La période "M"

29 minutes de lecture

Note : Cette première partie a été écrite en 1997. Dans l’ensemble, j’ai laissé le texte tel quel, en faisant quelques modifications, pour laisser les mots, les émotions telles que je les ressentais lorsque j’ai écrit ces lignes. Il y a quelques notes de bas de page, qui expliquent mon point du vue à l’heure actuelle. Les noms de tous les intervenants ont été changés, sauf M qui est l’initiale de la personne.

1 AVANT M



Je crois que tout a commencé lorsque j’ai doublé. J’avais de bons copains, j’aimais la vie. J’étais bien dans ma peau, je vivais dans l’insouciance que chaque jeune possède. J’aimais tout ce que je faisais, le bonheur habitait sans cesse en moi. La vie était belle, même si j’avais souvent des disputes avec mes parents. Bref, j’étais un jeune normal. A la fin de cette année-là, j’eus une petite amie que j’aimais beaucoup. Elle s’appelait Caroline. Je voulais révolutionner le monde, comme tout hard-rocker qui se respecte, j’avais du goût pour la vie, même si les crises d’adolescence me donnaient des fois envie de crier mon dégoût pour cette société capitaliste et son système. Je me disais être anarchiste1 sans que je le sois vraiment. J’avais déjà écrit des poèmes, pour montrer mes tristesses et mes joies du moment. La crise que j’ai passée commençait déjà à s’amorcer. J’avais déjà deux trois fois touché à l’herbe. Je trouvais ça cool mais sans plus. Je ne savais pas que plus tard, c’est une des choses qui m’aiderait à survivre mais aussi quelque chose qui m’apporta plus tard pas mal de problèmes.


Comme je l’ai déjà dit, j’avais de bons amis, sur lesquels je pouvais compter et eux pouvaient compter sur moi. J’étais follement amoureux de Caroline, mais elle ne le savait pas. J’ai caché pendant longtemps mon amour pour elle, jusqu’à un vendredi, c’était au début du mois de mai 1995. Elle m’avait d’abord dit non, puis sous mes instances, mes poèmes et ma tristesse, elle a cédé. C’était une fille très douce, avec un sourire réservé. Elle portait ses cheveux noirs en queue de cheval. Elle était très intelligente et elle avait un état d’esprit rationnel. Caro avait un parfum, une essence sublime qui pouvait attirer n’importe quel garçon. Elle avait un visage qui respirait la douceur, la bonté et une grande sensibilité. Je vécus trois mois de bonheur entiers. J’avais même tenté d’arrêter de fumer pour elle.


Ce furent mes trois derniers mois de vrai bonheur. Jamais plus je n’ai été aussi heureux de ma vie. Je croyais vivre dans un rêve fantastique et je croyais que jamais, je n’allais me réveiller. On m’annonça que je doublais. Au moment même, moi qui étais toujours dans mon rêve, je ne réalisais pas ce que ce mot signifiait. Je pense que c’est en partie à cause de ça que j’ai perdu Caro. Bref, elle m’a larguée, le mercredi 16 août 95. Je m’en souviens comme si c’était hier, et je me rappelle aussi avoir pleuré pendant deux semaines.


Elle m’avait invitée chez elle, pour faire une partie de tennis. Dans une de ces dernières lettres, elle m’avait écrit qu’elle devait me parler, qu’elle ne pouvait pas l’écrire, et qu’elle ne pouvait pas me le dire au téléphone. Elle avait dit aussi que je ne devais pas m’inquiéter et qu’elle ne m’oublierait jamais. J’avais directement compris ce qu’elle avait voulu dire, ça me turlupinait l’esprit, mais je n’avais pas encore tout à fait réalisé. Après la partie de tennis, je lui ai demandé ce qu’elle voulait me dire elle m’a regardé avec un regard qui semblait avoir de la pitié pour moi. Et je lui ai dit que j’avais directement compris. Je n’ai pas pleuré devant elle, mais quand je suis rentré chez moi je me suis effondré sur mon lit. La première chose que je fis en la quittant fut d’acheter un paquet de cigarettes, que j’ai fumé en deux ou trois heures, allumant cigarette sur cigarette.


Mais à la rentrée scolaire, une déception tout aussi grande vint s’ajouter à mon mal de vivre. Les élèves arrivant en troisième étaient d’une immaturité la plus complète. Je n’arrivais pas à bien m’intégrer et moi-même je ne cherchais pas réellement de contacts auprès d’eux. Je continuais à aller avec les jeunes de mon âge, mais je sentis bien vite que je n’étais plus accepté parmi eux, à part certains potes, dont l’un d’eux s’appelle Marc. Je le cite ici car il va jouer un rôle important dans mon histoire. Je commençai à connaître la solitude. A la journée sportive, je fis la connaissance d’une fille, Marianne, une fille super sympa et qui, en plus, n’habitait pas très loin de chez moi. Et même si elle n’était pas canon, elle affichait un certain charme. J’ai passé pendant plusieurs mois les récréations avec elle. On parlait de temps en temps drogues, sans jamais avoir fumé ensemble. Comme on était très copains et qu’on ne se séparait presque pas, beaucoup de gens m’ont demandé si je sortais avec. Il n’y a eu que de l’amitié dans notre relation. Je n’ai jamais eu envie d’elle, et je suppose qu’elle n’a jamais eu envie de moi. Nous n’avons jamais parlé de ça. Je fumais de temps en temps encore de l’herbe, mais chaque fois, je n’avais eu que des envies occasionnelles. Jamais à ce moment-là, il ne m’était venu à l’idée d’en fumer tous les jours. J’avais toujours mal à cause de ma rupture avec Caro, mais je ne l’ai jamais montré aux autres. Vers mi-octobre, je suis sorti avec une fille. C’était moi qui avais fait la demande, mais en réalité, je ne l’aimais pas vraiment. Quand elle m’a plaqué, deux semaines plus tard, j’ai pris ça comme si c’était une délivrance. Je n’en avais vraiment rien à cirer. Je me rappelle le soir, j’étais avec mon cousin. Il me demanda : « et comment vont les amours ? » Et je lui répondis en me marrant que je m’étais fait plaquer il y a peine quelques heures.


