20
Le lendemain matin, Fanny se leva tôt, comme à l'accoutumée. Un malaise diffus pesait sur ses épaules. Les cartons empilés dans sa chambre lui rappelaient les découvertes de la veille, les mystères non résolus concernant la vie de sa mère et surtout le recueil de poèmes. Ce petit carnet faisait tellement écho à tous ses poèmes griffonnés durant son adolescence, ceux que Maxime avait osé... Elle préféra balayer cette période douloureuse pour se focaliser sur l'avenir. Elle n'avait toujours pas parlé à Maxime de ce qu'elle avait trouvé et ne savait nullement par où commencer, si tant est que leur échange ne se solde pas encore par une dispute. Sa curiosité grandissante la poussait cependant à faire l'effort nécessaire pour les obtenir, quitte à pactiser avec le "diable".
Elle se rendit à la cuisine en silence pour ne pas réveiller les quelques habitants présents cependant Bérénice l'avait devancée et ce ne fut pas pour lui déplaire.
— Tu es bien matinale, s'exclama-t-elle tout en posant le thermos de café sur la table de la cuisine.
— Je te retourne le compliment.
Fanny s'assit autour d ela grande tablée, observant cette cuisine qui n'avait pas changé. Cette maison avait été son repère étant plus jeune, un endroit où elle aurait du se sentir en sécurité. Tous les éléments y étaient réunis...excepté un.
La demeure des Coste ressemblait à ces maisons chaleureuses du Sud de la France, plongée dans un décor naturel, où les essences de bois se mêlaient aux senteurs de lavande et de Romarin. Nichée entre les collines ondoyantes et les cyprès élancés, elle dégageait une sérénité intemporelle, comme figée dans une lumière dorée. Les volets bleu pastel, légèrement écaillés par le temps, s'ouvraient sur une façade de pierre, baignée de soleil. La maison était en soi un bijou dont les joyaux auraient été altérés. Malgré un intérieur chic et harmonieux, convivial et chaleureux, les âmes erraient comme des fantômes solitaires qui n'auraient pas trouvé le chemin vers la rédemption. Fanny ne pouvait plus apprécier cette maison comme autrefois, lorsque Padma la faisait rayonner de son sourire radieux. Elle souffla, tenue par la pression de son cœur qui tremblait puis s'assit sur la grande tablée, celle qui avait réuni les Coste, au complet, il y a des dizaines d'années.
Fanny remplit généreusement sa tasse de café, le regard perdu dans les souvenirs qui filaient sous ses yeux, comme des ombres fugaces. Les sourires de ses frères, les taquineries de son père, la bienveillance de sa mère et Bérénice, le pilier inébranlable de ce foyer en perdition.
Soudain, son sourire se fendit, laissant place à des moments d'une tristesse infinie où la cuisine était devenue le théâtre des pires répliques, une tragédie surjouée qui pouvait s'éterniser jusqu'au coucher du rideau. Des cris, des larmes, des blessures à jamais tracées dans les tréfonds de son âme.
Sirotant son breuvage anthracite avec délectation, Fanny resongea aux événements de la veille, une idée derrière la tête.
— Dis-moi Bérénice, je pourrais te poser une question ?
— Bien sûr, je n'ai aucun secret pour toi ma chérie, s'exclama-t-elle un sourire plein de liesse se déposant aux commissures de ses lèvres.
Cette dernière s'installa face à Fanny qui lui rendit son sourire.
— Tu te souviens de ma mère ?
— Comme si c'était hier, répliqua-t-elle, une point de tristesse au son de sa voix. Qu'aimerais-tu savoir ?
Fanny hésita un instant. Il y avait tant de questions qui tournaient dans sa tête, des interrogations qu'elle n'avait jamais pris soin de poser.
— Comment était-elle ? Je veux dire, pas physiquement, mais dans la vie de tous les jours ? Est-ce qu'elle nous aimait ?
— Quelle question ! Tous les cinq, vous étiez la prunelle de ses yeux. Elle pétillait de bonheur à vos côtés. Vous n'avez malheureusement pas eu le temps de profiter de sa bonté, de tous ces instants précieux... elle laissa passer une courte pause avant de se reprendre. Je lme souviens que tous les dimanches, elle vous emmenait dans la forêt tout près du lac, elle emportait un sac à dos rempli de thé et de cakes qu'elle avait préparé tôt dans la matinée. Puis, elle prenait soin de vous préparer et vous entrainait dans ses escapades pittoresques. C'était époustouflant.
