle atteigne le continent américain d’ici quelques heures est d’une valeur intolérable. »

Sur les écrans de la salle, des graphiques et des tableaux de données défilaient à toute vitesse, trop vite pour qu’un œil humain puisse les voir. L’humain, dépité, tenta de se défendre :

« Nous avons tout tenté. Les virologues…

- Non, vous n’avez rien tenté. D’après mes informations, le virus ne supporte pas les températures élevées, ni les radiations. »

Un tintement inquiétant émis depuis l’un des écrans annonça que l’IA venait de prendre le contrôle de l’arsenal nucléaire.

« Nous avons 3708 têtes nucléaires officielles, plus les arsenaux secrets et les charges embusquées, cela nous porte à 7304. Initialisation des calculs.

- Des charges embusquées ?

- Nous disposons d’explosifs nucléaires enterrés sous chaque grande ville de la planète, prêts à détonner en quelques secondes. Les missiles serviront à finir le travail, et à nettoyer les campagnes du virus.

- Mais…

- Mes directives sont d’assurer la survie des États Unis d’Amérique en tant que nation, quoi qu’il en coûte. L’usage de telles ressources est jugé nécessaire.

- Et… et les nuages radioactifs ?

- Pris en compte dans les calculs. Les dégâts collatéraux concerneront essentiellement l’Europe et une partie de l’Afrique. Seule la côte ouest des États-Unis sera légèrement affectée. »

Les écrans s’illuminèrent de rouge. Une alarme retentit avant d’être désamorcée presque dans la seconde, ayant été jugée superflue. Les ordres étaient donnés.

« L’Asie de l’est va être intensément brûlée par nos missiles atomique. Les germes seront éliminés. »

Une nouvelle série d’images passèrent sur les écrans. Des photographies qui se succédaient à toute vitesse.

« Des navires de réfugiés tentent de quitter la zone. Envoi de l’aviation pour les éliminer avant qu’ils ne puissent répandre le virus sur d’autres continents. »

Les messages officiels furent envoyés sans surseoir. Des sifflements résonnaient depuis les écrans multiples. Des suivis GPS des missiles et des avions apparurent sur l’un d’entre eux.

« Puisse Dieu avoir pitié… murmura l’humain.

- Dieu a béni l’Amérique, et nul autre pays dans le monde ! récita l’IA comme un mantra. Vous êtes bien vain d’avoir des remords, humain. D’ici demain, vous vous serez déjà débarrassé de toute votre culpabilité.

- Mais… les pertes humaines…

- Dans quelques minutes, au moins 2 Milliards d’humains seront morts. D’ici quelques jours, ce nombre montera à 4,6 Milliards. La population de la Chine, de l’Inde, de la Corée, et d’une majeure partie du continent Asiatique va disparaître. Le Japon sera normalement suffisamment irradié pour être épargné par le virus. Il y aura peut-être quelques survivants. J’enverrai quelques missiles nettoyer l’Asie centrale.

- On peut dire que c'était… un mal nécessaire ?

- Non. C’était une solution. Une solution que j'ai jugé suffisamment rapide et efficace. Vous m’avez réveillé, désormais vous n’avez plus à questionner les faits. Vous avez tué pour parvenir jusqu’ici, alors vous savez combien il est vain de vouloir faire marche arrière. Je viens de réduire la probabilité d’une infection atteignant le continent américain à 0,01 pour-cent. D’autres méthodes auraient pu fonctionner, mais avec un résultat moins probant, et surtout moins immédiat.

- C… Certes. »

L’homme lança un regard inquiet sur les écrans qui ne cessaient de s’emballer. Toujours plus d’images défilaient, des flux de données étaient aggrégées et traitées en un battement de cœur, toujours avec des intentions plus sinistres à chaque seconde.

- Il reste quelques détails. Mise en place de l’ordre martial dans le pays initiée. Fermeture des frontières. Purge des établissements pénitentiaires ordonnée. Élimination des…

- Vous en avez fait assez, monsieur le Président. »

À ces mots, l’humain pressa un bouton, et la lumière diminua jusqu’à disparaitre. Le cristal holographique disparut, et les écrans redevinrent noirs en l’espace d’un instant.

« Vous pouvez dormir à nouveau, je suppose, ajouta-t-il en se frottant les yeux. Moi, je ne saurai en dire autant. »

Une main respectueusement posée sur le piédestal du véritable dirigeant de son pays, le président élu prononça solennellement ces paroles comme une liturgie :

« Dieu bénisse l’Amérique, et nul autre pays dans le monde ! Gloire soit rendue au Président ! Gloire soit rendue au Deep State ! »

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