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Elle ramassa sa veste et son sac à main, prenant la direction des ascenseurs. Plus une seule âme ne venait animer les lieux. L'effervescence quotidienne s'était faufilée dans les foyers, un sentiment que Fanny n'avait pu ressentir qu'à moitié durant le weekend précédent. Revoir ses frères avaient été d'un certain réconfort, un moment suspendu mais tellement rare. Elle allait retrouvé le silence de son appartement francilien, une pointe de tristesse venant percer sa carapace de femme indépendante. De l'autre côté de l'open space, au cœur de ce bureau qui devait être le sien, elle l'observa, lui, le nez plongé dans ses dossiers. Quelques semaines plus tôt, elle n'aurait pas hésité à retrouvé Roger, son mentor, à l'aider à finaliser les projets en cours, mais toute cette situation l'avait rendue amère et elle ne souhaitait plus que quitter ces lieux qui lui avaient volé ses rêves.

En repassant au coin de la rue, elle se souvint de cet échange avec Alexis Ramirez, de ce moment où elle avait appris à apprécier cette personne, un léger sourire se figea sur ses lèvres cependant, elle l'effaça aussi vite, ne voulant se perdre dans des réflexions et des sentiments qui lui étaient inconcevables.

Fanny ne s’attendait pas à être aussi bouleversée par son escapade à Embrun. Les révélations de son père, les retrouvailles pleines d'émotions avec ses frères, et cette confrontation brutale avec Lucas avaient éveillé en elle un tumulte d’émotions qu’elle n’avait pas ressenties depuis des années. Sa vie parisienne, réglée au millimètre près, laissait peu de place à l’imprévu. Tout avait été orchestré dans un unique but : décrocher ce poste tant convoité, prouver qu’elle en était capable, et, peut-être, un jour, impressionner son père. Mais Roger Hollande avait balayé ses espoirs d’un revers de main, anéantissant ses ambitions.

Ce week-end-là, elle avait dû mentir. Mentir pour éviter les reproches, pour échapper à une déception supplémentaire qui aurait broyé les derniers fragments de son âme. Elle était fatiguée de lutter, de porter ce poids invisible.

Le regard perdu dans la grisaille des immeubles, sa tasse de café tiède entre les doigts, Fanny hésitait à retourner au bureau. L’avenir qu’elle s’était construit avait été volé, dérobé par Alexis Ramirez. Toutes ces images qui s’entrechoquaient dans son esprit formaient un labyrinthe d’incertitudes. Elle n’avait plus la force, plus l’envie. Mais un message portant la mention "Important" en lettres majuscules suffit à attiser son intérêt. Alexis sollicitait la présence de tous ses collaborateurs à 10 heures dans la grande salle de réunion. Ce message matinal démontrait à quel point le nouveau directeur marketing était investi dans ses nouvelles fonctions. En moins d'une minute, un nouveau message apparut laissant apparaitre un large sourire sur les lèvres de Fanny. "Corvée de croissants !", suivi d'un "Bravo ma belle !" de la part de Maryam, reconnaissant le travail de son amie derrière cette réunion imprévue. Et pour les viennoiseries, elle ne pouvait déroger à la règle, chacun étant à tour de rôle.

Depuis que Alexis avait été nommé Directeur, tout le monde paressait désolé pour Fanny, certains évitaient les discussions au sujet du nouveau boss, d'autres se jetaient des regards affligés lorsqu'il la croisait, et tout cela la rendait encore plus déprimée. Elle avait beau leur offrir son sourire le plus sincère, elle devait faire face à sa défaite à chaque seconde qu'elle passait dans cette entreprise. Enthousiaste à l'idée de partager les nouveaux projets avec son équipe, Alexis affichait une mine radieuse depuis son arrivée, il était d'ailleurs présent bien avant Fanny, ce qui l'avait perturbée dans sa routine. Ce sentiment de plénitude avant l'effervescence faisait partie de son quotidien et lui permettait de commencer sa journée sur de meilleures augures, cependant, depuis que Alexis avait investi le bureau de Roger Hollande, tout avait changé, et peu à peu, il lui semblait qu'elle n'était plus à sa place, comme si au jeu des chaises musicales, la sienne s'était envolée. elle reprit ses esprits, avalant une gorgée de café, avant de reprendre le fil de ses courriers électroniques. Et puis son regard s'arrêta soudainement sur l'un d'eux, dont la signature raviva les souvenirs du weekend précédent. Patrick Charvet, Directeur des Ressources Humaines lui avait envoyé une invitation à une réunion dont l'objet lui échappa tant elle resta figée sur ls initiales de ce dernier. PC. Un rictus maladroit vint se loger à la commissure de ses lèvres. Quelle serait la probabilité pour que ce soit lui, un quarantenaire extraverti beaucoup plus intéressé par son apparence extérieure que par son épanouissement psychologique. Elle attrapa l'ouvrage en farfouillant dans son sac puis se saisit du marque-page : "Tu es maitre de ton destin. Chaque pas que tu feras, révèlera une partie de toi. PC." Nul doute que Patrick Charvet ne soit le porteur d'un tel message.