2 Un amour à sens unique (novembre-décembre 1995)

Je me rappellerai toujours le week-end scout des 3,4 et 5 novembre. C’est à partir de ce moment-là que j’entrai en plein cauchemar. J’étais parti en week-end avec les scouts à Tournai. Nous logions au même endroit que les guides, car nous ne savions pas nous rendre à notre lieu de camp à cause d’une grève de trains.

Le week-end en lui-même se passa très bien et à vrai dire, je m’étais bien amusé. À la veillée, que nous avions organisée avec les guides, je me suis assis à côté d’une fille. C’était elle, la fille pour qui j’ai écrit tant de poèmes, la plus belle de toutes, la plus douce, la plus charmante, la plus chouette fille qui puisse exister. M., si tu savais comme ton sourire m’a hanté jour et nuit, je sentais ton parfum à chaque instant de ma vie. Si je devais la décrire, je ne ferais que me répéter, car elle ressemble beaucoup à Caroline. M. a la peau plus bronzée, mais elles ont vraiment beaucoup de points communs entre elles : un visage doux, et des yeux magnifiques qui ont fait fondre mon petit cœur si sensible à chaque fois qu’ils se posaient sur moi.

Nous ne nous sommes échangés que quelques mots pendant cette soirée, et déjà je me sentais devenir amoureux. Je me rappellerai toujours la première phrase qu’elle m’a dite : « T’aimes bien Marianne ? » Cette phrase restera gravée à jamais dans mon esprit. M. était dans la classe de Marianne, je la connaissais de vue, mais jamais auparavant je ne m’étais intéressé à elle. Au début, je pensais que ce n’était qu’un amour volage, qui s’effacerait en quelques jours, mais le surlendemain je compris que j’étais vraiment amoureux.

Le 6 novembre, le jour de mon anniversaire. Jour qui aurait dû être heureux, jour où j’ai commencé à être malheureux, c’était le jour de la rentrée des vacances de Toussaint. Presque toutes les Troisièmes partaient en journée écologique, au moulin de Chevalier, dans le cadre du cours de Sciences. J’étais assis dans le car, n’ayant personne à côté de moi et pris dans mes pensées, quand je sentis quelqu’un se poster devant moi. Je levai la tête. C’était M. Elle demanda si la place était prise et si elle pouvait s’asseoir, j’acceptai tout de suite.

Nous avons parlé beaucoup du week-end qu’on venait de passer, on se parlait comme si on se connaissait depuis toujours. Moi qui ne suis pas quelqu’un de très loquace, j’avais toujours quelque chose à lui dire pendant que nous étions ensemble. Nous avions passé toute la journée à deux, et le soir, chez moi, je n’arrivais plus à arrêter de penser à elle. Je fus victime du coup de foudre, mais d’un coup de foudre non réciproque. C’était infernal, à chaque seconde, son prénom résonnait dans ma tête, à chaque instant, je la voyais devant moi, à chaque moment, je pensais à elle. J’étais trop fou d’elle, je voulais lui dire combien elle était belle, que j’étais accro à elle.

Finalement, trois jours plus tard, je décidai de tout lui avouer par l’intermédiaire d’un poème, qui fut le premier d’une longue série. Je le lui envoyai directement, mais j’avais horriblement peur : Qu’allait-elle penser de moi ? Le poème qu’elle reçut était sans signature, j’avais volontairement oublié de le signer. Mais le lendemain, en croisant M. dans les couloirs, elle me dit : « Merci pour ta lettre. » Comme le ton de sa voix était un peu spécial, je rédigeai le soir même un démenti, disant que ce n’était pas moi qui avais écrit cette lettre (eh oui je suis un peu couillon), mais un de mes copains. Pourquoi ? Je ne la connaissais pas du tout, je ne savais rien d’elle à part son nom et qu’elle était belle, et j’avais peur de sa réaction. Pour finir, cette histoire tomba à l’eau pendant quelques mois, mais mon amour, lui, restait toujours là, mais j’avais de moins en moins d’espoir de sortir avec elle. Or, un vendredi soir de décembre, je dus rentrer d’urgence à l’hôpital1.

Le dimanche, il y avait réunion scoute. Mon père, en tant que chef d’unité devait aussi s’y rendre, mais comme moi j’étais sur mon lit d’hôpital, il ne put lui non plus y être. Un des chefs annonça à l’assemblée de la messe que j’étais rentré d’urgence en clinique et que pour cette raison mon père ne pouvait pas venir. Et le mercredi qui suivit mon hospitalisation, je reçus une carte de bon rétablissement à la maison, signée de M. Mon espoir se revigora, mais ça ne servit à rien. J’étais malheureux, je voulais tant qu’elle m’aime. Mais ces petites souffrances n’étaient en rien comparables à celles que j’allais vivre au fil des mois suivants.

