Alycir

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Coara ouvrit les yeux et, catastrophée, se releva d’un bond, faisant ainsi sursauter une vieille dame qui était allongée sur le lit d’à côté. Elle s’était endormie !

Angoissée, elle interpella une soignante qui passait non loin de là :

— Excusez-moi, quelle heure est-il ?

— Oh, je vois que vous êtes réveillée. Il doit être à peu près minuit.

La jeune fille soupira de soulagement.

— Lygrec Héranel est-il déjà revenu ? demanda-t-elle encore.

— Non, pas que je sache. Vous feriez mieux de vous recoucher en l’attendant ; vos côtes ne sont pas cassées mais elles ont souffert.

Obéissante, Coara se rallongea, bien que n’ayant déjà quasiment plus mal.

Elle se trouvait dans une sorte de dispensaire, dans une pièce qui devait être un dortoir commun pour les blessés légers. Murs et rideaux étaient dans les tons bruns et beiges, ce qui donnait une atmosphère apaisante à la pièce. La soignante qui lui avait parlé s’éloigna, et la jeune fille jeta un coup d’œil inquiet à la porte d’entrée, consciente du temps qui passait.

Lorsqu’ils étaient arrivés à l’entrée de la ville, environ deux heures plus tôt, les deux gardes postés de part et d’autre de la porte Sud avaient hésité à la laisser rentrer, comme si elle avait pu représenter une menace. Heureusement pour elle, Lygrec était manifestement un supérieur hiérarchique de ces deux gardes (ils l’avaient appelé « maître Héranel » avec une certaine déférence), et ils les avaient donc laissés passer en échange de sa parole de vérifier personnellement si elle pouvait être un danger pour la ville ou non.

Elle avait donc dû lui expliquer d’où, pourquoi et comment elle était arrivée là. Elle s’était sentie incapable d’inventer une histoire qui tienne suffisamment la route et cet homme lui inspirait confiance, aussi avait-elle décidé de tout avouer.

Il n’avait pas bronché lorsque qu’elle lui avait expliqué d’où et pourquoi elle était venue, se contentant de la regarder avec attention, à tel point qu’il lui avait donné l’impression de la transpercer de ses yeux gris. Quant à la façon dont elle s’y était prise, seul un haussement de sourcil était venu trahir un semblant d’étonnement. Il connaissait manifestement l’existence du pont sous la brume, et ne paraissait étrangement pas plus perturbé que ça à l’idée que la jeune fille soit arrivée là en descendant le long d’une falaise.

Elle lui avait en revanche tiré un petit sourire lorsqu’elle avait bredouillé d’une façon peu compréhensible qu’elle espérait pouvoir retourner chez elle sans se faire remarquer, sous peine d’être enfermée à vie. Mais cela impliquait de rentrer tôt au matin en évitant le Grand Pont qui reliait les deux villes et était gardé jour et nuit, ce qui semblait désormais peu réaliste. Jamais Coara n’avait pensé en venant ici que ce pourrait être compliqué de repartir. Mais c’était bien sûr sans compter la présence d’onures rôdant dans la forêt.

— Je verrai ce que je peux faire, avait dit Lygrec en faisant une moue pensive. Le fait est que te laisser rentrer par le Grand Pont serait un problème pour nous aussi ; les gardes ne manqueront pas de te demander comment tu as fait pour venir jusqu’ici en premier lieu et nous ne voulons surtout pas que ce pont sous la brume soit découvert. Cela pourrait créer de graves tensions politiques entre nos deux royaumes.

Il s’était passé une main sur le menton avant d’ajouter :

— Il y a malheureusement trop d’enjeux que pour que je puisse prendre une décision à ton sujet sans m’entretenir avec le roi, même si je ne doute pas de tes bonnes intentions. Tu vas devoir patienter un peu le temps que je me renseigne.

Il l’avait donc déposée à ce dispensaire et lui avait dit d’y rester jusqu’à son retour. Et voilà qu’elle s’était carrément endormie ! Enfin, s’il n’était de toute façon pas encore revenu, ça ne pouvait pas lui faire de mal.

