L'attaque des Hécatonchires

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Cette fois encore, leurs effectifs étaient insuffisants. La milice de l'aube n'avait pu envoyer que trois hommes. Ils arrivèrent au milieu du chaos hurlant, voyant passer de tous côtés hommes femmes et enfants apeurés, tachés de cendres de sang et d’autres fluides n’étant pas natifs de cette planète. Certains civils étaient simplement immobiles au milieu du carnage, paralysés par l’effroi. Ici un homme s’effondrait sans blessures, les yeux écarquillés, incapable de réaliser que ce qui arrivait était réel ; là un enfant en chemise tachée de sang et de boue pleurait debout sans discontinuer.

Harald dégaina une épée bâtarde et dans le même temps décrocha sa cape blanche qui tomba au sol dans la boue retournée et les intestins. Les deux mages qui l’accompagnaient avaient déjà commencé à incanter, mais la terreur environnante n’était pas pour les aider.

En face, piétinant les façades éventrées des maisons et broyant entre des serres tentaculaires les restes de cadavres liquéfiés, les monstres progressaient d’une démarche lente mais implacable dans un silence contre nature. Pas un son n’émanait d’eux, de leurs têtes sans bouche ou même de leurs mouvements. Les corps qu’ils touchaient directement craquaient sous le poids monstrueux puis se taisaient, absorbés par le même silence d’outre monde. Leurs corps, tantôt rigides comme du marbre taillé en des figures géométriques d’une précision impossible, tantôt mélanges de chairs contre natures s’agglutinant et se coagulant dans des masses de muscles de tendons et de tentacules incolores ; se tordaient avec une lenteur maladive et des mouvements saccadés de machines aveugles dédiées à une destruction que nul, pas même elles, ne comprenait réellement.

Harald, passé un instant de répugnance absolue qui vit son faciès se tordre dans une grimace affligée, se décida à adopter sa posture d’escrimeur, l’épée levée bien haut avec sa pointe rutilante pointant vers les ennemis absolus du genre humain.

Nul dialogue n’était possible avec ces créatures sourdes, engeances d’une autre sphère d’existence, mais il eut le réflexe chevaleresque de leur crier une bravade qui ne rencontra rien qui soit semblable à une réaction. Il serra les dents avec autant de vigueur que s’il voulait mordre ses ennemis et s’élança vers la créature la plus proche, un solide tridimensionnel rappelant un dodécaèdre défiguré par une forêt de tentacules ignobles se déployant dans des directions incohérentes. La lame enchantée du paladin effleura le marbre écailleux qui constituait le cuir surnaturel du monstre et trouva un point faible dans une sorte de branchie qui se dessinait sur l’une des faces anormalement lisse du solide. La lame plongea dans une chair blanchâtre de lézard et un ichor vénéneux se mit à dégouliner par une multitude de pores invisibles. La chose vacilla avec un couinement inexistant pour finalement se déchirer en deux et s’effondrer dans une surprise silencieuse.

Les deux mages levèrent hauts leurs sceptres et les orbes de verre blanc qui les surmontaient s’illuminèrent d’un éclat interne qui parvint en un instant à éclipser le soleil. Ils canalisèrent tant l’énergie lumineuse qui les environnait, que le ciel s’assombrit pendant un micro instant. Il y eut une seconde où la nuit était tombée sur le village et cette pénombre se vit transpercée par un rayon d’une blancheur intolérable qui foudroya un immense cube flottant à quelques mètres du sol, occupé à dévorer le cadavre d’une jeune fille. Le cube s’agita et se mit à briller de l’éclat de mille runes qui n’appartenaient pas au même univers que sa surface d’albâtre. Les runes ensorcelées, à la manière d’une maladie exotique pour le monstre extraterrestre, provoquèrent des tremblements erratiques et bientôt l’on put voir jaillir des traits de lumière de son corps géométrique, éventrant sa masse de marbre en lui arrachant la vie et la consistance avec un éclat nitescent, ne laissant qu’une flaque blanchâtre évidée à gésir sur le sol.

Le paladin ne resta pas en reste. Son uniforme d’un blanc de nuage ballotait contre sa peau, soufflé par le mouvement d’une des plus colossales abominations. S’élevant dans un nuage de poussière opaline, la créature se redressait depuis les décombres écrasés d’une maison dont elle atteignait presque la hauteur du défunt toit. Une pyramide illogique devait lui tenir lieu de tête, puisqu’elle se pointa agressivement vers le paladin tandis que ce qui ressemblait presque à des bras s’agitait sous la silhouette massive de cet obélisque cyclopéen animé des pires intentions. Son silence harassant semblait un cri de menace aveugle et infiniment plus horrible que tout ce que la cruauté humaine pouvait concevoir.

Autour de la chose, les objets se pliaient à des lois transformées de la physique, blanchies comme si leur couleur avait été arrachée avec la plus aberrante brutalité, les cadavres et les monceaux de pierre fracturée étaient tous devenus d’un blanc de marbre et étaient au moins autant immobiles et rigides.

Harald prit une grande inspiration et s’approcha à pas lents, prudents, de la colossale monstruosité qui rampait doucement sur son sol blanchâtre, comme un tapis immaculé se déroulant sous son corps d’une autre sphère.

Une griffe colossale et dure comme le diamant vint par la droite frapper le paladin sans crier gare et sans aucun mouvement préalable, mais son épée riposta et repoussa le membre vil en lacérant ce qui lui tenait lieu de poignet. Un ichor alien d’un bleu acide s’écoula par la plaie et le membre recula. Pour autant, l’abomination répliqua en enchaînant ses attaques sans discontinuer. Harald se campa sur ses pieds et fit virevolter l’acier avec une adresse divine pour contre attaquer à chaque tentative de la créature. Mais comme il tenait sa position, un sentiment étrange le souleva dans ses entrailles, et un sinistre pressentiment lui fit comprendre que quelque chose d’affreux allait se produire juste à l’endroit où il se tenait.