En ces temps-là, j’avais encore tous mes esprits, je savais encore discerner le bien du mal, je savais tout ce que je faisais, je savais les conséquences de mes actes. Je commençais à fumer de plus en plus, c’est à cette période que j’ai commencé à rouler mes cigarettes. Je ne savais plus m’en passer : j’en avais besoin pour combattre mon stress, qui commençait à s’accroître. Mais mon obsession restait toujours aussi forte, j’aimais trop M., je la désirais plus que tout. Je voulais me dévouer à elle corps et âme. C’était mon ultime but dans la vie.

Je ne trouvais plus de réconfort que dans la musique, certains textes exprimant bien ma mélancolie. Je n’avais aucune inspiration pour écrire, je restais des heures assis à essayer de sortir quelque chose, mais soit c’était mauvais, soit ma feuille restait blanche. Mon cousin passa le nouvel an chez moi et je lui ai raconté toutes mes mésaventures. Il essaya de me rassurer en me disant qu’on sortirait bientôt ensemble. À l’heure où j’écris ces lignes, plus d’un an et demi après, j’attends toujours. Je l’attends toujours, M. aux beaux cheveux noirs. Je l’attends toujours, M. au doux sourire. Je l’attends toujours, M. aux merveilleux yeux bruns. Je l’attends toujours.

3 Janvier-Juin 1996

La rentrée de janvier fut pour moi un tournant décisif dans ma vie. Le tournant de la destruction physique et psychologique. La journée avait bien commencé. Les élèves parlaient de leurs résultats de Noël, de ce qu’ils avaient fait pendant les vacances. Je n’avais rien à leur raconter, vu que je n’avais rien fait pendant les vacances. À midi, j’allai comme d’habitude dans la cour pour manger avec Marianne. Mais qui était assise à côté d’elle ? M., of course. J’hésitai à m’avancer vers elles, pendant quelques minutes. Je ne savais pas si je devais y aller, ou si je devais manger tout seul. Finalement, je décidai d’aller leur tenir compagnie. J’aurais mieux fait de ne pas y aller. On causa tout le temps de midi à trois. Le lendemain, M. était à nouveau là. Depuis ce jour, elle resta avec nous. Je commençais donc à mieux la connaître et je l’appréciais de plus en plus.

Après plus ou moins une semaine de cours, Marianne tomba malade. À partir de ce jour-là, M. et moi, on ne se quitta plus. Le soir-même de ce premier midi en tête à tête, je lui écrivis pour tout lui avouer. Je lui écrivis une belle lettre, sans vers. J’eus déjà la réponse deux jours après. La lettre était bien gentille, mais la réponse était claire, un non catégorique, mis dans de douces phrases pour atténuer le fait. Elle m’expliqua aussi, dans cette lettre, qu’elle avait compris mes embrouilles de novembre, car je lui avais envoyé une carte lui souhaitant de bonnes fêtes et la remerciant pour sa carte de bon rétablissement. Bref, mon embrouille avait foiré.

Quand j’eus fini de lire cette lettre, une déchirure profonde, si douloureuse s’opéra en moi. À partir de ce moment-là, je ne fus plus jamais le même. Je pleurais, je hurlais, je désespérais, je ne savais plus quoi faire. Je n’ai pas ouvert la bouche chez moi pendant trois jours tellement j’avais mal. Moi qui pensais arrêter de fumer pour elle, engloutissais à nouveau un paquet par jour, je ne savais (pouvais) plus m’arrêter, faire marche arrière, mon amour pour M. était beaucoup trop fort. J’étais arrivé à un point de non-retour. Mon amour continuait à croître de jour en jour, en même temps que ma tristesse.

Le mercredi, à la sortie de l’école, mon fameux pote Marc, vit que ça n’allait pas. Je lui racontai mes ennuis et il me donna deux grammes de superskunk. Je commençais à vraiment tâter de l’herbe, j’en prenais quasi quotidiennement. M. savait que je m’étais fait quelques joints, mais elle ne sait que depuis très peu de temps que je fumais tous les jours. Le monde était en train de s’écrouler, plus rien ici ne me retenait. Ma souffrance, comme mon amour pour elle grandissait de jour en jour. Je ne voulais plus me lever le matin pour retourner dans ce monde pourri, tout ce qui se trouvait autour de moi ne m’inspirait que dégoût. Bon nombre de fois, je pensais au suicide, tous les jours, j’avais envie d’en finir avec la vie. Je n’avais plus personne, aucun ami, aucun but, que de la souffrance en moi. Je trouvais mon réconfort dans l’herbe, qui me faisait tout oublier, mes problèmes, mes espérances, mes dégoûts…

Chaque moment de libre je le passais avec M. C’était impossible de m’en détacher, plus je la fréquentais, plus j’étais accro à elle. Je souffrais continuellement en silence. Je n’ai jamais montré mon désespoir à quelqu’un. J’avais l’impression qu’un immense trou noir se creusait sous moi, et qu’un jour la paroi qui me retenait sur terre craquerait. En tout cas, la paroi n’a pas duré longtemps. De jour en jour, je m’enfonçais plus profondément dans les abysses. Je ne faisais plus rien à l’école. J’écrivais de temps en temps un poème à M. C’est vers cette période-là que je composai « Cadenas » et « Accro de toi ».

Cette année-là, les enseignants se mirent en grève suite à une énième réforme de nos charmants ministres. Pendant que l’école était fermée, je restai chaque fois chez moi, enfermé dans mon monde à moi seul, peuplé de souffrance et de tristesse. Soit je buvais, soit je fumais. Quand nous fûmes obligés de retourner aux cours, pendant que j’avais des profs grévistes, je me cassais de l’école, allant boire quelques bières au Bureau ou au Mayflower, ou allant fumer encore un joint, tout seul ou avec des copains. La destruction continuait, tous les jours je pensais au suicide, ne sachant pas si j’allais le faire ou pas.

