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— On peut discuter deux minutes.

Romain afficha une mine sérieuse qui détonait avec son caractère d'habitude enjoué. Sa question ressemblait bien plus à une injonction, ce qui eut le mérite de l'intriguer. Fanny jeta un œil sur le canapé du salon ; Roger y était assoupi, les traits détendus. Il avait l'air si paisible, comme si l'épreuve qu'il avait traversée s'était tout simplement évanouie dans un autre monde. Était-il prêt à rebondir ?

Elle en profita pour entrainer son frère dans la cuisine pour l'interroger.

— C'est Roger ? Ça ne va pas ?

— C'est papa... la coupa-t-il, tout en délicatesse.

Il savait à quel point parler de Maxime Coste pouvait être douloureux en sa présence et ne souhaitait pas la brusquer.

Elle fronça les sourcils. Quelle urgence pouvait bien mobiliser Romain ?

Elle se reprit alors et tenta d'en savoir plus :

— Sam' ne peut pas s'en charger ?

Il la jaugea une longue minute, incapable de prononcer un mot comme s'il était perdu dans ses pensées, les lèvres si pincées qu'elles blanchirent l'espace d'un instant. Il finit par entrouvrir celles-ci pour rétorquer :

— C'est non négociable. Je suis convoqué et tu sais comment il est...

— Depuis quand tu écoutes ses ordres ?

Il émit un léger rictus en songeant à toutes ces fois où il était passé outre ses injonctions et ses rappels à l'ordre mais cette fois-ci, il pressentait qu'il devait faire un pas en sa direction.

— Je vais devoir m'absenter durant toute la semaine. Tu penses pouvoir t'en sortir avec Roger ? insista-t-il tout en balayant la remarque de sa sœur.

— Si jamais cela ne va pas, je prendrai des jours de congés supplémentaires.

— Et tes projets de voyage ? T'as conscience que tu vas sucré tous tes congés pour...

— On parle de Roger ! s'offusqua-t-elle.

Il était hors de question que ses loisirs passent avant la santé d'une personne qui lui était chère. Elle fonctionnait ainsi depuis des années, sacrifiant son bonheur au profit des autres.

— Je sais bien, se radoucit-il, mais tu dois apprendre à penser à toi. Un peu.

— Et il a raison, renchérit Roger qui s'invita dans leur conversation d'une voix rauque, celle d'une personne qui venait tout juste d'émerger du sommeil. Tu ne pourras pas éternellement rester à mon chevet. Et avec toute la sympathie que j'éprouve pour Romain, j'ai besoin d'être un peu seul et de faire le point.

— Mais si...

— Il ne m'arrivera rien. Je dois juste affronter mes démons.

Elle aurait tant aimé s'immiscer dans ses réflexions pour comprendre les raisons qui l'avaient mené au couloir de la mort mais Romain avait été clair, il n'était pas encore prêt à se livrer, à exprimer ce qui le rongeait depuis quelques temps. Elle se doutait cependant que Romain en savait bien plus qu'il n'osait le dire. Son attitude bienveillante faisait de lui le confident idéal.

Résignée, elle insista :

— Je viendrais tous les soirs pour m'assu...

Roger fronça les sourcils puis balança la tête en signe de négation.

— Tous les deux jours ? Tous les trois jours ? Une fois par semaine ?

Elle finit par capituler, les yeux de son ancien patron rivés sur elle à chacune de ses propositions.

— Je pense qu'il est préférable que je passe un peu de temps... seul. Je vous remercie beaucoup, vous avez été d'un grand soutien et je mentirai si je disais que c'était inutile. Et toi, Fanny, je ne te remercierai jamais assez, conclut-il d'une voix pleine de reconnaissance.