— Tu...
— Oui, quelque fois, je profitais de quelques heures de liberté, et je m'évadais à vos côtés. Cela me faisait un bien incroyable.
— Et Maxime ? osa Fanny du bout des lèvres, comme si elle prononçait le nom interdit, celui qui brûle les lèvres.
— Ton père a toujours été un homme très occupé. Ses affaires le contraignaient à travailler même le weekend.
— Ça ne m'étonne pas, souffla Fanny, excédée par le comportement de son père.
Avait-il seulement partagé de bons moments avec eux ?
— Ce n'est pas le meilleur des pères mais sache que...
Elle s'interrompit brusquement alors que Maxime faisait irruption dans la cuisine, son visage marqué par une fatigue qu'il ne tentait même plus de dissimuler. Il les salua d'un simple regard, comme s'il évitait d'établir un vrai contact. Il ôta son manteau avec lenteur, l'air perdu dans ses pensées. Bérénice lui servit immédiatement une tasse de café qu'il prit entre ses mains. Il la remercia par un plissement des yeux qui faisaient ressortir ces petites ridules puis repartit sans dire mot.
Bérénice constata le malaise grandissant entre eux, elle savait pertinemment que leur relation était toxique l'un comme pour l'autre. Elle préféra passer à une tout autre conversation, plus légère pour éviter que Fanny ne broie du noir.
— J'ai entendu dire que tu avais eu une promotion au travail, tu dois être tellement heureuse.
Fanny fronça les sourcils. Elle ne se souvenait pas avoir un seul moment évoqué cette conversation avec elle.
— Qui t'a dit ça ? demanda-t-elle, légèrement sur la défensive.
— Tu sais bien que chez les Coste les murs ont des oreilles, déclara-t-elle avec malice. Alors, c'est vrai ?
Fanny esquissa un sourire amer et croisa les bras.
— J'aurai bien aimé que ce soit le cas. Mais non. Cette promotion m'est passée sous le nez à cause de Roger Hollande.
— Celui qui était pourtant si bienveillant envers toi ?
— Lui-même, répondit-elle tout aussi étonnée par la question de Bérénice.
Comment Roger avait-il pu lui faire cela. Il avait toujours été à l'écoute de Fanny et tout deux formaient une équipe complémentaire depuis des années. Cette réflexion entraina une autre salve de questionnements.
— Que s'est-il passé ?
— La jour de ma prétendue nomination, un candidat venu de nulle part a obtenu la place que je convoitais. Tu ne peux pas savoir à quel point je me suis sentie ridicule. J'ai bossé comme une dingue pendant des mois, j'ai donné tout ce que j'avais, et pourtant, cet homme avec son sourire...il...il a su être là au bon moment, sûrement séduire les bonnes personnes. Je n'étais probablement pas aussi performante que lui.
Bérénice secoua la tête avec compassion.
— Ce n'est pas une question d'hésitation, c'est un jeu de pouvoir.
— Un jeu où je perds à chaque fois, rétorqua Fanny en haussant ls épaules. Je stagne Bérénice. J'ai l'impression de ne pas avancer, de tourner en rond. Et tu sais quoi ? Peut-^tre même que Maxime a raison. Peut-être que je ne suis tout simplement pas à la hauteur, que je ne ferais jamais rien de bien dans ma vie.
Elle détourna le regard, soudain submergée par une vague d'émotions contradictoires.
— TU veux que je te dise, ma chérie? Le destin, ça se provoque. Tu ne peux pas attendre que les choses changent toutes seules. Parfois, un peu de mouvement, un peu de nouveautés, ça aide à voir plus clair et à s'émanciper du regard des autres.
Fanny demeura silencieuse. Bérénice avait visé juste.
— Un voyage, peut-être, suggéra Bérénice avec un sourire Une petite coupure avec tout ça, juste pour respirer.
Un voyage...
Fanny prit une gorgée de café. Bérénice n'avait pas tort. C'est alors qu'une idée germa dans son esprit. L'Égypte. Ce projet lui permettrait de concilier travail et plaisir, ce qui limiterait les risques.
Son cœur se mit à battre plus fort. Et si c'était le moment.
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