Le jeu le plus dangereux (mais pour qui ?) 3/3
Le lendemain, tôt le matin, les deux chasseresses se préparèrent soigneusement. La marquise opta pour ce qu’elle avait préparé de plus riche et impressionnant. Elle enfila un ensemble bleu azur décoré de festons d’argent, une ample redingote couleur gris pâle, et un chapeau de feutre de même teinte décoré d’un panache blanc et épinglé de petits écussons métalliques aux motifs de ses armoiries.
Ses bottes en cuir blanc étaient décorées de fils d’argent qui entouraient les gaines de deux longs poignards élégants. Ses mains étaient couvertes par des gants fins en soie blanche marqués d’un motif violet sur la main gauche et cramoisi sur la main droite.
Le revers de sa redingote était de velours rayé en une cascade de couleurs faisant un dégradé de l’orange au magenta, et abritait dans une myriade de petites poches des munitions pour les différentes armes qu’elle emportait.
Son arsenal comprenait un mousqueton à répétition, un djezzail à canon long, deux revolver, un couteau de chasse, et une grenade à mèche artisanale. Une fois parée de pied en cap, elle se masqua d’un loup noir décoré de bas reliefs dorés.
La comtesse, elle, redoubla d’efforts dans ses motifs terrifiant. Elle avait troqué ses cuissardes pour des bottes noires et ocre pointues qui remontaient par dessus un pantalon de cuir robuste décoré de fils carmin qui formaient des motifs occultes. À sa ceinture pendaient par de larges chaînes de métal noir des instruments de torture et des pièges divers ainsi qu’un long fouet en lanières de cuir rouge roulé amoureusement contre sa hanche.
Son haut comportait un gilet carmin et anthracite, avec au milieu du torse un grand pentacle couleur d’hémoglobine, le tout surmonté par un col jabot qui constituait le seul blanc de sa tenue. Ses manches noires se terminaient en froufrou sur ses poignets. Elle arborait une veste en brocart noir, ouverte à l’avant, avec une doublure qui répondait au revers de la redingote de son amie puisqu’elle y avait également fait mettre un motif rayé alternant magenta, lavande et bleu régalien.
Ses gants étaient de cuir noir, et en guise de chapeau elle avait choisi un tricorne piqué de plumes de pan. Son visage était recouvert par un maquillage qui camouflait presque jusqu’à sa nature d’humaine, tant sa peau était blanchie et mise en contraste avec des motifs rouge et noirs qui la faisaient ressembler à un cauchemar vivant et soyeux. À sa hanche était suspendu une chachka élégante ornée de motifs en forme de crâne, et son arsenal personnel se complétait avec une dague cachée sous l’aisselle, un revolver long de métal noir à la crosse chryséléphantine, et un fusil à levier relativement court.
Ce n’est qu’une fois apprêtées et armées que les deux aristocrates relâchèrent leurs prisonniers. Tous. Une soixantaine qu’elles rassemblèrent dans la grand salle, en plein jour, pour leur expliquer les tenants et aboutissants de ce qui les attendrait.
Il y en avait exactement cinquante cinq. Pour les convaincre de fuir rapidement, elles en tuèrent un dès le début de l’exposition, puis elles tirèrent dans le tas pour convaincre la foule de courir vite et loin. Les individus désarmés et paniqués comprirent bien vite qu’ils n’avaient que peu de chances de s’en tirer vivants s’ils restaient se battre, mais surtout, les règles n’étaient plus les mêmes :
À l’autre bout de l’île, un esquif les attendait. Un petit voilier qui permettrait, au moins à certains d’entre eux de quitter l’île, s’ils avaient la ruse et la force pour leur échapper.
Et puis, Inanis et Elayne s’assirent au milieu des cadavres, et discutèrent pendant un moment. Il y avait déjà cinq corps exsangues au sol, et le simple fait d’avoir tué dans l’enceinte même de la villa les avait excité bien plus que tous les jours précédents. Le simple caractère transgressif de la chose était grisant. Leurs espoirs étaient revenus, et elles discutaient maintenant gaillardement, avec entrain.