Les autres ne comptaient plus pour moi. Je m’en foutais de leur faire mal, de ce qu’ils pensaient. Seule ma personne comptait. Juste ma satisfaction personnelle. Je n’ai pris conscience de cela qu’un an après. J’ai fait énormément souffrir M. et je ne m’en rendais pas compte. Elle voyait bien que j’avais mal, elle essayait de me réconforter, mais ça ne servait à rien, rien ne pouvait m’aider à sortir de mon trou noir. La fête d’unité arriva. J’eus là ma première grosse cuite. Je ne suis resté avec M. que cinq minutes. Je savais mes intentions et je ne voulais pas qu’elle me voie sur le fait. J’avalai en cul-sec pour la première fois de ma vie bière sur bière, jusqu’à ce que ce que mon estomac ne le supporte plus. Bref, j’ai été bien malade et à deux heures du matin je me suis retrouvé à nettoyer le couloir de ma maison.

Les vacances de Pâques arrivèrent, ainsi que le camp de patrouille. Là, j’ai vraiment découvert la boisson. Les jeunes scouts n’étaient pas là et on en a profité. Le problème, c’est que, en plus de l’herbe, devint un nouvel exutoire. Je n’ai pas souffert d’alcoolisme, mais chaque fois que j’avais l’occasion, je me mettais à boire ou à fumer, ce qui arrivait de plus en plus régulièrement2. M. m’avait invité un après-midi chez elle pendant ces vacances-là, et nous sommes allés au cinéma avec une de ses copines. J’ai manqué au moins la moitié du film. Je n’arrêtais pas de la regarder. J’espérais encore sortir avec elle, qu’au cinéma elle me dise oui. Mais il n’en fut rien, et le soir j’étais encore plus déçu.

Le 14 mai 1996, je me suis tordu le pied au basket. Je me souviens parfaitement de la date, car ce jour-là cela faisait trois ans que mon grand-père paternel était décédé. J’ai eu le pied dans le plâtre et M. faisait tout pour m’aider. Elle portait mon cartable tout le temps, car il me gênait dans mes déplacements. Elle vint chez moi le mercredi suivant, et on discuta comme larrons en foire. Même si elle ne ressentait pas la même chose que moi, l’amitié qu’on avait était très forte.

Le lendemain, mes parents partaient en voyage à Venise et ce fut une chef guide de M. qui vint nous garder, mes sœurs et moi. Le samedi, Marc vint à la maison et on taffa comme des porcs. Mais, j’étais de plus en plus malheureux, plus le temps passait, plus j’essayais d’oublier, plus je m’enfonçais. Je n’arrêtais pas de me lamenter sur mon sort et je devenais de plus en plus minable. Je ne cherchais même plus à aspirer au bonheur. Je n’avais plus d’espoir en rien, plus aucun port d’attache à ce monde. L’idée de me suicider devenait de plus en plus forte, de plus en plus fréquente et se transformait en désir. Si j’avais eu un flingue, je ne serais certainement plus de ce monde. Je ne pouvais me confier à personne. Personne n’aurait compris puisque personne ne me comprenait déjà en temps normal. Le trou s’élargissait de jour en jour, de minute en minute, de seconde en seconde.

Le 3 juin 1996, j’en avais réellement marre de toutes ces histoires et je me dis qu’il fallait en finir avec tous les doutes que j’avais en moi. J’écrivis une lettre à M. lui faisant du chantage et faisant assez mal. Précédemment elle avait écrit sur sa montre une inscription : « I love you G ??? » Je lui redemandai dans ma lettre sa réponse, je lui disais que j’allais changer d’école, que j’allais arrêter les scouts pour ne plus la voir parce que ça me faisait trop mal. Ce fut ma première grosse connerie inconsciente.

Quand j’ai eu sa réponse, mon cœur se déchira encore plus, je fis le 4 juin, ma première tentative de suicide de l’époque M3, ratée, heureusement pour moi. Quelques jours plus tard, ma mère vint me parler. Elle avait lu la lettre de M., qui traînait par terre. Nous avons parlé d’elle pendant environ un quart d’heure, et le soir même je lui ai tapé une lettre d’excuses (la première). Le temps passait, toujours le même. Je réussis bien mes examens, ayant vu la matière cette année-là une seconde fois, et je suis passé en quatrième sans trop me fouler.

4 Grandes vacances 1996

Mes vacances commencèrent le 27 juin avec le pré camp scout. J’avais bien préparé le woodcraft et le concours gastro. J’étais bien obligé, pour le second cas : une grande partie de l’argent de la caisse s’était envolé en alcool ou en herbe et j’arrivai avec 1000 francs4 comme argent de patrouille. Le pré camp me faisait déjà ch… et j’en avais déjà marre. Je vécus le camp le plus infernal de ma vie scoute. Après seulement trois jours, je voulais déjà rentrer chez moi. J’avais 1000 francs pour payer la bouffe et le train. J’écrivis tout cela à mes parents, ils me répondirent que c’était dangereux et autres choses du genre. Ils m’envoyèrent l’autorisation de fumer des clopes au camp, pour que je puisse tenir jusqu’à la fin (cela fonctionnait comme cela à l’époque, les plus vieux pouvaient fumer moyennant une autorisation parentale).

