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Bérénice s'était assise au bord du lit, déposant le livre, que la trentenaire avait du lire avant de s'endormir, sur la table de chevet. Elle caressa les mèches brunes de celle qu'elle avait tant chérie durant toutes ces années. Son visage paisible n'était qu'une façade qui serait probablement mise à mal dès lors que Fanny aurait retrouvé Maxime. Bérénice avait toujours essayé de protéger la jeune femme depuis sa plus tendre enfance, souffre douleur perpétuel de son père. Bien qu'elle soit au service de ce dernier, elle demeurait fidèle aux enfants que Padma Coste lui avait confiés. Elle lui en avait fait la promesse et la gouvernante avait toujours veiller à ce qu'ils ne manquent de rien, dans la mesure du possible. Mais son patron possédait un tel charisme, une telle autorité naturelle qu'elle devait la plupart du temps se soumettre à ses ordres, laissant la fratrie aux mains de ce père abusif. Maintenant qu'ils étaient tous des adultes responsables, Bérénice se sentait beaucoup plus sereine. Fanny avait réussi à se soustraire à l'oppression familiale en choisissant de s'éloigner, ce qui lui procurait un peu de réconfort.

Fanny finit par se réveiller doucement, le sourire aux lèvres.

— J'ai l'impression de retrouver mes dix ans. Je ne sais pas ce que je ferais sans toi Bérénice.

— Tu n'as plus besoin de moi, tu es devenue une belle jeune femme ambitieuse promise à un bel avenir. Je suis si fière de toi.

Fanny repensa aux récents événements, une pointe d'amertume au fond de la gorge. Le visage d'Alexis Ramirez se glissa dans ses réminiscences. Elle préféra garder cette information pour elle-même pour le moment, redoutant la réaction excessive de son père et la déception qu'elle lui provoquerait. Elle avait eu beau choisir une autre voie que celle largement préconisée par son père, elle avait tout de même fait le choix de taire ses propres passions pour se rapprocher d'un idéal de vie dont son père aurait pu être fier. Elle aurait aimé lui annoncer une bonne nouvelle, peut-être pour lui prouver qu'elle avait été capable de se hisser là où il l'attendait. Malheureusement, la réalité avait décidé de se jouer d'elle et cette réunion familiale impromptue n'arrivait pas au moment escompté.

Elle laissa glisser un silence avant de reprendre :

— Bon ! Lève-toi avant que ton père ne s'impatiente. Et toi aussi, l'aventurier.

Romain râla tout en émergeant de son sommeil.

À l'étage inférieur, on pouvait entendre l'argenterie se battre entre le beurrier et les pots de confitures maison, des voix rauques s'élevaient pour retomber en fous rires légers. Fanny pressa le pas, enthousiaste à l'idée de tous les retrouver. Cela faisait bien longtemps qu'elle n'avait pas eu le plaisir de les avoir auprès d'elle, et pour cause, elle s'était promise de ne plus remettre les pieds au sein de cette demeure. Une promesse qu'elle venait de rompre, sans pour autant avoir les réponses à cette entorse à la règle. Pourquoi les mots de Maxime l'avaient tant convaincue ?

Romain, Samuel et Mathis. Elle les dévisagea un à un comme si elle les redécouvrait. Son petit frère avait bien grandi depuis la dernière fois qu'elle l'avait vu. Tant d'années s'étaient écoulées, des années qu'elle regrettait, en partie. Quelques larmes vinrent se noyer au coin de ses yeux, ce qui n'échappa pas à Samuel. L'aîné de la fratrie avait secondé le rôle de père que Maxime Coste avait lamentablement délaissé, offrant à ses frères et sa sœur l'amour dont ils avaient besoin. Il était cette figure réconfortante à laquelle chacun s'était attaché à sa manière. Et pourtant, il n'avait jamais réussi à la protéger de son père. Bien qu'il se soit mainte fois interposé entre les blâmes incisifs et les coups ensanglantés de Maxime, cela ne suffisait pas. Son départ à l'université avait laissé la porte ouverte au mal.

