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— Tu te souviens du jour où papa nous avait chopé dans la buanderie à fumer ces gros cigares cubains ? lança Romain.

— Fumer ? Ça ressemblait plutôt à une tentative avortée de rébellion. T'as failli t'étouffer dès la première bouffée.

— Ouais, t'as pas tort sur ce coup !

— Je n'ai jamais tort Romy, dit-elle avec un sourire espiègle.

— Arrête d'avoir toujours raison.

Romain regardait cette petite sœur qui avait bien grandi, celle qu'il avait toujours protégé qui derrière ses airs de dompteuse de lions, avait un véritable cœur d’artichaut. La distance les avait séparés, une pointe de regret et de nostalgie s'immisçait dans chaque retrouvaille. Pourtant, malgré les kilomètres et les années écoulées, leur complicité demeurait intacte, tissée d'une affection indéfectible. Romain se remémorait les souvenirs d'enfance, les jeux dans le jardin, les secrets partagés à la lueur des bougies. Il réalisa alors que, même si le temps avait sculpté de nouvelles lignes sur leurs visages, l'essence de leur lien fraternel restait immuable, comme un phare dans l'océan tumultueux de la vie.

— Pourquoi t'es partie ? lui demanda-t-il comme s'il relançait l'éternelle question posée en suspens.

— Je te retourne le compliment Romain.

— Ouais, souffla-t-il.

— Tu sais pourquoi Maxime nous a tous convoqués ?

Le ton de sa voix se voulait fragile. Fanny redoutait les retrouvailles avec son père et sa présence à Embruns ne lui plaisait guère.

— Sûrement les remords.

— C'est pas son genre, je me demande bien ce qu'il va nous annoncer.

— Encore quelques heures et on sera fixés. Allez, on se remet en route ?

— À vos ordres capitaine, enfin cher pilote ! Faut pas trainer, j'ai pas envie que Maxime nous fasse la morale pour lui avoir emprunté son ULM.

— Ne sois pas si pressée, sœurette.

— Rom' !

— On ne va tout de même pas laisser Mathis rentrer en taxi !

— Tu ne changeras donc jamais, souffla Fanny déjà exténuée par la tournure que prenaient les événements.

Elle sentait déjà le souffle destructeur de son paternel, les remarques incisives et les regards de biais se poser sur elle. Et dans toute cette débâcle, elle était certaine que Romain serait épargné. Maxime Coste avait toujours eu cette préférence envers Romain. Parmi se cinq enfants, il était de loin celui qu'il avait toujours protégé. Fanny se demandait toujours ce qui poussait son père à faire autant de distinctions entre ses enfants et pourquoi il n'avait jamais su lui témoigner l'amour qu'elle aurait souhaité.

*

— Tu dors ?

— Oui, grogna Fanny lovée dans sa couverture duveteuse d'étudiante.

Après leur retour fracassant au sein de la demeure familiale, Romain n'avait pas osé laisser sa sœur toute seule. Aussi, il s'était invité dans sa chambre pour lui tenir compagnie, et tenter de se faire pardonner son attitude enfantine.

Comme elle l'avait anticipé, Fanny avait reçu toutes les critiques pour leur comportement "puéril" comme l'avait si bien notifié Maxime Coste. En cautionnant les délires de son frère, elle endossait malgré elle sa punition. Fort heureusement, la sentence avait été atténuée par la présence d'une invitée surprise. Mathis devait atterrir à dix-neuf heures à l'aéroport de Cunéo à plus de quatre-vingt kilomètres d'Embruns, à la frontière italienne. Ils avaient pour habitude de transiter par cet aéroport si bien que l'avion privé du doyen avait droit de se poser sur l'une des pistes en marge de celle destinées aux vols locaux et internationaux, une petite piste sans prétention, mais suffisante pour des vols occasionnels. Romain connaissait bien la manoeuvre que ce soit côté pilotage que pour transmettre sa position au poste de contrôle de l'aéroport. Bien qu'impulsif, il connaissait les règles et s'y pliait tout du moins en dehors du cercle familial. Lorsque Fanny et Romain s'étaient faufilé dans la file d'attente des voyageurs, ils avaient été plus qu'étonné de constater que le cadet s'était trouvé un filet de sécurité pour ce weekend inattendu. À sa suite, une jolie blonde au teint halé se déhanchait comme l'un de ces mannequins de série télévisée. Elle avait une plastique parfaite, ce corps de rêve que Fanny tentait de sculpter chaque matin à coup de jogging intensif, en vain.

Les deux comparses ne s'étaient pas arrêtés de le charrier tant la situation leur semblait totalement audacieuse. Jamais personne n'avait osé présenter une amourette passagère sans en avoir averti le grand Maxime Coste en amont, d'autant plus que cette réunion de famille ne ressemblait à aucune autre. Cela faisait longtemps que leur patriarche n'avait pas convoqué ses enfants et le mystère entourant cette sommation tournait en boucle dans la tête de Fanny.

Le sexagénaire avait à peine prêté attention à la jeune femme, déversant son regard plein de complaisance envers son fils cadet, lui faisant comprendre qu'elle n'était pas la bienvenue. En hôte respectable, il ne pouvait décemment pas la jeter à la porte, alors, comme à son habitude, il demanda à Bérénice de préparer soigneusement l'une des chambres prévues pour les invités dans l'aile ouest de la demeure, loin de la chambre de son petit ami, cela allait sans dire.

À peine avait-elle quitté la salle de réception aux côtés de la gouvernante, que Maxime Coste avait commencé à sermonner son fils sur ses mauvaises manières. Mathis n'en avait cure. Titiller son père faisait partie de son petit jeu. Ce qu'il n'avait cependant pas estimé, c'était la personne qui allait souffrir des impairs de ses frères, celle qui restait constamment au cœur de tous les problèmes. Comme si la haine s'abattait inlassablement sur elle, chaque différend familial se transformant en un fardeau supplémentaire pour Fanny.

— Tu m'en veux ? chuchota Romain, espérant une réponse qui apaiserait son âme.

Fanny ne dit mot. Son silence pesant était empreint d'une tristesse profonde, un reflet de toutes les fois où elle avait été blessée par les actions inconsidérées de ses frères. Au lieu de répondre, elle rabattit la couverture par dessus sa tête.

Le lendemain s'annonçait bien pire que celui-ci et elle n'était absolument pas prête à l'affronter.

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