Le 4 juillet, le jour de la fête d’indépendance américaine et de l’anniversaire de mon père, les chefs changèrent de rôle avec les chefs guides qui campaient non loin de là. Moi, je déprimais complètement. À l’inspection, les intendants fouillèrent les sacs et tombèrent sur une centaine de cigarettes que j’avais roulé préalablement avant de partir, et sur deux paquets de tabac et accessoires (je ne reçus l’autorisation que le lendemain).

Les chefs guides voyaient bien que l’ambiance dans la patrouille était foireuse, que j’en avais rien à cirer des scouts. Olivier, l’ancien chef de troupe devenu bon ami, était venu faire l’intendance à ce camp-ci. Il m’expliqua la perfidie du staff : ne voulant pas se mettre à dos tous les scouts, ils en avaient profité pour demander aux intendants de fouiller tous les sacs, pour traquer les clopes. Mais en plus, il voyait bien que je n’allais pas très bien. Il voulut discuter, mais j’invoquai d’autres excuses, des problèmes qui s’étaient ajoutés et qui avaient amplifié l’affaire.

Quelques jours plus tard, je reçus une lettre de ma chère M. La cheftaine, qui n’était pas au courant de tout ce qui se passait, avait été très choquée par mon attitude. Elle raconta à un conseil restreint de guides que je fumais comme un pompier, alors qu’elle ne m’a pas vu avec une seule clope au bec, que je ne faisais rien, et que c’est à cause de moi qu’il y avait une mauvaise ambiance dans la patrouille. Bref, une humiliation en plus de tous mes problèmes. Vers la fin du camp, au hike, ma patrouille et moi-même traversâmes un champ, pour éviter un long détour. Malheureusement pour nous, le fermier porta plainte, ce qui fait qu’on nous passa un de ces savons inimaginables. Finalement, les chefs allèrent s’excuser et le fermier abandonna les poursuites.

Pendant que j’étais au camp, mes parents partirent en Italie avec des amis. Les enfants de ceux-ci, Alain et son frère, étaient restés en Belgique, car ils avaient aussi leur camp à faire. Nous devions rejoindre nos parents en prenant l’avion jusqu’à Milan et puis prendre le train jusqu’à Florence. Quand nous arrivâmes à l’aéroport, les hôtesses nous annoncèrent que notre avion avait 4 heures de retard. Nous avons dû attendre à l’aéroport. Nous sommes arrivés au lieu de villégiature à minuit au lieu de 18 heures, et moi qui étais si fatigué de mon camp ! Le lendemain, je pus regarder les environs que je n’avais pas vus la veille, à cause du noir. L’endroit était superbe, la villa était entourée de vignes, nous n’étions entourés que par la nature, le village le plus proche étant à plusieurs kilomètres. Je fis la connaissance de celles que j’appelai les quatre créatures de rêves : Sophie, Aline, Cindy et Cindy. J’ai très vite sympathisé avec elles, surtout avec Sophie, qui devint, pendant quelque temps, ma confidente.

Pendant ces vacances, je pus un peu oublier mes ennuis, le dépaysement total aida beaucoup, et j’ai pu me passer de drogues pendant deux semaines. Je pensais toujours à M., mais j’étais fort attiré par Sophie, qui elle avait flashé sur Alain (qui, je dois dire, était vraiment plus beau que moi(. Je ne lui ai rien dit durant notre séjour. En pensant à M., j’ écrivis le poème « Sans Elle ». Je composai aussi « Le banc rose » pendant ces vacances, mais celui-là n’a pas de message précis.

Quand nous sommes rentrés, c’est comme si je n’étais pas parti en vacances. Je repris tout de suite mes bonnes vieilles habitudes. Il me restait de l’herbe, et je la fumai. Je commençai à correspondre avec Sophie. Pendant plusieurs années, nous nous écrivîmes environ une fois par semaine. On se racontait toutes nos galères. Ces lettres me firent beaucoup de bien. Je pouvais me confier à quelqu’un.

D’habitude, pendant les vacances, j’allais quelques jours à l’Abbaye de Clervaux avec mon grand-père. Mais cette année-là, on ne fit pas notre petit séjour. Je travaillais tout le mois d’août dans un magasin à Jodoigne, un nouveau commerce qui ne vendait que des produits de l’enseigne. Il n’y a rien d’autre à dire de ce mois de vacances, si ce n’est qu’un dimanche, M. est venue passer un après-midi à la maison. J’espérais encore, mais ce fut toujours non, et le soir j’étais tellement mal que je fis ma seconde tentative de suicide, qui échoua encore plus vite que la première5.

À la fin du mois, je reçus un acompte de quinze mille Francs6 pour mon travail au magasin, et pour fêter la fin des vacances, je passai le mardi 2 septembre à Bruxelles avec un copain, Ali. Nous étions à peine arrivés que nous avions déjà notre herbe. Mais, vers dix heures et demie, alors que nous étions sur la place de la Monnaie, contrôle de flics. Gros stress. Finalement, ils ne nous fouillèrent pas, les policiers pensaient simplement que nous brossions les cours et nous n’avons rien eu. Le reste de la journée se passa sans problème. On arriva à l’école de ma mère, qui nous ramenait au patelin, complètement défoncés. Le temps de prendre la voiture, je remarquai vaguement une fille dans la classe de ma mère. Elle était belle, mais moi, étant en pleine défonce, je ne m’attardai pas beaucoup dessus. Pour moi, à ce moment-là, seul mon délire comptait. Tel fut le dernier jour de mes vacances, car le lendemain c’était le retour à l’école.