Sans réfléchir une seconde de plus il bondit en arrière, laissant le sol sous ses pieds blanchir et se hérisser de corails pointus qui en jaillissaient avec une soudaineté vicieuse. La bête en elle même n’avait cessé de progresser avec une lenteur éreintante, tournant la pyramide qui lui servait de tête dans différentes directions comme pour goûter son environnement avec des sens que l’humanité ne connaissait pas.

Harald ne chercha pas à réitérer son assaut comme son instinct chevaleresque le lui recommandait. Il fit demi tour et s’éloigna avant que la blancheur maladive qui se répandait autour du monstre comme une infection ne puisse l’atteindre.

Les deux mages avaient une fois de plus canalisé toute la lumière qu’ils pouvaient. Leurs deux sceptres se touchèrent, et au point de leur jonction apparut une lumière si resplendissante et d’une puissance si ahurissante que l’endurance des deux mages fut mise à l’épreuve. L’éclat ressemblait à un petit soleil, vomissant dans toutes les directions des rayons perçants d’une blancheur immaculée.

Doucement, comme une étoile se mouvant dans le firmament au fil des mouvements imperceptibles de la planète, l’épicentre de cette luminescence surnaturelle se déplaça vers les hauteurs, quittant le sein des sceptres limpides qui l’avaient vu naître pour s’envoler dans les airs. L’orbe de lumière était anathème aux monstruosités aveugles d’une autre sphère, comme animé par une haine féroce de ces monstres. La forme nitescente s’approcha lentement du monstre à tête de pyramide qui n’eut pas la moindre réaction avant que l’objet éthéré ne le touche. Aussitôt il s’immobilisa, le sol sous lui retrouva un peu de sa couleur, et les arêtes droites de sa tête géométrique parurent s’éroder à toute vitesse. Harald n’attendit pas de voir plus avant comment tournerait le phénomène : il s’élança vers la bête pour la pourfendre de son épée. La lame fusa vers l’obélisque d’outre monde et parvint à fendre son épaisse cuirasse de roche vivante. Un pan pierreux de sa surface se détacha et s’effondra comme du plâtre broyé, dévoilant une chair à vif d’un bleu acide et brûlant les yeux de qui la regardait. Les tendons illogiques se tordirent et les muscles informes se contractèrent pour lancer en avant un tentacule surgi de nulle part. Harald tenta de l’intercepter, mais son mouvement parvint trop tard et la chose le frappa de plein fouet, broyant son plastron avec une force trop grande pour appartenir à cette réalité et soulevant de terre son corps tout entier pour l’envoyer au sol. Cette fois, un son émana du monstre, un sifflement dénué de tout sens ou de toute émotion, se balançant à la limite ultime de la longueur d’onde de l’audible. Les deux mages se mirent soudain à hurler de douleur en étant pris de convulsions insensées. L’un d’entre leva son sceptre et commença à incanter, mais la sphère de verre qui ornait l’instrument de magie se fendilla et éclata dans une pluie d’échardes brûlantes qui le défigura cruellement.

Harald se releva péniblement, assourdi et à moitié assommé par le choc, il fit peu cas de son environnement et concentra ce qu’il pouvait d’attention sur son sordide ennemi. L’acier transperça l’air et vint se ficher dans la masse inextricable de chair exposée, s’enfonçant dedans avec une aisance déconcertante et tout bonnement terrifiante. Le paladin réalisa dans l’instant qu’il ne pourrait pas récupérer son épée, et malgré la valeur inestimable de cet objet enchanté, il lâcha le manche et laissa sa plus fidèle compagne s’enfoncer dans l’estomac de chair du monstre qui se tordait de douleur avec une ardeur si soudaine et contre nature que l’univers ne suivait plus ses mouvements. La forme paraissant grignoter des morceaux de réalité et s’agiter par intervalles de spasmes supraluminique, échappant à l’œil par sa célérité d’un autre monde. Harald rampa avec toutes ses forces pour s’éloigner autant que possible de la monstruosité anarchique et se mit comme il le pouvait à l’abris de quoi que ce soit qui puisse se produire ensuite, aussi imprévisible et incohérent que cela dusse être. Finalement, l’imposante abomination, à force de convulsions interdites par les lois de la physique, brisa tant les lois de la raison que pour finir elle implosa toute entière, se densifiant et se concentrant sur elle même avec la violence et la soudaineté d’une détonation, se déchirant chairs bras et tentacules avec une brutalité divine avant de se résumer à une boule torturée, puis à un point de l’espace temps, avant de cesser d’exister pour de bon et pour le bien de tous.

Harald fit volte face pour voir une ruine de maison déchiquetée laissée vide par la disparition de la chose. Une victoire considérable, mais alentours une dizaine d’autres aberrations rampaient flottaient ou bondissaient en respirant et en tuant.

Le paladin tourna un regard gonflé de tristesse vers ses deux camarades magiciens. Celui encore valide essayant péniblement de calmer son ami qui hurlait de douleur et maudissait la perte de son visage. Il sembla à Harald qu’ils avaient fait ce qu’ils pouvaient ici. Alors il cria aux derniers civils qui le pouvaient encore de fuir aussi loin que possible et s’apprêta à en faire de même, tout en maudissant cette guerre impossible à gagner.

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