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— Je pars !

Concentré dans ses tâches administratives, Alexis Ramirez fut surpris de voir débarquer dans son bureau une jeune trentenaire, une lueur de détermination scintillant au fond de ses pupilles. Il fronça légèrement les sourcils, étonné par sa présence et par les paroles qu'elle venait de prononcer. Il tenta de comprendre le sens de ces deux petits mots et fut déstabilisé un moment. L'idée de la voir ainsi, aussi résolue, lui serra le cœur et fit naître en lui un mélange d'émotions qu'il ne sut décrypter sur l'instant.

Le cœur tambourinant à tout rompre, Fanny se redressa tout en s'humidifiant les lèvres, asséchées par le stress qui entourait tout son être. Depuis son départ précipité de la maison des Coste, elle n'avait jamais été aussi impulsive et cela lui procura un sentiment de bien-être qui lénifia légèrement ses traits. Elle observa son patron qui s'était mu dans un silence sourd et pesant, ses yeux noisettes noyés dans l'incompréhension.

— Je... je suis désolée de venir vous voir sans m'être annoncée mais je voulais absolument vous prévenir. Je sais que tout est déjà organisé et que je ressemble à une vraie girouette mais ce weekend, j'ai discuté avec Bérénice, et puis il y a eu le déménagement et tous ces cartons et j'ai compris. En réalité, je ne voulais pas avancer. J'avais peur. Je croyais tout contrôler, je pensais pouvoir aller de l'avant depuis que Roger...Mais en fait, je ne peux pas vivre dans l'ombre toute ma vie, je ne peux pas subir l'oppression des hommes qui veulent assouvir leur domination et me mettre hors-jeu. Et puis, ce projet, il me tient à cœur, alors c'est vrai que je ne suis pas...

— Fanny, Fanny, calmez-vous, glissa Alexis un sourire amusé au bout des lèvres.

Il n'avait jamais eu l'occasion de voir la jeune femme dans un tel état et ni de l'entendre parler ainsi sans reprendre son souffle. Son monologue sans fin l'avait perdu en route. La fin de semaine avait du être bien mouvementée pour qu'elle arrive à la première heure, les idées décousues et pourtant toutes liées à cette envie de "partir". Il eut un moment d'hésitation avant de lui poser la question qui lui brûlait les lèvres :

— Vous comptez nous quitter ?

Ce fut au tour de Fanny d'être totalement décontenancée par une telle interrogation. Dans son esprit, ses paroles étaient limpides, mais en y réfléchissant bien, elle comprit la confusion d'Alexis. Son visage s'illumina, un rire enfantin s'échappa, un rire communicatif qui entraina Alexis dans cette petite folie passagère.

— Je crois que nous nous sommes mal compris. Je pars... en Égypte, enfin si vous êtes toujours d'accord pour que je suive ce projet.

Alexis Ramirez hésita un court instant avant d'élargir son sourire, une lueur malicieuse dans le regard, ce qui laissa Fanny perplexe.

— Vous m'en voyez ravi. J'appelle le service "achat" pour qu'il s'occupe de toutes les formalités.

La jeune femme le gratifia d'un "merci" du bout des lèvres avant de quitter le bureau. Elle était soulagée comme si un poids immense s'était envolé de ses épaules. Bérénice avait raison. Ce départ serait une parenthèse bienvenue, un souffle d'air après des semaines éprouvantes. Elle avait gâché plusieurs années pour plaire à son père, à Roger, à ses pairs, et même à Lucas, sans qu'aucun d'eux ne lui rendent la pareille, et à ce moment-là, elle savait qu'elle allait enfin pouvoir vivre, pour elle. S'évader le temps d'un week-end. Découvrir le monde autrement que dans les livres. Elle allait enfin ouvrir une fenêtre sur l'inconnu et s'émerveiller. Un petit sourire s'étira en pensant à sa future destination.

*

La semaine fila sans qu Fanny ait eu le temps de souffler. L'excitation du voyage l'avait galvanisée. Prise dans un tourbillon de nouvelles sensations, Fanny s'étonna d'avoir bouclé ses dossiers avec autant d'aisance. Tout devait être prêt avant le départ, les présentations, les supports marketing pour les futurs prospects, leurs outils de communication ainsi que le circuit touristique que la jeune femme avait organisé avec soin afin de mêler l'utile à l'agréable mais également pour mieux connaitre ce territoire plein de promesse pour l'avenir de YouCare.

À quelques heures du départ, après une semaine bien remplie, la jeune femme s'activa à compléter sa valise en y ajoutant ce dernier accessoire qui faisait écho à ses pensées.

"N'oubliez pas une petite étole, les soirées sont plutôt fraîches, même en cette période."

Cette attention de la part d'Alexis l'avait tout autant étonnée que Maryam qui était à ses côtés. Cette dernière n'avait pas mis longtemps avant de faire de gros yeux ronds à Fanny qui ne releva pas son attitude enfantine. Elle attrapa l'une de ses écharpes en coton beige, un héritage de sa mère, l'un des rares effets que Fanny s'était autorisé à dérober dans l'armoire de sa mère, peu de temps après son décès, dans l'espoir infime de la garder auprès d'elle, de sentir ses effluves de jasmin qui la caractérisait. Après toutes ces années, Fanny l'avait toujours protéger dans une petite boite cartonnée, avec ces souvenirs inébranlables, ces marques d'un passé révolu mais que l'on n'ose pas dévoiler, par peur qu'il ne nous échappe. Ce soir-là, alors que tout était fin prêt, Fanny glissa l'étoffe entre ses doigts, le sourire bienveillant de sa mère s'imprima dans son esprit, relâchant une tension qui s'était accumulée depuis quelques temps.