5 Rentrée scolaire–Février 1997

L’année scolaire commençait vachement bien : je me retrouvai dans la même classe que l’année précédente. Il y avait deux, trois nouveaux dans notre classe, dont l’un d’eux, Alex, qui devint par la suite un de mes meilleurs amis. Mais le reste de la classe m’indifférait toujours. Une de mes amies, une punk, Angélique, que je connaissais depuis ma sixième primaire, avait doublé, et on se retrouva pour les cours de Sciences et de Latin. Un peu plus tard, elle me fit faire connaissance d’Amy, une punk elle aussi, qui était nouvelle à l’école, et qui était dans la classe d’Angélique, mais également de M.

Deux mois plus tard, je sortais avec Amy. Je dois dire qu’elle n’avait pas un physique de top-modèle, mais elle était très gentille et avait un cœur en or. Amy réussit même à me refaire sourire pendant une brève période. Notre relation dura un mois, je la plaquai un mercredi. J’en avais marre d’elle, j’étais comme en prison, elle m’étouffait, téléphonait sans cesse à la maison. Si je partais quelque part, j’étais à peine rentré qu’elle téléphonait pour voir comment j’allais et contrôlait à tout moment mes allées et venues. Et rien à faire, je n’arrivais pas à oublier M. On resta cependant bons copains, on fumait de temps en temps notre petit joint ensemble, avec Bruno, un pote que je lui avais présenté et qui devint son meilleur ami.

Vers mi-septembre, je fis la connaissance de Damien, un garçon de mon âge, et qui habitait mon village, pas très loin de chez moi. Depuis lors, on passait tout le temps l’un chez l’autre. Et lorsque j’achetai ma guitare pendant les vacances de Toussaint, il m’apprit les rudiments de la musique. Pendant que je sortais avec Amy, je fis ma deuxième grosse connerie inconsciente : j’écrivis à M., lui disant que j’en avais plus rien à foutre d’elle, qu’elle me faisait chier, et des autres choses du genre. Il n’a pas fallu deux jours pour m’excuser. Je lui avais fait beaucoup trop mal, au point qu’elle en pleura beaucoup.

Une des autres erreurs fut de ne pas arrêter les scouts. Je ne voulais plus revivre le camp infernal du mois de juillet. Le staff avait changé, et ils voulaient absolument que je reste. Ils vinrent me voir une après-midi, et pendant tout ce temps, ils tentèrent de me faire changer d’avis. Je posai mes conditions, à savoir que je voulais que la composition de la patrouille change. Avec cette promesse de leur part, j’acceptai de rester. Je fus vite déçu. La promesse ne fut pas tenue. Mon second et le troisième de patrouille habitaient tout près de chez moi, et s’entendaient comme larrons en foire. Ça ne m’aidait pas dans mon rôle de « chef », car Greg étant le copain, l’autorité était contestée tout le temps (et c’était un des gros problèmes du camp précédent). Rien n’avait changé, mais je restai. Pour le camp, on verrait plus tard.

Après la période “Amy”, mon inconscience étant encore plus profonde, et Sophie m’ayant écrit dans sa lettre une tirade d’un de ses poèmes, croyant que cela m’était destiné, l’attirance que j’éprouvais pour elle pendant les vacances revint chambouler mon état d’esprit. Je lui écrivis un poème, « Amour et Tristesse », lui disant que moi aussi je l’aimais. Mais à la lettre suivante, Sophie m’expliqua que ce n’était pas destiné à ma personne, je me mordis bien les doigts. J’ai même pleuré pour cela. Il faut dire qu’à cette époque un rien me faisait pleurer. L’école était mortellement ennuyeuse, les cours ne m’intéressaient guère et au bulletin de Noël j’avais déjà trois échecs.

Les vacances arrivèrent. Pour une fois, j’organisai une fête pour mon anniversaire, et j’avais invité mon cousin, qui est un frère pour moi, qui s’appelle Gilles, ma cousine Valérie, Sophie, Aline, mon second appelé Nicolas, un autre de mes scouts, Sébastien (le troisième de patrouille), et Alain, le fils du parrain de Margaux, ma petite sœur (et qui était en Italie avec nous). J’avais invité aussi Marc, Alex, Amy, Bruno, Damien et M., mais ils ne vinrent pas. La fête se déroula comme sur des roulettes, personne n’avait d’herbe, et mes parents avaient mis le holà pour l’alcool. Ce qui fait que tout le monde avait un état d’esprit normal, même si par nostalgie on se fabriqua un bong avec une bouteille d’eau dans lequel on fumait du tabac. Je commençais à bien aimer le rap, surtout Cypress Hill, pour les effets sonores si agréables quand on est pleine vape.

À Noël, mes parents se doutèrent pour la première fois que je ne fumais pas que des clopes. Valérie avait apporté de l’herbe, et j’avais fumé avec elle. Seulement, cette herbe ne me fit pas le même effet que d’habitude, car je fis une superbe chute de tension devant toute ma famille. J’étais plus pâle que d’habitude et les yeux complètement injectés de sang. Mon père comprit directement de quoi il s’agissait. Il avait été gendarme dans le passé, et c’était tellement flagrant que pour une fois il reconnut mon état. Il commença à crier devant tout le monde que j’avais fumé un joint, mais moi, je niai toute l’affaire. Pendant un bon quart d’heure, ce fut l’engueulade devant toute la famille. Ce fut mon grand-père qui me tira de ce pétrin, simplement en prenant ma tension qui se révéla très basse. Finalement, cette histoire tomba aux oubliettes pendant quelques mois, jusqu’à ce que mes vieux eurent la preuve que je fumais réellement.

