Coup d'fil
Je me hâtai, dès qu'elle disparut par l'encadrement de la porte, d'aller ramasser le billet qu'elle avait laissé tomber sur le tapis marocain allongé qui souhaitait la bienvenue aux clients. Le dépliai, fiévreux. La bite encore dure de ce qu'elle avait vécu plus tôt.
Le billet ? Laconique. Une phrase et une heure. J'aurais voulu que tu entres. Suivi, de la même écriture cursive aux contours arrondis : ce soir, la plage, 22h.
Mon coeur ne fit qu'un bond en lisant ces lignes. Mon érection reprit de la vigueur dans son carcan de tissu et mes mains devinrent moites.
Ce soir.
La plage.
22h.
Je laissai l'écriteau fermé pendu à la porte d'entrée et montai dans une pièce sans vis-à-vis du second étage pour me masturber. Il fallait que je calme mes hormones.
***
Je rouvris boutique à 14h, mais le soleil écrasant avait vidé les rues des touristes même les plus motivés. Je restai un moment derrière mon bureau, à fantasmer à propos de ce soir, lorsque je me rappelai que je n'avais pas répondu au coup de fil qui nous avait interrompus plus tôt dans la matinée.
Je pris le combiné et allai consulter les appels en absence, constatant que le dernier numéro en liste était celui de la maison de mes parents. Je rappelai.
- Allô !
- Oui, allô. C'est Simon. J'ai vu que tu m'avais appelé.
C'était la voix de sa mère au téléphone, elle tremblait. Je l'entendais malgré les centaines de kilomètres qui nous séparaient.
- Tout va bien ?
- J'ai une mauvaise nouvelle Simon... C'est au sujet de mamie.
Je m'écroulai sur sa chaise de bureau. Je savais ce qui s'était passé.
- Je viens. Je viens maman. Je prends la caisse et je suis là dans... dans 10 heures.
Putain, 10 heures ! 10 heures à traverser la quasi totalité de la France.
- Je sais pas, ça fait beaucoup de route. Je... Je veux pas t'obliger à revenir. Les funérailles sont dans trois jours. Réfléchis, prends ton temps. Tu sais, il faut pas te sentir forcé.
- Maman, je te dis que je remonte. Je t'écris quand je pars. Je t'aime.
Et je bouclai le combiné.
***
Ce soir-là, à vingt-deux heures, Simon était aux environs de Tours dans une aire de stationnement. Le long serpent de l'autoroute se déroulait à ses pied, jusqu'à se perdre à l'horizon déjà avalé par la nuit. Des camionneurs faisaient des allers-et-retours aux chiottes, claquant les immenses portes de leurs engins en réveillant la nuit, tandis que le vieux kebab ambulant fermait boutique. Dans quelques heures l'aire d'autoroute allait s'endormir, même si elle ne s'endormait jamais que d'un oeil. Il voulut se reposer, également. Faire une sieste. Mais s'il réussissait à fermer les yeux, ce n'était que pour entrevoir ce qui l'attendait à la fin de son voyage. Sa grand-mère, teint de cire, enfermée dans ce cercueil trop large pour elle. Sa mère, en pleurs. Les yeux rougis. Dans les bras de mon père incapable de la consoler. Puis les autres. Les autres... Trop nombreux. Cousins, cousines, tantes, oncles, qui regardaient déjà le cercueil avec l'oeil torve des charognards suceurs d'héritage. Son cadavre n'était pas encore froid qu'ils se le disputaient déjà.
Au même moment, aux Saintes-Maries, une lune cyclopéenne, pleine, observait le village d'un air jugeant. Les plages, désertes, paraissaient fatiguées d'avoir toute la journée accueilli ces hordes de touristes et leurs cris incessants, leurs tonnes de crème solaire et leurs déchets sauvages. Quelque part, entre le village et l'embouchure du Petit Rhône, une femme seule se promenait. Amélie. Elle ne portait rien qu'un paréo transparent, au-dessous duquel on devinait les bosses de ses deux seins nus, libérés de tout soutien-gorge, ainsi que la touffe sombre sous son pubis. Elle vaquait. Ses yeux noisette désirait déceler l'allure athlétique du libraire quelque part, nu sur la plage, ou au contraire habillé élégamment sur un banc, à l'attendre. Il n'y avait rien. Quelques rochers à la forme vaguement humaines. Des ombres interloquantes. C'était tout. Elle attendait l'apparition du jeune libraire. Elle savait qu'il viendrait, tôt ou tard. Elle avait bien vu comme il l'avait observée. Comme il l'avait dévorée du regard. Elle ne le laissait guère indifférent, c'était certain.
Pourtant, après une demi-heure de promenade, dans un sens, puis dans l'autre, elle ne vit pas âme qui vive. Elle eût un espoir en s'approchant des Saintes, lorsque, vers le contrejour formé par les lampadaires où tournoyaient des hordes de moustiques, elle vit s'approcher une silhouette. Mais elle remarqua rapidement que la silhouette en question était accompagnée.
Amélie s'arrêta, dans la pénombre. Scrutant les ombres mouvantes.
Deux ados. Une meuf, blonde apparemment. Une blondeur toute slave, ou nordique. Et un type aussi jeune qu'elle mais plus petit d'une dizaine de centimètres. Il l'attira dans les buissons, à la limite formée entre les auréoles de lumière des réverbères et les ténèbres qui régnaient plus loin tout le long de la plage.
Amélie s'assit et les regarda baiser, sans y retirer quelconque excitation. Elle voyait juste deux êtres humains s'emmancher, pas assez longtemps pour qu'elle ait pu y tirer plaisir, sans réellement les voir, sans réellement les entendre. Un quickie, plié en deux temps trois mouvements. Une baise comme on astique. Comme on essuie. Une baise-kleenex. Il s'était vidé les couilles et il repartait déjà, la laissant seule, la culotte encore descendue sur les chevilles, désarçonnée.
Amélie secoua la tête.
Pourquoi avait-elle placé tant d'espoir dans ce gars ? Ce simple regard ? Etait-ce vraiment à cause de cet unique regard qu'il lui avait lancé ? Elle s'était sentie désirée. Mais pas comme un objet. Pas comme un vide-burne. Elle s'était sentie désirée comme une déesse. Comme... Comme si de ses yeux, derrière sa caisse minable, en tentant d'y masquer son érection voyeuse, il avait voulu sonder son âme. Et y déceler dieu sait quoi.
Elle soupira et rentra en direction de son hôtel, seule. Elle n'avait pas la tête à fêter. Pas ce soir.
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