À ce moment précis, il eut l'envie de la serrer tout contre lui, tel un père pourtant il se ravisa, des sentiments complexes l'empêchaient de se laisser aller. Il pensait également qu'il ne la méritait pas, elle, son sourire, sa bienveillance, sa bonne humeur, toutes ses petites attentions. Il sentit son cœur s'oppresser en pensant à la trahison qu'il avait orchestrée quelques semaines auparavant. Elle n'avait été qu'une victime collatérale dans toute cette sordide histoire qui ne faisait que le hanter jours et nuits. Il se reprit pour ne rien laisser paraître, plus tôt Fanny et Romain partiraient, plus vite il pourrait faire payer ceux qui l'avaient entraîné au fond du gouffre. Les paroles sensées de Romain, elles, avaient fait leur bout de chemin dans son esprit. Lentement, la trame d'un plan se dessinait à l'horizon. Les discussions qu'ils avaient eu tous deux, des confidences à demi-dévoilées, avaient eu le mérite d'éclairer sa lanterne et d'ouvrir les yeux sur sa réalité. Il se souvint des conseils avisés et de la sagesse dont son interlocuteur avait fait preuve mais il préférait balayer certains points, trop remontés pour agir dans la mesure. Était-il seulement prêt à faire éclater les secrets les mieux gardés ? Allait-il se perdre dans la mêlée ?

*

Durant toute une semaine, Fanny ne cessa de penser à Roger, à tel point qu'elle lui avait envoyé des dizaines de messages, restés, pour certains, sans réponse. Il l'avait renvoyé sur les roses, avec tact, pour ne point la piquer, mais elle sentait comme un parfum de déception l'enivrer. L'idée de pouvoir faire le point avec lui concernant sa promotion manquée s'était évanouie avec la brise de son silence.

Elle souffla puis éteignit l'écran de son ordinateur. Les dernières lueurs du jour s'estompait drapant l'open space d'un voile de mélancolie tamisée. Elle demeura un instant figée facé à cette pénombre qui s'étirait lentement le long des murs comme si elle attendait un signe, un réponse, mais rien ne vint. Elle se résigna donc à quitter le bureau, rassemblant ses affaires avec lenteur, retardant l'inévitable retour à la maison. Elle se faufila dans l'ascenseur, l'esprit divagant puis retrouva l'effervescence des rues parisiennes, du brouhaha des voitures qui filaient sur les chaussées trop étroites de la ville aux passants aux visages éteints par la brume de leur quotidien. Qu'avait-elle à envier à cette vie ?

Ni aimé les enfants d’une autre femme comme Bérénice.

Depuis l'hospitalisation de Roger, Fanny songeait à sa vie, à la mort, à ce qu'elle laisserait derrière elle le jour où elle s'éclipserait de ce monde. Elle n'avait rien accompli qui puisse transcender les esprits, marquer les générations, illuminer son existence. Rien.

Elle n'avait pas bâti un empire comme son père.

Ni fondé une famille comme Samuel.

Ni porté secours aux plus démunis comme Mathis.

Ni capturé la beauté du monde comme Romain.

Ni réalisé ses rêves comme Lucas.

Ni même élevé les enfants d'une autre femme comme Bérénice.

Elle n'avait que fui la tyrannie croyant se libérer de chaînes bien trop étriquées, sans pour autant sans être délestées. Car au fond d'elle, elle le savait : elle restait prisonnière. Prisonnière d'un besoin viscéral, celui d'être aimé. Par lui. Le souhait irrépressible d'être parfaite, de plaire, de lui plaire, pour enfin mériter un amour qu'elle avait longtemps désirer en silence.

Elle se demandait si elle aussi avait sa pierre à poser sur le mur de la vie.

Et puis, dans les recoins plus calmes de son âme, quelque chose vibrait. Un écho d'un voyage, une promesse tenue qui attendait.

Il y avait bien un rêve qui pourrait laisser des traces sur les dunes sableuses africaines. Mais pour cela il lui faudrait partir, sous le soleil brûlant d'Égypte, là où tout avait commencé, où un espoir inattendu était né.

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