Mes parents cependant commençaient à se poser de questions. Un jour, le professeur titulaire appela mes parents. Elle leur demanda si j’avais des problèmes de santé. J’arrivais complètement pété en classe, je m’endormais sur les bancs et je n’arrivais pas à suivre. Ma mère tombait des nues, elle ne soupçonnait rien du tout. Quelques semaines plus tard, elle découvrit le pot aux roses.

6 Le pot aux roses

Finalement, début mars 1997, un coup de tonnerre déclencha une sorte de marche arrière. Un dimanche, je descendis dans la cuisine et mon père m’interpella :

« Alors, tu fumes du haschisch, me disait-il.

— Non.

— Avoue-le, je sais très bien que tu mens !

— Mais, franchement qu’est-ce que tu inventes ?

— Ta mère a lu une lettre, et tu parles d’herbe dedans. »

La lettre en question était un brouillon d’une lettre que j’avais écrite à Sophie.

J’avouai donc que je fumais de l’herbe, mais je ne dis rien pour le reste. Par contre, quand il me demanda qui fumait, je ne lui ai rien répondu. Il m’a sorti directement les noms de Amy, Valérie, Marc et donc, par conséquent, Angélique et Bruno vu que j’étais tout le temps avec eux. Mon père, par leur comportement et façon d’être, avait directement compris que ces personnes-là n’étaient pas claires, et pourtant avant cet épisode, il ne m’en avait jamais parlé. Mes parents voulaient dénoncer Amy, Marc, Angélique et Bruno à la police (ma mère croyait même que c’était Amy qui m’avait incité à fumer du H.)

Mes parents organisèrent une rencontre avec le directeur de l’école, pour tout lui expliquer. Il voulait lui aussi que j’explique comment tout se passait dans l’école : les trafics, échanges, noms des jeunes qui fumaient. Je refusai. Je n’étais pas une balance, et je ne voulais pas m’ajouter de problèmes en plus. Si j’avais tout dit, j’aurais eu une bande sur le dos, et je ne savais pas ce qui pourrait se passer. J’en parlai quelque temps plus tard à un ami, venu faire un stage d’éducateur à l’école. Il m’expliqua que les éducs avaient fait une liste des « jeunes à problèmes, à surveiller ». On était tous dedans. Je ne suis plus sûr si c’était durant la même période, mais d’ailleurs une voiture de police surveillait souvent Marc sur le chemin de l’école le matin pour voir s’il y allait bien. Quand je racontai tout cela à la bande, une sorte d’hostilité envers moi s’empara d’eux. Finalement, on ne se vit plus et on se parla à peine, lorsqu’on se croisait dans les couloirs.

Je commençais à souffrir un peu du manque, car il y a une dépendance au cannabis, mais à long terme7. Je ne voulais plus voir M., je pensai que pour avoir moins mal pendant mon sevrage, il ne fallait plus que je la voie. Et pour lui annoncer cela je m’y suis très mal pris. Je l’insultai un jour dans le couloir, lui tombant dessus alors qu’elle venait simplement me voir un midi. Puis, je lui écrivis une lettre pour lui dire que pour ne plus souffrir, il fallait que j’arrête de la voir. Mais ma lettre était assez froide et je lui avais mis tous mes problèmes sur son dos, je dois dire que c’était ma vision des choses à ce moment-là. Je ne savais vraiment plus ce que je faisais. Le manque m’avait enlevé le peu qui me restait de raison8. À partir de ce moment-là, je ne parlai plus à M. On ne se disait même plus bonjour. Un jeudi, je ne pus rentrer à l’école, et je téléphonai à ma mère pour qu’elle vienne me chercher, je me sentais trop mal. On alla voir le médecin de famille. Il fit une prise de sang mais ne trouva rien du tout. Par contre, je dormis pendant trois jours sans m’arrêter.

Les vacances de Pâques arrivèrent, ainsi que le camp de patrouille. Il fut encore pire que le précédent, et tout ce qu’on a fait est arrivé aux oreilles des chefs. On a passé ces trois jours à boire comme des trous, au café ou dans la tente, et les petits nouveaux, ayant vu toute l’histoire allèrent tout raconter. Nicolas, Sébastien et moi-même nous sommes faits virer des scouts. Je m’enfonçais encore plus. Lorsque mes parents apprirent le motif de mon renvoi, ils eurent encore plus mal : alcoolisme, tabagisme et humiliation de scouts. Ce fut pour eux la goutte d’eau en trop, le vase commençait à déborder.

Mes parents voulaient que j’aille voir un psychiatre. J’étais réticent au début, mais à force de discussion, je pris assez bien la chose et acceptai. Ma première consultation se déroula le 30 avril et se passa fort bien. Mon psy était quelqu’un de très souriant, très à l’écoute. Je trouvai enfin une personne à qui parler, qui m’écoutait sans émettre le moindre jugement. Pendant plusieurs années, j’allai chez lui toutes les deux à trois semaines.

Peu après mon renvoi de chez les scouts, mon père trouva pour moi un job comme employé huit heures semaine à nouveau au magasin de Jodoigne le samedi. Leur étudiant venait tout juste de donner son préavis. Cela m’occupait puisque je n’avais plus aucune activité les week-ends, et en plus je me faisais de l’argent de poche. Je commençai à travailler au début du mois de mai, avec un contrat à durée déterminée, jusqu’au 31 décembre. C’était pratique, mais l’argent me filait entre les doigts. Bien que je ne fumais plus, tout partait en disques. La musique gardait toujours cette place importante dans ma vie. Elle me faisait toujours autant de bien, m’aidait à tenir lorsque cela n’allait pas.

