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Embrun était l'une de ces communes pittoresques aux paysages envoûtants, nichée au cœur des montagnes majestueuses des Alpes françaises. Perchée à une altitude respectable, elle semblait veiller sur la vallée environnante avec une dignité ancestrale. Les ruelles pavées serpentant entre les maisons de pierre séculaires racontaient l'histoire des générations passées, tandis que les cloches de la vieille église résonnaient à travers les monts enneigés, comme un rappel constant du temps qui s'écoulait.

La ville était un mélange harmonieux de tradition et de modernité. Ses habitants, fiers de leur héritage, avaient su préserver les traditions ancestrales tout en embrassant les innovations contemporaines. Fanny arriva sur les coups de midi, ponctuelle comme à l'accoutumée. Elle s'arrêta en centre-ville, sillonnant entre les stands de fruits et légumes du marché, bagage en main. Avant de retrouver la demeure des Coste, elle comptait bien faire une halte chez Kate, histoire de se donner assez de courage pour affronter son paternel. Sa meilleure amie était bien la seule capable de lui insuffler l'énergie nécessaire pour parer aux attaques verbales de Maxime Coste.

Homme d'affaires redoutable, Maxime appliquait les mêmes principes au sein de son foyer. Il ne tolérait ni l'échec ni la faiblesse, et il considérait que toute concession était une forme de défaite. Fanny avait appris à ses dépens qu'il valait mieux être préparée mentalement avant de franchir le seuil de sa maison. Kate, comprenant parfaitement la situation, lui offrait toujours une oreille attentive et des conseils avisés pour naviguer dans les eaux tumultueuses de cette relation père-fille chaotique. D'aussi loin qu'elle se souvienne, Kate n'avait jamais ressenti de liens affectueux entre eux, comme deux étrangers coupables de devoir s'apprécier.

En arrivant chez son amie, Fanny fut accueillie par le parfum réconfortant de café fraîchement moulu. Kate, avec son sourire chaleureux et ses yeux pétillants, savait toujours comment mettre ses amis à l'aise. Elles s'installèrent autour de la table de la cuisine, échangeant des nouvelles et des rires qui dissipèrent peu à peu les tensions accumulées. Arthur, le petit dernier, chahutait, tournoyant autour d'elles comme un indien revenant fièrement d'une chasse au bison. Cette ambiance détonnait avec son quotidien de célibataire.

— Arthur ! s'agaça Kate, gênée de devoir infliger tout ce bruit à son amie.

— Ne t'inquiète pas, je préfère de loin ce genre d'ambiance à celle qui m'attend, souffla-t-elle, une pointe de tristesse dans la voix.

— Tes frères seront là ?

— Je l'espère. Maxime a convoqué tout le monde pour une réunion exceptionnelle. Je me demande bien de quoi il veut nous parler.

— Ton père est un sacré personnage. Je te souhaite bien du courage. En tout cas, si tu sens que l'air est trop irrespirable, tu peux sonner à toute heure du jour et de la nuit, termina-t-elle avec un léger sourire bienveillant.

Fanny reprit son courage à deux mains, se séparant de son amie d'enfance. Elle embrassa Arthur sur ses petites joues potelées puis rejoignit la demeure des Coste en début d'après-midi.

Le taxi la déposa devant un large portail sécurisé en fer forgé devant lequel elle demeura interdite durant de longues minutes. Elle hésitait à sonner. Dès qu'elle aurait annoncé sa venue, elle ne pourrait nullement faire marche arrière et le début de son enfer personnel commencerait. Elle savait que chaque mouvement, chaque parole serait décortiqué, analysé et recraché par son père. Elle anticipait déjà le scénario catastrophe qu'elle allait subir durant tout un weekend. Cependant, la présence de ses frères lui remontait légèrement le moral et l'aiderait sûrement à compenser la relation chaotique qu'elle entretenait avec Maxime.

Un cliquetis déverrouilla le portail, ce qui surprit Fanny qui n'avait pas l'air de vouloir franchir le pas. Sa présence avait sûrement été détectée par les caméras de surveillance. Elle fit un pas en arrière avant de prendre conscience qu'elle ne pouvait plus reculer.