Son attention fut soudain attirée par un homme qui venait d’entrer et qui était vêtu de la même tenue mouchetée que ceux qui l’avaient sauvée. Il avança vers elle d’une démarche souple et Coara fut surprise de constater qu’il était en fait à peine plus âgé qu’elle ; de deux ou trois ans tout au plus. Un discret piercing sous sa lèvre inférieure attestait qu’il avait en tout cas atteint la majorité de dix-sept ans. Ses cheveux bruns foncés retenus par un chignon laissaient entrevoir un discret tatouage sur sa nuque couleur café mais la jeune fille n’eut pas le temps de voir ce qu’il représentait.

— C’est vous Coara ? demanda-t-il une fois à sa hauteur.

Elle acquiesça.

— Je viens de la part de maître Héranel.

Voyant qu’elle attendait la suite, il continua :

— Il vous demande de bien vouloir patienter jusqu’au matin pour une audience avec le roi Miénil.

Coara déglutit. Elle allait déranger le roi d’Ecorne en personne ! Et dire qu’elle pensait avoir tout prévu et que rien n’irait de travers ! Ebry avait eu raison d’être si soucieux, elle avait été trop irréfléchie et s’était lancée dans quelque chose qui la dépassait.

Elle s’aperçut tout à coup que le jeune homme semblait attendre une réponse.

— Merci, dit-elle d’un air penaud, j’espère que ça ne pose pas trop de problèmes.

Le jeune homme sourit et lui tendit un morceau de papier. Devant son regard interrogateur, il lui expliqua :

— Une autorisation expresse de maître Héranel pour que vous puissiez circuler librement dans cette partie-ci de la ville. Il vous demande de vous rendre vers cinq heures du matin devant l’école des gardiens. Il a dit qu’il pourra peut-être vous y présenter la personne que vous recherchez.

Il lui lança un bref regard curieux à cette évocation avant de reprendre :

— Le plan pour s’y rendre est dessiné au dos de ce papier. Si vous ne trouvez pas, vous pourrez toujours demander le chemin à un soldat de garde.

L’information se fraya doucement un chemin jusqu’au cerveau de la jeune fille. Malgré tous les soucis qu’elle avait causés en venant, Héranel était prêt à l’aider à trouver un guérisseur ? Et en plus, on l’autorisait à partir sillonner la ville ? Elle n’en revenait pas de sa chance. Elle s’était attendue à rester sous surveillance jusqu’à l’audience et à rentrer bredouille de sa mission.

Les lèvres de son interlocuteur tressaillirent comme s’il se retenait de rire et Coara se rendit alors compte qu’elle avait les yeux écarquillés et la bouche entrouverte sous le coup de la stupéfaction. Elle s’empressa de la refermer, pestant contre le rouge qu’elle sentait lui monter aux joues.

— Je… Merci beaucoup.

Il haussa les épaules :

— Ce n’est pas moi qu’il faut remercier.

Sur ce, il fit demi-tour et quitta la pièce, laissant la jeune fille en tête à tête avec son étonnement.

Pensive, Coara se baladait un peu au hasard dans les rues pavées d’Alycir. C’était un quartier somme toute assez chaleureux. Des ribambelles de lanternes de toutes les couleurs étaient accrochées à intervalles réguliers aux bâtisses de part et d’autres des allées, égayant et illuminant la nuit. Les poutres en bois qui ressortaient des façades étaient fréquemment ornées de gravures discrètes qui semblaient avoir été faites par leurs habitants, chacune porteuse d’une identité différente. Des toits de chaumes s’élevaient de petites volutes de fumée, signe que des feux brûlaient dans leur cheminée.

En dépit de l’heure tardive, il y avait beaucoup d’animation. Les gens se retrouvaient dans de petites tavernes autour d’un verre et riaient bruyamment, heureux sans doute d’être là après une longue semaine de labeur. Quelques marchands bien emmitouflés transportaient encore leurs fournitures dans des charrettes tirées par des kungas. Des gardes patrouillaient ci et là.