— Vous êtes de bonne humeur aujourd'hui, Mademoiselle Fanny.

Une voix vint briser le silence dans lequel elle s'était mue, confortablement. Le simple rappel de cette citation la faisait voyager, sans pour autant qu'elle n'en saisisse la teneur. Elle avait l'impression que ce message lui était destiné, rien qu'à elle, comme s'il allait apaiser ses souffrances, endormir ses ennemis pour qu'enfin elle puisse rayonner à l'infini.

Levant les yeux pour découvrir le visage de son responsable, elle ne put s'empêcher de le détailler avec intérêt. Son teint halé lui rappelait la chaleur des vacances estivales, le goût sucré des churros et le parfum à la fraise de son glacier préféré. Sa barbe de quelques jours lui conférait une beauté singulière qui ne la laissait pas indifférente. Elle ne pouvait nier son attirance à son égard et pourtant elle se refusait toute interaction trop rapprochée avec ce dernier, surtout depuis qu'il lui avait confié son passé, et la perte de sa défunte femme. Cela avait créé un fossé entre eux, l'un de ceux qu'elle ne pourrait combler. Sa contemplation prit fin lorsque ses pupilles rencontrèrent les siennes, un mélange de miel et de noisettes qui lui conférait une certaine douceur dans laquelle elle aurait pu aisément se laisser bercer.

— Fanny ?

Elle se redressa légèrement sur son siège, se reconnectant peu à peu avec la réalité. Elle aurait souhaité pourtant que ce moment d'abandon dure une éternité, cet instant suspendu loin des impératifs de son quotidien, de la pression professionnelle. Elle déglutit légèrement, ne sachant que trop lui répondre, ayant bien évidemment oublié la question de ce dernier aussi elle tenta de contourner le sujet en lui en posant une nouvelle :

— À quelle heure souhaitez-vous que l'on rejoigne la réunion ?

— Dix heures ! s'étonna-t-il.

Alexis fronça les sourcils puis étira un long sourire dont lui seul en connaissait la raison. Bien évidemment, Fanny savait pertinemment l'heure du rendez-vous, elle avait même immédiatement répondu à son courriel pour avoir plus de détails à savoir si une quelconque présentation était nécessaire. Il se doutait que sa collaboratrice devait être légèrement préoccupée mais ne s'en formalisa pas. La curiosité pointait à l'horizon et pourtant il ravala ses réflexions, glissant son regard sur le bureau de Fanny. Son attention se figea sur la couverture du livre qu'elle caressait du bout des doigts.

— "Un chemin inattendu"..., sa voix s'estompa alors qu'il prononçait ses quelques mots, ravivant des souvenirs, des sentiments et des émotions multiples — passionnée de lecture?

La question la prit au dépourvu. Même si Alexis s'avérait être une personne agréable à qui l'on aimerait échanger durant des heures, pour éveiller sa propre curiosité, développer des sujets divers et variés, elle ne voulait nullement s'aventurer sur ce terrain. Alors, elle prétendit qu'il ne lui appartenait pas.

Alexis voulut renchérir puis se ravisa. Leur discussion était teintée de non-dits voire d'interdits comme s'ils se refusaient à ouvrir leur cœur, chacun pour ses propres raisons.

La réunion était longue cependant riche en informations. YouCare Assurances s'ouvrait vers de nouveaux horizons, ce qui allait doper la créativité des équipes marketing du groupe, jusque-là cantonnées à des campagnes de communication nationales. Fanny rêvait déjà de ce projet depuis des années, sans avoir eu l'opportunité de l'évoquer avec Roger Hollande. Elle pensait qu'il était bien trop de la vieille école pour voir aussi loin. De plus, il prenait rarement de risques sur les projets publicitaires, ce qui avait sur le long terme provoqué une certaine frustration de la part de sa collaboratrice. Avec Alexis, tout était plus aisé, tout deux paraissaient avoir la même vision sur le monde, les mêmes envies, et surtout la même énergie pour voir toutes ces idées prendre vie, et s'envoler vers le succès. Si elle avait prit la place de Roger Hollande, cela aurait été l'un des premiers changements qu'elle aurait opéré, estimant que la société n'était pas encore dans son plein potentiel. Elle aurait aimé être celle qui transcende les limites de la société et pourtant ce soir-là, assise face à Alexis, dans ce café parisien, elle avait cédé, sans concession, son droit d'auteur, livrant ses projets jusque-là tenus secrets à cet inconnu qui venait littéralement de lui voler sa place. Pourquoi avait-elle agi ainsi ? Elle n'en savait rien et pourtant c'était son tout premier pas vers ce chemin inattendu vers lequel elle s'avançait si prudemment.