— Allez, viens par ici ma Fifi, lança Samuel tout en lui tendant les bras.

Un geste de réconfort qu'elle accueillit bien volontiers. Fanny essuya ses larmes et s'invita dans les chamailleries habituelles entre Romain et Lucas, ce qui raviva des souvenirs heureux. Tout paraissait paisible, des retrouvailles bienheureuses.

— Encore au petit déjeuner.

Une voix rauque. Un son de reproches. Maxime.

Toujours bien apprêté, le sexagénaire aux cheveux d'argent s'était avancé dans la cuisine, les mains glissés dans les poches de son pantalon de costume. Il était sans dire qu'il savait soigner ses entrées, à coup de phrases savamment choisies, acides et tranchantes. Fanny ne se retourna pas. Sa présence suffisait à refroidir l'ambiance festive. Les garçons, d'un ton détaché, le saluèrent. Samuel se leva pour lui serrer la main, suivi de près par Lucas et Romain qui ne souhaitaient nullement entachés le peu de respect que leur père leur portait puis quittèrent la pièce en faisant de gros yeux que seul Mathis avait capté. Il ne restait plus que lui et Fanny et cet océan de turpitude entre eux. Un court silence régna renforçant cette atmosphère embarrassante et malsaine, celle-là même qui avait empoisonné son passé.

Fort heureusement, une jeune femme placée à l'autre bout de l'immense tablée, avait décidé de rompre le maléfice en se présentant officiellement à Maxime Coste. Elle se leva sur ses hauts talons, tout aussi bien vêtue que la veille, détonnant avec le style décontracté de Fanny et se dirigea vers le patriarche, tendant une main franche à son hôte.

— Nous n'avons pas été présentés officiellement, hier. Alya. Enchantée.

Sa beauté désarmante ne laissait pas indifférent. Elle était élégante, charismatique et directe, toutes les qualités que Fanny n'avait jamais cochées. Alya représentait un idéal jamais atteint mais qui aurait plu à son père. Assurément. Ce dernier ne détacha ni son regard ni sa main de celle de la jeune femme, intrigué par ce personnage qui venait de s'infiltrer dans son cocon familial. Elle n'avait strictement rien en commun avec Mathis, et pourtant, il l'avait choisie. Alya rompit le contact, se libérant de la poigne de Maxime qui reporta, perturbé, son regard vers son fils.

— Cette fille me plaît. Elle arrivera sûrement à faire quelque chose de toi. Tu travailles toujours dans ce cabinet d'avocats ...

— Je suis assistant social, papa..., commença-t-il d'un air dépité.

Maxime ne s'était pas intéressé à la carrière de son fils depuis le jour où celui-ci avait décidé de suivre son propre chemin, loin des désirs de son père, et du plan professionnel qu'il avait envisagé pour lui.

Sans lui laisser le temps de s'expliquer, Maxime se tourna vers Alya, un rictus malsain fiché sur son visage.

— Qu'est-ce que je vous disais. Y'a du travail.

Fanny leva les yeux au ciel, excédée par le comportement de son père mais ne préféra pas s’immiscer dans la conversation, d'autant plus qu'elle ne voulait pas s'attirer les foudres de ce dernier. Les échanges de la veille avaient refroidi le peu de chaleur qui régnait dans la bâtisse.

Alors qu'elle pensait être la prochaine sur la liste des festivités matinales, Maxime tourna les talons, laissant son indifférence à son égard planer au-dessus d'elle.

Ce manque d'intérêt, elle l'avait vécu, à de nombreuses reprises, et pourtant, à chaque fois, elle en ressentait sa morsure invisible.

— Moi aussi, c'était un plaisir papa, lança Mathis sur le ton de la rigolade tout en s'adressant à l'espace désormais vide que Maxime avait laissé.

— Bienvenue chez les Coste.

Et sur cette note acerbe, Fanny quitta la pièce sans plus de cérémonie.

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