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  La demeure des Coste avait souvent été le théâtre de disputes, de cris et de larmes comme si l'amour, la tendresse ou même encore l'empathie avaient plié bagages pour une destination inconnue. Cela faisait bien des années que Fanny n'y était plus à sa place. Une querelle au sujet de ses choix universitaires avait provoqué son départ précipité pour Paris. Et pourtant, elle adorait ses frères, ses amies, sa ville. Cela avait été un véritable déchirement de tous les abandonner mais elle le devait. Il fallait qu'elle s'affranchisse de cette relation toxique qu'elle entretenait à contre cœur avec son père. Il fut un temps où elle demeurait captive de cette geôle, trop jeune pour prendre cette décision définitive. La serre au fond du jardin se transformait en refuge pour son âme en peine. Elle embarquait un bon livre, un gros plaid et un oreiller douillet et se sauvait dans le seul endroit qui lui procurait du plaisir, celui des pages dactylographiées de ses auteurs préférés. Jules Verne était l'un de ceux qui s'invitait au voyage, la berçant dans les illusions des mondes qu'elle ne pourrait jamais atteindre mais qui avaient le mérite de lui porter un message d'espoir, la promesse d'un point final. Elle aurait tant aimé que les péripéties de son monde ne soient qu'illusoire et qu'au réveil, tout disparaisse.

Elle profita de la journée pour retourner dans sa lecture du moment, ce livre abandonné sur un banc parisien qui semblait l'inviter au voyage à mesure que les pages défilaient. Elle s'empara du roman qu'elle avait découvert une semaine plus tôt et se hâta de retrouver son havre de paix, là où personne n'oserait la déranger et encore moins Maxime. Depuis le décès de sa femme, Padma, il n'avait jamais osé y retourner, laissant Bérénice s'occuper des plantes. Enveloppée dans son plaid molletonné, Fanny s'installa entre les plans de romarin et un vieux yucca qui s'était résigné à grandir. Reprenant la lecture là où elle l'avait laissé la veille au soir, elle était impatiente de pouvoir trouver asile entre les mailles de cette aventure envoûtante. Elle était charmée. Elle n'aurait su dire si cela était la plume de l'autrice, le récit où encore le fait que cela faisait bien longtemps qu'elle ne s'était pas adonnée à la lecture mais il était là et il lui semblait impératif de le terminer. La journée allait être longue avant le rendez-vous prévu par Maxime, cette fameuse invitation mystérieuse qui ressemblait bien plus à une injonction. Fanny ne songeait nullement à ré-apparaitre de sitôt. Pas avant qu'elle se soit calmée, qu'elle ait retrouvée une once de courage pour affronter Maxime.

Elle plongea avidement dans l'ouvrage, abandonnant instantanément les tourments de l'âme qui hantaient son père. Perdue dans ce voyage divinatoire qui semblait la guider, lui murmurer des vérités encore méconnues, elle se laissa emporter par ses pages, chaque mot déposant sur son esprit une quiétude qu'elle n'aurait su décrire. Loin de l'étouffante atmosphère des Coste, elle se sentit légère tout comme libérée. C'est ainsi qu'elle abandonna les allées du Taj Mahal, son périple en Cappadoce ou bien encore son ascension du Kilimanjaro pour les contrées arides de l'Arizona.

"Quelques rayons de soleil peinaient à s'infiltrer entre les anfractuosités que les aléas du vent avaient sculptées dans les parois striées des canyons. Je m'aventurais sous les amas de roches, suivant les lignes longilignes du bout des doigts. Le contact de ma peau avec la pierre rougeoyante m'offrait une sensation unique, celle de vivre l'instant présent, de faire corps avec une nature qui avait été redessinée par les années, une création originale, celle d'un artiste hors du commun. Déjà mes pensées vaporeuses erraient au rythme de mes pas qui foulaient ce sol aride, libérant des volutes de poussières et créant ce décor fantasmagorique saisissant. En remontant à la surface, l’air brûlant semblait presque palpable, chargé des parfums de la sauge et du sable chauffé à blanc. Dans ce désert majestueux, loin de toute civilisation, les empreintes des Navajos, des Hopis ou encore des Apaches sillonnaient le long de la vallée, laissant çà et là des pétrographes gravés dans la pierre, des histoires anciennes symbolisant la survie et la spiritualité de ces civilisations disparues. J’écoutais le silence, le murmure du vent qui guidait, de temps à autres, quelques cris lointains des aigles qui planaient au-dessus des plateaux. Je ne pensais pas qu'une telle expérience allait m'atteindre et briser des certitudes que j'avais mis si longtemps à ériger. Tout commençait à s'ébranler devant mes yeux, cependant, je n'étais pas encore prête à y faire face alors je continuais mon périple aux côtés d’Ismaïl dont le sourire quiet m'apaisait. Il m'avait fait cette promesse lors de notre première rencontre au Qatar, une promesse pour mon âme et sa détermination s'était imprimée dans nos cœurs et dans chaque étape de notre voyage. Ismaïl portait en lui une sagesse silencieuse, une force tranquille qui m’avait intriguée dès le premier regard. Sa présence, solide comme la roche qui nous entourait, semblait capable de contenir mes doutes et mes questionnements."

Fanny releva la tête un court instant, songeant à cette promesse qu'Ismaïl avait faite au narrateur. Des milliers de suppositions s'entassèrent dans son esprit, pour son plus grand plaisir. Elle avait l'impression de faire partie du voyage, d'être ce troisième acolyte, tout près d'eux. Les descriptions lui paraissaient si proches, si intimes qu'elle voulait en savoir plus, qu'elle pensa même un court instant à se rendre dans l'une des contrées citées dans l'ouvrage.