Ses affaires minutieusement pliées et arrangées dans le petit bagage à main, elle quitta l'appartement, direction l'aéroport.

L'effervescence du hall l'enivrait. Toutes ces âmes en partance, ces histoires entremêlées dans l'attente d'une nouvelle page à tourner. Il ya avait ceux qui partaient pour d'affaires, reconnaissables à leur tenue impeccable et ces vacanciers, le sourire radieux, ceux-là, Fanny les admirait. il avait osé s'évader, s'offrir une parenthèses enchantée.

Elle aurait pu être l'un d'eux, franchir cette barrière qu'elle dressait devant elle depuis si longtemps. Mais elle ne pouvait s'empêcher d'évaluer les risques, de se convaincre qu'elle n'avait pas le temps. Elle n'était pas encore prête à suivre les pas de cette aventurière qu'elle admirait depuis des semaines, celle qui arpentait les sentiers pittoresques des lignes noircies d'un chemin inattendu.

Fanny jeta un œil dans son sac, s'assurant de ne pas avoir oublié son livre. C'était en quelque sorte grâce à lui, ou plutôt à ce marque-page énigmatique que la jeune femme était plantée au beau milieu du terminal de l'aéroport Charles de Gaulle, prête à vivre une nouvelle aventure. Une demi-aventure. Le travail passait avant tout.

Son regard se perdit dans l'immensité du hall, surprise par tous ces écrans, ces panneaux, cette vie qui grouillait. C'était bien plus impressionnant que dans les films. Bien qu'elle soit habituée aux pistes d'atterrissage grâce aux folies inconscientes de Romain, Fanny n'avait jamais eu l'occasion de s'égarer plus loin que le quai d'une gare. Son plus grand voyage fut sans nul doute son départ d'Embruns pour Paris.

Soudain, son téléphone vibra, l'extirpant de ses pensées. Bérénice.

"Bon voyage, ma chérie. Profite bien de cette expérience, elle pourrait t'apporter plus que tu ne l'imagines."

Un sourire délicat s'étira sur ses lèvres mais elle n'eut pas le temps de répondre que ses collègues du service commercial se plante juste devant elle.

— Alors, perdue ma belle ? lança l'un d'eux, d'une voix lubrique.

Simon Perrochet. Une vraie plaie, toujours à lui lancer des piques sous couvert de plaisanterie. Fanny ne le portait nullement dans son cœur et pour cause, il avait toujours une remarque déplacée et cet air suffisant qui l'agaçait. Ce n'était pas la première fois qu'il tentait de l'intimider ou de se rapprocher d'elle, oscillant entre provocation et séduction malvenue. Mais elle avait toujours mis un point d'honneur à le repousser. Visiblement, il s'obstinait à ne pas comprendre.

— Je vous attendais, répondit-elle sèchement. Vous êtes en retard !

— Détends-toi, je sens qu'on va bien s'amuser durant cette petite virée, lui murmura-t-il.

— Ne prends pas des désirs pour des réalités, répliqua Fanny qui progressivement rentrait dans le jeu de son collègue.

— Désir, je n'irai pas jusque-là, quoique.

Lorsque les yeux de Simon glissèrent sur la silhouette de Fanny, cette dernière braqua son regard incendiaire dans le sien. À vouloir jouer avec ses nerfs, il allait en récolter les fruits. Elle s'approcha de lui, suffisamment pour pouvoir lui glisser à l'oreille quelques mots bien tranchants avant d'écraser son talon aiguille sur ses mocassins en cuir.

Les mots qui s'échappèrent des lèvres de Simon Perrochet provoquèrent un petit sourire satisfait sur le visage de la responsable marketing. Elle avait eu cette revanche qu'elle attendait depuis deux ans, depuis qu'il avait intégré l'équipe commerciale. Après cette petite démonstration de force, elle espérait cependant que ce dernier ne souhaite pas l'importuner davantage durant le séjour. Elle pria intérieurement pour pouvoir supporter ces trois jours avec ces deux énergumènes , mais elle se douait que Simon ne mâcherait pas l'affaire aussi facilement. il adorait la provoquer et tester ses limites. Elle le savait, et cela la fatiguait d'avance.

Fanny tenta de s'éloigner pour éviter toute nouvelle provocation lorsque son visage fut attiré par un mouvement à l'entrée du hall. Elle fronça les sourcils.

Alexis.

Son cœur manqua un battement.

Il avançait d'un pas assuré, tirant son bagage cabine derrière lui, l'air parfaitement à l'aise au milieu de la foule. Elle aurait juré qu'il ne serait pas de la partie. Il ne devait pas l'être. Sa réunion...

Ses pensées s'emmêlèrent tentant de dénouer les informations qu'elle avait en sa possession. Et pourtant, il était bel et bien là. Et il venait droit vers eux.

— Eh bien, on dirait que Coste est dans tous ses états, balança-t-il à son collègue, un sourire en coin, visiblement ravi d'assister à une telle scène.

Fanny balaya les paroles du commercial d'un revers de main, s'efforçant de rester de marbre, mais elle sentait déjà une vague d'émotions monter en elle. Pourquoi sa présence semblait autant la déstabiliser ?

Elle raffermit sa prise sur la poignée de sa valise et redressa le menton. Peu importe. Elle n'allait pas le laisser la perturber.

Elle fixa le masque qu'il lui seyait le mieux. Ce n'était qu'un voyage d'affaires. Un projet professionnel. Un point c'est tout.

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