D’une manière générale, personne ne faisait attention à elle. Légèrement soucieuse, elle se demandait si elle ne ferait pas bien d’essayer d’obtenir quelques renseignements sur les guérisseurs, au cas où celui que Lygrec lui présenterait n’était pas ce qu’elle cherchait. Elle avait cru qu’elle pourrait aller et venir régulièrement dans ce royaume grâce au pont sous la brume, mais elle se rendait bien compte désormais qu’il s’agissait de sa seule et unique occasion. Mieux valait mettre toutes les chances de son côté, non ? Mais, en même temps, elle n’était pas sûre d’oser aborder n’importe qui dans la rue pour poser ses questions…

Elle venait enfin de se résoudre à interroger la première personne qui lui semblerait engageante lorsqu’elle marcha soudain sur quelque chose de mou qui couina de douleur. Dans un grondement furieux, la chose en question se releva d’un bond sous ses pieds, ce qui eut pour effet de la faire tomber par terre. Ahurie, elle avisa l’énorme chien noir qui s’approchait d’elle en montrant les dents, visiblement mécontent de s’être fait piétiner alors qu’il dormait paisiblement.

L’idée que ce molosse allait peut-être l’attaquer effleura son esprit, mais après s’être fait poursuivre par un fauve terrifiant dans une forêt obscure, elle ne parvenait pas à avoir peur ici, au beau milieu d’une rue éclairée et pleine de monde. D’ailleurs, le chien ne voulait sans doute que l’impressionner car, la voyant sans réaction, il referma la gueule et vint la renifler avec curiosité, la queue frétillant dans tous les sens.

— Toutou !

Une femme, probablement la propriétaire de l’animal, était sortie précipitamment de la taverne devant laquelle la jeune fille était tombée pour le rappeler à l’ordre. Coara pinça les lèvres pour ne pas rire à l’idée qu’un tel monstre puisse porter un nom pareil.

Toutou avait dû sentir son soudain amusement car il lui passa son énorme langue gluante sur le visage. Elle tenta de le repousser en gloussant mais il avait posé ses deux pattes avant sur ses épaules et elle ne pouvait plus bouger. Heureusement, la femme qui l’avait appelé l’attrapa par le collier et parvint à l’éloigner de sa victime avant que celle-ci ne meure noyée sous une couche de bave.

— Tout va bien ? lui demanda-t-elle.

— Oui, merci, répondit Coara en se relevant tant bien que mal.

— Désolée, grimaça la jeune femme en lui tendant un mouchoir en tissu pour qu’elle puisse s’essuyer le visage. Il est impressionnant mais pas méchant.

— Aucun problème, assura la jeune fille en acceptant le mouchoir.

— Comment t’appelles-tu ?

Le tutoiement avait fusé, naturel et engageant. Une chose à laquelle Coara n’était pas habituée.

— Coara, répondit-t-elle avec un sourire timide.

— Moi c’est Anna Lynou, se présenta l’intéressée en lui tendant la main. Enchantée !

Coara la serra et observa plus attentivement la jeune femme. Ses yeux étaient bruns clairs comme les siens, presque dorés, et ses cheveux noirs qui tombaient sur ses épaules étaient parsemés de fines tresses. Elle avait un léger embonpoint, mais cela donnait à son visage un aspect d’autant plus sympathique. Elle devait avoir une bonne vingtaine d’années.

— Tu as peut-être faim ? demanda-t-elle tout à coup.

Prise par surprise, Coara allait répondre que non mais, à l’évocation d’une possible nourriture, son ventre gargouilla bruyamment. Gênée, elle fut forcée d’acquiescer :

— Un petit peu…

— Mon mari est absent pour la nuit et j’aide mon frère à tenir la taverne. Il acceptera sûrement que je t’offre un petit quelque chose.

La jeune fille n’en revenait pas de sa gentillesse. Jamais un membre de la Cour n’aurait proposé une telle chose à un étranger. C’était sans doute une bonne occasion pour poser ses questions, et il était vrai qu’elle commençait à se sentir affamée maintenant que son estomac était venu à bout de son morceau de viande du soir.

Elle sourit donc avec reconnaissance :

— Ce serait avec grand plaisir, merci !

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