Elle tourna la page, cherchant la réponse à cette promesse mais fut interrompue par la présence d'un marque-page intriguant qu'il ne lui semblait pas avoir vu lors de sa toute première exploration. Probablement, ce dernier, tout petit, avait échappé à son attention. Elle le considéra un instant. Un simple marque-page en papier canson beige, aux contours imparfaits, probablement fabriqués à a volée. Ce dernier portait une inscription manuscrite : "Tu es maitre de ton destin. Chaque pas que tu feras, révèlera une partie de toi. PC."

Fanny se sentit presque hypnotisée par ces mots simples mais profonds qui résonnaient en elle, mais les initiales apposées étaient bien plus captivantes et déroutantes à la fois. PC. Une larme glissa légèrement le long de ses joues. Il y avait tellement longtemps qu'elle n'avait pas évoqué son nom, ni même songé à elle. Le temps avait dispersé son souvenir, balayé par les aiguilles incessantes du cadran. Et pourtant son doux sourire empreint de bienveillance venait de ressurgir juste devant ses yeux, sous l'apparence de deux initiales. PC. Padma Coste. Pourquoi avait-elle déserté son univers bien trop tôt ? Pourquoi l'avait-elle laissé aux mains de son père, incapable de lui apporter l'amour dont elle avait tant eu besoin dans son enfance ? Si seulement sa mère était encore auprès d'elle, elle aurait trouvé les mots justes pour apaiser sa peine, comme celle d'avoir été trahie par Roger Hollande. Cette simple pensée lui fit serrer des dents. Elle décida néanmoins d'en chasser son visage. Il était de loin le cadet de ses soucis.

Même si l'écriture semblait féminine, il était évident que les initiales n'étaient pas celles de sa mère. Cependant, cela avait suffi à attirer sa curiosité. Elle se sentit emplie d'une nouvelle détermination, d'une volonté renouvelée de saisir les opportunités qui se présentaient à elle, de surmonter les défis avec courage et de poursuivre ses aspirations avec confiance. Ce simple marque-page était devenu bien plus qu'un accessoire de lecture ; c'était devenu un symbole de son pouvoir personnel, un rappel constant de sa capacité à façonner son propre destin. Tout du moins, c'était l'état d'esprit qui avait émergé tout au fond de la serre, au cœur du domaine maudit des Coste.

Elle n'était cependant pas au bout de ses surprises. En le retournant, elle fit une découverte intrigante : une longue liste de numéros, de lettres et de symboles semblables à un message codé. Que cachait cette suite de chiffres ? Fanny était bien décidée à éclaircir ce mystère. Elle leva les yeux au-dessus de la serre, le soleil avait continué sa course tandis qu'elle s'était laissée entrainer par les pages dactylographiées. Elle regarda l'heure sur sa montre, le cœur serré. Elle ne pouvait malheureusement pas fuir éternellement. Alors tout en rallumant son téléphone portable, elle ramassa ses affaires et fila discrètement en direction de la villa. Le jardin qui menait à la demeure était complètement fleuri, si bien entretenu qu'elle repensa un instant à sa mère, à celle qui faisait fleurir des sourires sur son visage, celle qui leur offrait tant de joie. En remontant les escaliers qui donnaient sur l'étage des dortoirs comme ils avaient coutume de l'appeler étant adolescents, Fanny se trouva nez à nez avec Alya. Cette dernière portait une jolie robe empire aux motifs fleuris qui laissait entrevoir le halé de sa peau. Un léger sourire maquilla ses traits ce qui la rendit beaucoup plus abordable que la veille, lors de leur première rencontre. Fanny aurait aimé la connaitre à milles lieues de la demeure des Coste mais son Frère, Mathis, avait sorti sa carte "joker", celle qui lui permettrait d'être légèrement immunisé contre les attaques acides de leur père.

— Tu n'es pas avec Mathis ? interrogea Fanny, étonnée de la voir déambuler seule dans la maison.

— Il se prépare. Il est à l'étage avec Romain et Samuel, si tu veux.

Fanny la gratifia d'un léger rictus puis remonta à pas de loup vers les dortoirs. Des fous rires fusaient dans la chambre de Romain et ce n'était pas étonnant. Son frère avait le verbe facile et savait transformer les situations les plus affligeantes en un cabaret loufoque où chacun y trouvait son compte. Sa capacité à faire face à l'adversité, à parer aux reflexions de son père ou de quiconque lui conférait ce statut de héros aux yeux de sa sœur. Elle aurait aimé pouvoir être aussi forte que lui. Elle se glissa dans l'embrasure de la porte pour regarder le petit manège qui se déroulait comme lorsqu'elle était enfant, attendant leur accord pour entrer dans le sanctuaire de la bêtise. C'est Sam qui l'aperçut en premier, l'invitant à les rejoindre avec ce magnifique sourire tant amusant que réconfortant. En tant qu'ainé de la fratrie, il avait toujours senti l'obligation de les protéger, de s'occuper d'eux. Même si le temps avait coulé sous les ponts, il prenait régulièrement de leurs nouvelles, s'assurant que chacun s'épanouisse de son côté.

Le temps semblait s'être arrêté mettant entre parenthèses la future soirée qui les attendait. Elle s'amusait. Elle riait. Elle se chamaillait. Elle inspirait cette gorgée de bonheur qui lui avait tant manqué.

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