Elles attendirent une heure. Puis deux. Elles rongeaient leur frein, mais elles tenaient à laisser le temps à la meute de fuyards de s’organiser et de réfléchir. Elles ne voulaient pas traquer un troupeau terrifié, elles voulaient affronter une meute du gibier le plus dangereux. Il fallait qu’ils préparent des pièges et des embuscades, qu’ils essayent de retourner la situation, c’était l’objectif même. En plus, avec l’espoir d’aller chercher des secours, ils feraient peut-être des miracles, ça semblait évident.
Au bout de trois heures, elles se mirent en route. Leurs sourires étaient carnassiers tandis qu’elles avançaient, armes à a main et tous les sens en alerte. Puis elles déchantèrent.
Huit des prisonniers n’avaient pas fait une centaine de mètres en dehors du jardin. Certains avaient trébuché puis s’étaient fait piétiner par les autres. Deux d’entre eux avaient glissé et fait une mauvaise chute. Un autre se devinait dans la silhouette grossière d’un boa qui paraissait si repu qu’on pouvait presque l’entendre roter.
Quatre autres s’étaient retrouvés bloqués dans de la tourbe, et plutôt que de leur venir en aide pour les sortir de ce mauvais pas, les autres les avaient abandonnés à se faire dévorer par les charognards locaux.
En avançant un peu plus et suivant des traces, les deux chasseresses constatèrent que pas moins de onze prisonniers avaient été attrapés par des jaguars qui les dévoraient maintenant confortablement depuis la cime des arbres. De dépit, Inanis abattit l’un des fauves, histoire de se passer les nerfs.
Elles découvrirent pas moins de sept fuyards morts, rigidifiés au sol, surement par des morsures de serpent ou des piqûres de scorpion. Quatre autres avaient apparemment trouvé la mort en essayant de manger des choses qu’il valait mieux ne pas toucher. La marquise écrasa du pied une grenouille multicolore comme pour se venger. Un huitième larron, un homme qui avait dû en imposer à une époque au vu de son gabarit, fut retrouvé vivant par les deux chasseresses à côté d’un buisson aux jolies baies roses, occupé à vomir et convulser au sol. Après avoir attendu quelques minutes pour voir s’il allait s’en remettre, elles l’achevèrent à l’arme blanche.
L’unique falaise de l’île avait été le théâtre d'une hécatombe. Tous n’étaient pas morts sur le coup, mais il y en avait au moins dix qui n’étaient plus en état de courir pour n’avoir pas imaginé de plan plus élaboré que de courir tout droit vers la mer. Les deux aristocrates criblèrent les corps de balles, mais n’en retirèrent strictement aucun plaisir.
Au sortir de la forêt, elles virent que plusieurs de leurs proies avaient été tuées par des pieux en bois et de grosses pierres. Après un moment d’incompréhension , elles comprirent qu’ils s’étaient entretués car ils estimaient l’esquif trop petit pour tous les contenir.
Plus proche de la plage, leur déconfiture fut totale. Elles trouvèrent les traces du combat entre les deux derniers survivants. Visiblement, les deux, ou peut-être un seul, s’étaient persuadés que l’épreuve ne pouvait supposer qu’un seul vainqueur. Aussi ce dernier avait-il étranglé son compagnon et embarqué seul avec le navire. Ce voilier n’étant pas apte à être manœuvré par un seul homme, le vainqueur en question devait par la suite se retrouver incapable de faire avancer le navire dans une direction précise, condamné à tourner en rond ou à faire du sur-place. Quelques jour plus tard, son corps, mort de déshydratation, serait rejeté par les flots sur la plage même qu’il venait de quitter.
La comtesse Inanis von Stolzberg ne pratiqua plus jamais la chasse. Elle rentra chez elle et se consacra à un nouveau passe-temps consistant à peindre des figurines de soldats miniatures. Elle et la marquise Elayne Llangollen de Latterswick vécurent heureuses et eurent beaucoup d’enfants.
Fin
Annotations
Versions