Fin des dunes
Le réveil fût douloureux. Faut dire que le soir s'est étiré plus que de raison, avec Monica. Rythmée par le va-et-viens de la mer, les cris incessants des goélands dérangés par le passage régulier d'un renard et par les gémissements de nos ébats, les dunes ont passé une nuit blanche. Lorsque nous nous sommes enfin rhabillés, le corps souillé de nos liquides respectifs, les muscles endoloris par trop de jouissances successives, le soleil se levait à l'horizon et embrasait la surface trouble de la mer de son incandescence orangée. Elle m'embrassa, une dernière fois. Puis disparut en direction de son hôtel.
J'étais à nouveau seul.
Parfois cette idée me pesait. J'étais à la fleur de l'âge, je plaisais, j'étais bien foutu, en forme, je passais mes nuits avec une femme différente chaque soir et je pouvais les satisfaire, me satisfaire, nous satisfaire. Qu'est-ce qui se passera lorsque je serai vieux ? Malade ou fatigué ? Que mes abdos deviendront flasques ? Que j'aurai de la peine à bander et que les femmes - MILF comme minettes - n'auront d'yeux que pour le prochain jeune homme fit du quartier ? Que je serai à nouveau transparent ?
A ce moment, inéluctable, je n'aurai pas de descendants pour s'occuper de moi et m'occuper d'eux. Pas plus que je n'aurai de femme avec qui couler des jours heureux, assis sur un rocking-chair à siroter dieu sait quel cocktail trop sucré en regardant le soleil se faire avaler par l'horizon.
Coup de blues post-orgasme ou question existentielle ? Je n'en savais fichtre rien. Mais cela me pesait, de plus en plus ? Cela me pesait d'autant plus que ma grand-mère, le dernier grand-parent encore en vie que j'avais, commençait à donner des signes de fatigue qui ameutaient déjà les charognards d'héritages qui cerclaient déjà depuis belle lurette au-dessus de sa fortune.
Mes parents m'en parlaient, parfois. Des manigances de mes oncles, de mes tantes, pour tirer à eux le profit. Et je trouvais ignoble d'imposer cela à ma grand-maman, encore parfaitement lucide, qui voyait sous ses yeux ses héritiers s'entre-déchirer pour quelques centimes de plus. Les connards. Tu m'étonnes que j'ai quitté le Nord pour les rivages camarguais, avec une famille pareille...
N'empêche que je ne pourrai pas toute ma vie me défiler en baisant à la chaîne, en m'occupant de ma petite librairie en faisant comme si cette famille n'existait plus. Le temps était compté et je sais que dans quelques jours, quelques mois, j'aurai à remonter, traverser la France, retrouver la grisaille et la pluie, pour enterrer ma grand-mère et m'occuper de ces histoires de famille que j'aurais volontiers enterrées. A ce moment je ne savais pourtant pas que cela allait arriver beaucoup plus vite que prévu.
C'est l'esprit alourdi par ces pensées que je rentrai à la librairie, zigzaguant entre les baigneurs lève-tôt et les déchets emportés par le mistral qui jonchaient la plage. Il était déjà huit heures, j'allais être en retard pour ouvrir boutique.
***
Devant la librairie, un petit café, dont la terrasse débordait dans l'étroite ruelle. Deux vieux habitués, sirotant un traditionnel pastis matinal. Et au milieu, une jeunette. D'à peu près mon âge, sans doute. Elle me sourit tout en tirant une lampée sur la cigarette qu'elle tenait entre ses lèvres rougies. J'eus à peine le temps de lui sourire en retour, en appréciant la couleur claire de ses yeux et le discret grain de beauté qui surmontait sa commissure, qu'Alban, mon voisin, me fit sursauter avec son accent du sud.
Son visage me hante aujourd'hui encore. Qu'elle était belle, ce matin-là, Amélie.
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