Alors que j’avais arrêté de fumer, j’avais beaucoup changé : je ne pensais plus à boire, ma mentalité de « grunge » avait presque complètement disparu, je me mis à porter des vêtements normaux, c’est-à-dire que je m’habillais bien : petite chemise à la place de ces t-shirts de métalleux et jeans déchirés. Je ne supportais plus la drogue, qu’on m’en parle, qu’on m’en montre… Seulement, on me demandait encore assez souvent pour en fournir, et chaque fois que j’entendais ça j’avais envie de vomir.

Il y avait encore une autre tache d’ombre : mes parents téléphonèrent aux parents de Valérie, qui sont respectivement mes parrain et marraine, et leur annoncèrent qu’elle prenait des substances illégales. Mais moi, j’avais nié qu’elle prenait de la merde et Valérie crut pendant longtemps que je l’avais en quelque sorte dénoncée à mes procréateurs.

Mon esprit redevenant lucide, le 11 mai, je composai un poème résumant mon histoire d’amour avec M., et ensuite, je lui écrivis une lettre pour m’excuser. Elle me pardonna, on se reparla, mais la complicité entre nous disparut. Normal, après tout ce que je lui avais fait subir. Il faudra du temps pour réparer les pots cassés, si jamais on y arrive un jour. Mais malgré tout ça, j’étais toujours malheureux. Je n’arrivais toujours pas à arriver au bonheur, pour moi la vie était toujours emplie de ténèbres. Je n’étais pas encore sorti de ce tunnel, qui obstruait ma vie depuis si longtemps.

7 Daphnée

Le 31 mai 1997, j’allai avec Alain à une représentation théâtrale. C’était une pièce que jouait la classe de ma mère avec celle de cinquième primaire. Là-bas, une vision chamboula mon esprit. Une fille d’une rarissime beauté. Elle était belle à en tomber par terre. Elle s’appelait Daphnée, avait 14 ans et était dans la classe de ma mère. Cette fille, que j’avais vue deux fois auparavant (la fameuse jeune fille que j’avais vu à la rentrée, mais trop défoncé pour bien la remarquer), était amoureuse de moi, mais jusqu’à ce moment-là, je n’avais eu aucun sentiment amoureux pour elle. Pourtant, je le savais bien ce qu’elle ressentait. Elle en parlait à ma mère, disant que plus tard elle serait sa belle-maman ! J’avais commencé à la connaître par maman qui me racontait ses journées à l’école, mais sans vraiment m’y intéresser. De plus, j’aidais de temps à autre ma mère à corriger les devoirs de ses élèves. Elle avait rendu une feuille blanche, et c’était moi qui avais vu cela. Ma mère me raconta qu’elle avait été super gênée. Lors de cette représentation, je commençai à ressentir des choses. Mais je ne voulais pas y croire. En plus, on avait trois ans de différence d’âge, c’était beaucoup pour moi.

Il fallait cependant que je mette toutes ces pensées de côté ; les examens allaient arriver. Avec mon année chaotique, il fallait bosser dur. J’eus trois échecs, mais les profs décidèrent de me laisser passer, à une seule condition : je devais arrêter le latin, mon option principale. Pour les deux autres, j’avais des travaux de vacances. Si je les ratais, et que j’échouais dans ces matières, je doublerais directement sans aucune seconde chance. Avec cette année difficile, je ne m’en sortais pas trop mal.

Presqu’un mois après cette pièce, le dimanche 22 juin, je revis Daphnée. Avec le succès de la première représentation, l’école décida d’en reprogrammer une, et j’y allai. Elle était encore plus belle que la fois précédente. Le mardi 24, étant en vacances, je retournai à l’école de ma mère juste pour la revoir. Ce jour-là, elle me demanda si je voulais sortir avec elle, mais je lui répondis que je lui écrirais pour lui donner ma réponse. J’aurais pu lui dire oui tout de suite, mais le bruit aurait pu se répandre jusqu’aux oreilles de ma mère. En effet, celle-ci était contre l’idée que je sorte, ou que je fréquente un (ou une) de ses élèves. Ce qui fait que je dus cacher mon amour, que je dus encore mentir, alors que cela me fatiguait et m’exaspérait.

Le lendemain, je lui écrivis une lettre, pour lui avouer mon amour. Elle me téléphona le lendemain et on s’arrangea pour se voir le mardi suivant, le premier juillet. Je dus vraiment faire des combines pour éviter tout soupçon, téléphoner à des copains pour faire croire que j’étais invité, mais mon père me dit directement : « Tu n’as pas intérêt à aller chez Daphnée, sinon ça ira mal ! » J’y allai quand-même, et pour la première fois depuis deux ans, je goûtai réellement au bonheur.

J’ai réussi, je suis sorti du tunnel du désespoir. Maintenant, il va falloir que je réapprenne la vie, que je réapprenne tout ce que la drogue m’a enlevé. Mais je n’ai plus peur parce que Daphnée est là pour m’aider, ainsi que Damien, Alex, et Gilles. Je me rends vraiment compte maintenant que j’ai des vrais amis, sur lesquels je peux compter à n’importe quel moment. Maintenant, le bonheur a vaincu le désespoir, je n’ai plus peur et je peux croquer la vie à pleines dents. Avec un lourd combat, j’ai réussi à atteindre la lueur.


Achevé à Clervaux, le 9 juillet 1997.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Greg "LeGreg" Siebrand ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0