La bâtisse en pierre de taille se dévoila au bout d'une longue allée en terre battue, révélant les moments les plus sombres de sa jeunesse. Le paysage, magnifique, détonait avec ce que son cœur ressentait. Des compositions florales égayaient chacune des fenêtres créant une fresque murale aux innombrables couleurs. Bérénice avait toujours eu la main verte et avait mis son savoir faire au service de la famille, depuis plus de trente ans. Fanny l'avait quasiment toujours connue. D'aussi loin qu'elle s'en souvienne, Bérénice représentait cette figure maternelle qui avait complété celle qui lui avait manqué au fil des années. Lorsque Padma Coste, sa mère, s'était évanouie juste devant ses yeux, la jeune Fanny était devenue inconsolable, perdue dans un univers monochrome et sans saveur. Il lui fallut des années avant de pouvoir redresser la barre. Grâce à Bérénice et l'amour qu'elles se portaient mutuellement, Fanny avait eu assez de courage pour essuyer sa peine et faire face à la dureté de l'éducation de son père. En remontant les quelques marches qui la séparaient de l'entrée principale, son cœur battait à tout rompre ; elle craignait la rencontre avec Maxime, cette rencontre qu'elle avait tant repoussé depuis plusieurs années. Elle inspira un bon coup et appuya sur la sonnette, figée.

Fort heureusement, elle fut accueillie par son aîné, second de la fratrie. Plus âgé d'une année, Romain était celui qui avait réussi à s'émanciper de l'oppression paternelle, s'échappant dans les contrées sauvages, à l'opposé de son héritage familial. Il avait en effet décidé d'épouser une vie plus nomade en sillonnant la savane africaine, s'immergeant au sein des tribus locales. Cette décision n'avait pas ravi son père mais cela l'importait peu. Romain était un esprit rebelle, libre de toute les futilités de la vie. Les biens personnels, les possessions ne faisaient pas partie de son

bagage mental. Il avait toujours été attiré par l'appel de l'aventure, par la découverte de nouvelles cultures et la connexion avec la nature sauvage. Pour lui, la vraie richesse résidait dans les expériences vécues, les relations humaines authentiques et la liberté de suivre ses propres aspirations, loin des conventions de la société.

Depuis son plus jeune âge, Romain avait nourri un amour profond pour l'Afrique, fasciné par sa diversité culturelle, sa faune majestueuse et ses vastes étendues sauvages. Alors, lorsqu'il prit la décision de partir à l'aventure à travers la savane africaine, c'était comme une évidence pour lui, une sorte de retour aux sources.

Maxime Coste avait eu du mal à comprendre ses motivations. Pour lui, la réussite se mesurait en termes de carrière et de richesse matérielle, des valeurs auxquelles Romain ne souscrivait pas. Il avait souvent essayé de l'en dissuader mais son fils était déterminé à suivre son propre chemin, à vivre sa vie selon ses propres règles. Il savait que la route qu'il avait choisie serait semée d'embûches, mais cela ne faisait que renforcer sa détermination. Il était prêt à affronter l'inconnu, à embrasser les défis qui se dresseraient sur son chemin, car pour lui, c'était là que se trouvait la véritable essence de la vie.

Romain serra immédiatement sa sœur dans ses bras, si fort qu'elle suffoqua légèrement.

— Tu veux me tuer ? répliqua-t-elle le souffle haletant.

— Je laisse les professionnels s'en charger !

Voyant que la petite note d'humour n'avait pas eu l'effet escompté, Romain se reprit :

— Maxime n'est pas encore là, t'inquiète. Il ne reviendra qu'en fin de journée. Samuel & Lucas ne viendront que demain matin et le vol de Mathis n'arrive qu'à 19h à Cuneo. Il n'y a donc que toi et moi, comme au bon vieux temps, ce qui veut dire...

— Tu n'oseras pas...

— Oh, mais que si ! affirma Romain avec un clin d'œil complice. Un après-midi sans notre cher patriarche, ça mérite bien une petite escapade, non ?

Fanny leva les yeux au ciel, souriant malgré elle. Romain avait toujours eu ce don pour la mettre à l'aise, même dans les situations les plus tendues. Sa présence, empreinte de liberté et de légèreté, contrastait agréablement avec l'atmosphère pesante qui régnait souvent au sein de la demeure familiale.

— Où est-ce que tu veux qu'on aille ? demanda-t-elle, curieuse de connaître les projets de son frère.

— Eh bien, j'ai une idée... Mais c'est une surprise ! répondit-il en lui lançant un regard malicieux.

Fanny haussa un sourcil, intriguée, mais décida de se laisser porter par l'enthousiasme de Romain. Après tout, un après-midi à l'extérieur, loin des tensions familiales, ne pouvait pas faire de mal. Et puis, elle avait confiance en son frère pour lui réserver une belle surprise.

— D'accord, je te fais confiance. Mais j'espère que tu as prévu quelque chose d'amusant ! plaisanta-t-elle.

Romain lui adressa un large sourire avant de l'entraîner à l'intérieur de la maison, déjà en train de lui raconter ses dernières aventures en Afrique. Pour Fanny, ces quelques heures promettaient d'être différentes des autres, empreintes de complicité fraternelle et de liberté retrouvée. Et rien que cette perspective lui redonna un peu de courage pour affronter les épreuves à venir.

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