Le chevalier renégat (2/4)

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Rupert était un curieux bonhomme pour la communauté. Il faisait manifestement des efforts quasi surhumains pour accomplir toutes les choses les plus simples et les plus élémentaires. Son sourire ne paraissait pas faux, mais il paraissait comme le résultat d’une lutte acharnée. Pour marcher, il puisait dans tout ce qu’il avait comme ressources. Pour lever un bras, il se tuait. Pour prononcer un mot, et il en prononçait beaucoup pour paraître sociable, il était clair qu’il se déchirait mentalement.
Il échangeait un peu avec ses écuyers, des techniciens à l’allure moribonde, cyborgs vêtus de cuir noir et bardés d’augmentations ostentatoires qui leur dévoraient les bras et le visage. Ils étaient armés jusqu’aux dents, quand Rupert lui même ne portait que le poids de son matériel de chevalier. Amine et Amrita s’étaient portés volontaires pour accompagner le groupe d’arrivants tandis qu’ils passeraient en revue la Barde.
« Je vois que vous vous êtes pas mal amusés » s’était exclamé Rupert en découvrant les logos qui parsemaient le blindage de la machine.
- On lui a donné une nouvelle identité, ouais, répondit Amine en haussant les épaules. Qu’elle ne garde pas celle que le Kaiserreich lui avait donné. »
Rupert s’immobilisa aux pieds de l’engin titanesque, contemplant sa structure antique.
« C’est une Barde très ancienne, qui date de l’Armageddon. Vous l’avez trouvée ici même ?
- On aurait pas pu la déplacer de toute façon.
- Ah ah, pas faux. Mais au vu de l’endroit, je ne serai pas étonné que cette Barde n’ait pas du tout servie depuis la fin de la guerre contre les IA Séraphim.
- Vous croyez ? Intervint Amrita. À quoi vous le voyez ?
- À certains marquages incrustés dans son métal, mais aussi à l’arme de son bras gauche. »
Malgré l’inutilité du geste, il fit l’effort de lever une main pour montrer du doigt ce dont il parlait tout en dissimulant assez mal un rictus de douleur à la commissure de ses lèvres.
« Si je ne m’abuse, c’est un déflagrateur à antiflux. Une arme très ancienne qui n’a été utilisée que lors de ce conflit. C’était si coûteux à entretenir que, face à d’autres adversaires, ça n’en valait simplement pas la peine.
- Ah vraiment ? »
Les yeux d’Amrita s’illuminèrent.
« On a mis la main sur un vrai trésor dites donc.
- Un trésor archéologique, la reprit Amine. Mais si cette arme est si complexe à entretenir, ça va plus nous embêter qu’autre chose.
- Pas forcément ! intervint Rupert. On peut complètement reconvertir le système d’arme en une espingole à percussion. Pour les corps à corps, ça serait parfait.
- Vous avez déjà eu à en utiliser ?
- Mon ancienne Barde utilisait un autre type de pistolet, un lance plasma de proximité imbriqué dans une targe. »
Rupert avait parlé immédiatement, sans contretemps, mais le silence qui s’ensuivit trahit immédiatement combien il lui coûtait d’évoquer le sujet. Ses yeux se mouillèrent immédiatement de larmes, mais il les retint au prix d’un grand effort.
« Il y a encore un peu de boulot au niveau des armes, mais vous avez bien avancé, reprit-il comme si de rien n’était. Moi et mon équipe allons nous pencher sur le réseau synaptique. Vous ne pouvez pas imaginer comme je suis impatient de pouvoir à nouveau croiser le fer avec les sbires du Kaiser.
- Vous les avez beaucoup affronté par le passé ? »
La question avait échappé des lèvres d’Amrita. La jeune femme était peut-être plus curieuse qu’il ne convenait, mais la grimace que fit son ami Amine ne la convainquit pas de retirer sa question. Depuis le début, une interrogation lui brûlait les lèvres, et la perspective de blesser la sensibilité d’un étranger ne suffirait pas à l’empêcher de la poser.
« Je veux dire, pour être chevalier, vous avez bien dû appartenir à une lignée de chevaliers, même si vous êtes… enfin…
- Impropre génétiquement, vous voulez dire ? »
Rupert souriait, ses écuyers derrière lui affichaient des mines contrites. Amine se prenait le visage dans les mains.
« Oui, voilà ! continuai la jeune femme. Et je veux dire, avant de rejoindre le camp anarchiste, vous avez bien dû vous battre avec le Kaiserreich à un moment. Enfin je suppose, surtout vu la qualité de vos implants.
- Tout à fait. Je suis… techniquement le dernier d’une grande lignée de chevaliers impériaux. Mon nom complet c’est Rupert Wittelsbrück von Weißenturm. »
Ses yeux se levèrent vers le plafond opaque de la megastructure.
« Je n’ai qu’un seul regret vis à vis de ma famille, c’est de ne pas les avoir trahi plus tôt.
- Mais je croyais que toute la noblesse impériale était…
- Les manipulations génétiques, ça n’est jamais sûr à cent pour-cent. Tous mes frères et sœurs correspondent aux canons de beauté et de pureté de l’empire. Beaux, athlétiques, gracieux, stupides… Moi, j’ai hérité de tout le reste. Toutes les familles nobles ou presque ont des engeances comme moi, qu’ils tiennent cachés. J’avais toutes les prédispositions pour faire un bon chevalier, dont le fait d’être sacrifiable. Alors j’ai suivi les conditionnements, puis les entrainements, et j’y ai survécu, alors j’ai hérité de la Barde familiale. »
Ils entrèrent dans un ascenseur de fortune installé là par les anarchistes. Le mécanisme, quelque peu rudimentaire, grinça sous le poids des passagers et surtout de Rupert avec ses lourds implants. Tous étaient silencieux à présent, mais il continuait son histoire.
« Comme j’étais un assez bon chevalier, j’ai fini par attirer l’attention, avec plusieurs victoires en duel, mais, comme beaucoup de chevaliers du Kaiserreich, je n’étais pas… présentable. Plus encore avec mon apparence. Alors mes parents m’ont créé un frère homonyme, un être génétiquement parfait, un beau blond aux yeux bleus avec la prestance d’un grand seigneur et complètement dépourvu d’une personnalité en dehors de son amour pour les uniformes d’apparat et les célébrations mondaines. Ils l’ont fait passer pour moi. À chaque fois qu’on me décernai une récompense, une médaille ou l’insigne d’un ordre de chevalerie, c’est lui qui assistait aux cérémonies. Chaque fois qu’on m’invitait à une célébration ou une fête, c’est lui qui allait aux mondanités. Moi, je me contentai de risquer ma vie et ma santé mentale pour un empire qui me considérait comme une rature humaine, une imperfection à camoufler à tout prix. Je pouvais m’estimer chanceux, par rapport aux milliards d’humains qui finissent parqués dans des réserves, mais entre l’exclusion, la solitude, la stérilisation forcée et le mépris constant de mes proches, j’ai fini par comprendre que je n’avais strictement aucune raison de servir cet empire. Alors j’ai profité d’une campagne militaire face aux forces anarchistes pour changer de camp. »
L’ascenseur s’immobilisa. Ils étaient au niveau du milieu du dos de la machine. Les écuyers sortirent plusieurs appareils et commencèrent une analyse poussée des réseaux internes de la structure.

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