Avant que tout le monde ne remballe ses notes, Alexis s'exprima une toute dernière fois, tout en plantant ses yeux noisettes dans ceux de sa collaboratrice :

— Je voudrais sincèrement remercier Fanny sans qui ce projet n'aurait probablement pas vu le jour, tout du moins pas avec autant d'aisance, ni de professionnalisme, et de ce fait, il me semble tout à fait légitime pour que ce soit elle, vous Fanny, qui nous représente au salon international des petites entreprises du monde arabe, le mois prochain, en Egypte.

Tout le monde est d'accord ?

L'assemblée acquiesça.

Fanny les remercia timidement avant de rassembler toutes ses affaires et espérer que son boss prononce la fin de cette réunion si surprenante.

*

Assis à son bureau, Fanny bouillonnait. Un mélange de curiosité et d'angoisse brassait son estomac, nouait sa gorge et augmentait les palpitations de son cœur. Fanny paraissait perdue. Certes, elle avait initié l'idée mais elle ne se voyait pas traverser la Méditerranée pour la faire rayonner. Elle expira lourdement puis reprit une respiration plus lente. De son bureau, elle fixait celui de son patron, espérant le voir arriver au plus vite. Après la réunion, il s'était absenté sans qu'aucun rendez-vous ne soit noté à son agenda, à croire qu'il avait totalement disparu de l'entreprise. Elle continuait à guetter tout en priant intérieurement son prompt retour. il fallait qu'elle lui parle, qu'elle évoque avec lui cette décision impossible et qu'elle y mette un terme.

Au bout d'une bonne demie-heure, Alexis refit surface, un certain quiétude venait lénifier ses traits. La pression professionnelle ainsi que les responsabilités de son porte ne l'atteignaient nullement. Il faisait face à l'adversité avec panache. De son côté, Fanny compta jusqu'à trois puis s'élança d'une allure rapide et ferme en direction du bureau d'Alexis, si bien qu'elle ne fit pas attention au chariot du courrier qui trainait au milieu de l'allée. Elle laissa échapper un petit "ouille" avant de reprendre son chemin. Lorsqu'elle arriva devant sa porte vitrée, elle ne pouvait faire demi-tour, il l'avait déjà aperçu. Elle s'envoya un claque mentale, incapable de gérer ses émotions. Ses pensées s'emmêlèrent dans son esprit et elle n'aspirait plus qu'à se terrer dans son minuscule bureau au coeur de l'open space bien que son corps lui avançaient dangereusement vers lui.

— Tout va bien ? s'enquit-il tout en fixant sa collaboratrice de son regard envoûtant.

Ses joues rosies, une flopée de sentiments se bousculant à la porte de son esprit l'avait trahie. Elle s'humecta légèrement les lèvres puis répondit un "non" fébrile avant de poursuivre avec une hésitation certaine dans le ton de sa voix :

— Je ne pense pas être la plus habilitée à...à...euh...partir en vacances....en travail...enfin pour cette mission.

— Je trouve pourtant que vous l'êtes.

Son ton, solennel, rendait l'argumentation de Fanny encore plus complexe à soutenir.

— Je ne veux pas.

— Vous n'aimez pas l'Egypte ?

— Ce n'est pas la question.

— Alors dites-m'en plus...

Son regard la déstabilisa. Ne pouvant lui avouer la raison pour laquelle elle ne pouvait accepter ce "cadeau", elle prit la fuite, glissant un "désolée" en guise de réponse.

Il ne tenta pas de la rattraper mais la curiosité venait de le titiller davantage. Depuis leur toute première rencontre dans ce même bureau, son visage parsemé d'éphélides et ses grands yeux océan n'avaient pas cessé de l'intriguer. Il voulait la connaître, et la découvrir, cependant, à chacune de ses tentatives, elle semblait le fuir davantage. il se passa une main dans ses cheveux bouclés avant de se frotter légèrement la barbe, un long soupir accompagnant ses pensées.

Durant toute une semaine, il n'avait cessé de l'observer de son bureau, tentant de comprendre la manière dont elle réfléchissait, ce qui pouvait bien l'effrayer pour qu'elle refuse un telle opportunité. Ses regards insistants attirèrent l'attention de Maryam qui, de son côté, n'avait pas perdu espoir que ces deux-là se rapprochent. Férue de romance à l'eau de rose, elle guettait la moindre opportunité et ce soir-là, elle détenait un plan bien ficelé qu'elle comptait mener à bien.

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